Jean Marc Turine

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 novembre 2023

Jean Marc Turine

Abonné·e de Mediapart

Et si l'on reparlait de Mayotte ?

Je ne veux pas écrire sur le problème de l’eau qui déséquilibre et affole la vie des Mahoraises et des Mahorais depuis des semaines [...] Je ne veux pas plus écrire sur la délinquance, la pauvreté, l’absence d’avenir provoquées par la politique inefficace, de rafistolage, des autorités politiques. Non, je veux parler d’une femme, une femme de 49 ans. Une femme de 49 ans qui doit se faire opérer d’urgence pour un fibrome, peut-être malin, à l’utérus.

Jean Marc Turine

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Et si l’on reparlait de Mayotte… ?

Je ne veux pas écrire sur le problème de l’eau qui déséquilibre et affole la vie des Mahoraises et des Mahorais depuis des semaines. Même si le sujet est important, sinon essentiel, puisque dans les bidonvilles, Kaweni, sur les hauteurs de Mamoudzou, ou « Viet Nam », sur les hauteurs de Tsoundzou, l’insalubrité autant que la promiscuité pour des milliers de personnes, personnes en séjour illégal ou considérées comme tel, constituent un danger sanitaire certain. Je ne veux pas plus écrire sur la délinquance, la pauvreté, l’absence d’avenir provoquées par la politique inefficace, de rafistolage, des autorités politiques.

Non, je veux parler d’une femme, une femme de 49 ans. Une femme de 49 ans qui doit se faire opérer d’urgence pour un fibrome, peut-être malin, à l’utérus. Bien sûr, cela arrive tous les jours pour des milliers de femmes. Mais voilà, celle-ci doit presque s’en excuser, elle est Anjouanaise. Elle s’appelle Adia. Elle n’a pas de chance cette femme comorienne de 49 ans qui habite à seulement 70 kilomètres de Mayotte occupée par la France. Elle a d’autant moins de chance qu’elle subit aussi le visa Balladur, le visa de la mort pour les Comoriens, institué en janvier 1995 pour empêcher les Comoriens de circuler librement dans leur pays. Visa qui a provoqué la mort de 15 à 20000 personnes dans ce bras de mer de l’océan indien. Selon le droit international, l’expulsion des Comoriens de Mayotte s’assimile à déporter ou à transporter de force des populations à l’intérieur de leur pays, ce qui constitue un crime contre l’humanité.

Mais je reviens à la situation d’Adia après tout assez banale, très banale même, si l’on considère la manière dont la France et l’Europe accueillent les « migrants », ou absurde si son statut n’était pas particulièrement dégradant, désespérant ou scandaleux. Adia a deux frères vivant en France devenus Français, elle a deux sœurs vivant à Mayotte devenues Françaises et elle n’obtient pas de visa pour aller se faire soigner ni à Mayotte, ni à La Réunion, ni a fortiori en France métropolitaine. Selon des médecins comoriens, il semble qu’elle ne trouvera pas à Madagascar, où elle a de la famille, les équipements médicaux nécessaires pour les soins dont elle a urgemment besoin. Pour se faire soigner, Adia va donc se rendre en Tanzanie, pays dont elle ne comprend ni ne parle la langue, l’anglais et où elle se retrouvera seule, sans aucune connaissance.

Adia est, par ailleurs ou en premier lieu, victime de l’incurie, de la corruption et surtout de l’absence de toute vision politique des autorités comoriennes, à commencer par le président de l’Union des Comores qui comprend les îles de Grande Comore, d’Anjouan et de Mohéli, le chef d’état-major Azali Assoumani, qui ont accepté que la Chine construise l’hôpital le plus à la pointe de l’océan Indien à Bambao, Anjouan, mais qui, une fois l’hôpital opérationnel, ont refusé d’en partager la gestion avec des médecins chinois. Conséquence : l’hôpital destiné à accueillir les techniques médicales les plus performantes n’a pas plus de moyens que n’importe quel autre centre de santé sur l’île, autant dire, rien.

Adia, une femme de 49 ans, ferait donc partie de ces « illégaux » venus majoritairement d’Anjouan, et certains de  Grande Comore ou de Mohéli, le plus souvent en kwassa-kwassa, pour alimenter les feux du désordre, de la révolte et de la délinquance à Mayotte selon l’imaginaire nationaliste français de ses habitant(e)s, et de ses élu(e)s.

Rappel nécessaire : Le 24 octobre 1974, Valery Giscard d’Estaing expliquait « Pour ce qui est de l’île de Mayotte, le texte a été voté à l’Assemblée nationale, il s’agit de l’archipel des Comores, c’est un archipel qui constitue un ensemble situé entre Madagascar indépendante et le Mozambique indépendant, en tout cas qui le sera en juin prochain. C’est une population homogène dans laquelle il n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française, c’est un peuplement très limité. Était-il raisonnable devant la demande d’indépendance présentée par le Conseil de saisie, était-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendant et qu’une île, quelle que soit la sympathie que l’on puisse avoir pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines, les Comores sont une unité, ont toujours été une unité, il est naturel que leur sort soit un sort commun (…) Nous n’avions pas à l’occasion de l’indépendance d’un territoire à proposer de briser l’unité de ce qui a été toujours l’unique archipel des Comores. »

Le reniement de la parole du Président, donc de la parole de la France, comme le sentiment de trahison ressenti par les Comoriens ne peuvent trouver ici place pour une analyse ou un développement.

Depuis cette date cependant, c’est à dire depuis la demande des Comores à être admises au sein de l’Organisation des Nations-Unies, l’Assemblée générale est explicite en affirmant «la nécessité́ de respecter l’unité́ et l’intégralité́ de l’archipel des Comores composé des îles d’Anjouan, de la Grande-Comore, de Mayotte et de Mohéli. » Cette résolution rappelle que « l’occupation par la France de l’ile comorienne de Mayotte constitue une atteinte flagrante à l’unité́ nationale de l’État comorien, occupation qui viole les principes fondamentaux défendus par l’ONU et en particulier la résolution 1514 de l’Assemblée générale du 14 décembre 1960 relative à l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux qui garantit l’unité́ nationale et l’intégrité́ territoriale de ces pays. »

Malgré les protestations internationales, la France érige alors Mayotte en collectivité territoriale de la République. Contre ce fait accompli, l’Assemblée générale de l’ONU, adopte le 21 octobre 1976 par 102 voix contre 1 et 28 abstentions, la résolution : 31/4 ci-dessous :

Premièrement. Condamne les référendums du 8 février et du 11 avril 1976 organisés dans l’île comorienne de Mayotte par le Gouvernement français et les considère comme nuls et non avenus…

Deuxièmement. Condamne énergiquement la présence de la France à Mayotte, qui constitue une violation de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République indépendante des Comores ;

Troisièmement. Demande au Gouvernement français de se retirer immédiatement de l’île comorienne de Mayotte, partie intégrante de la République indépendante des Comores, et de respecter sa souveraineté. »

Néanmoins, bien que, depuis le 21 octobre 1976 une vingtaine de résolutions des Nations unies aient réaffirmé la souveraineté de l’Union des Comores sur l’île de Mayotte, les gouvernements français successifs, violant ouvertement les Résolutions de l’ONU, ont poursuivi une politique coloniale qui aboutit en 2011 à ce que Mayotte devienne le 101e département français.

La question est d’une confondante simplicité ou ingénuité : qui peut raisonnablement expliquer, justifier, argumenter le refus à répétition des autorités consulaires françaises à Moroni, capitale des Comores, de délivrer un visa à cette femme qui ne demande rien d’autres que de retrouver ses sœurs ou ses frères pour se faire soigner ?

Jean Marc Turine

Terre noire, lettres des Comores, éditions Metropolis, Genève, 2008

Les chants d’Anjouan, fiction, France culture, 2018

La solitude Anjouan, film, 2021

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.