Ils n'ont pas souvent de squatteurs parmi leurs élèves, à l'IPJ, l'une des plus prestigieuses écoles de journalisme ! Depuis un an que je m'accroche pour préparer les concours tout en poursuivant mes études et en défendant mon logement, ce travail a porté ses fruits puisque l'IPJ m'a ouvert ses portes. Deux ans de formation intensive et je sortirai sur le marché du travail avec un diplôme qui vaut un peu quelque chose. Histoire de pouvoir me payer un jour un logement plus légal...
Le jour de la rentrée, je fraude comme d'habitude le métro pour me rendre à l'école, au coeur du 9e arrondissement, pas très loin de l'Opéra. Juste devant l'école, un car de CRS et des policiers patrouillent. Oh non ! Ne me dites pas qu'ils expulsent l'école !! Il me faut quelques secondes pour comprendre que mon école n'est pas un squat, simplement elle est dans la rue d'un bâtiment où travaille le premier ministre. Ce qui explique la présence en permanence du fourgon et des flics.
Dans la cour de l'immeuble, une quarantaine de jeunes bien sapés attendent en fumant des clopes. Puis le directeur de l'école nous invite à entrer. Petit discours de bienvenue dans l'amphi : "Nous n'allons pas faire de vous des petits soldats du journalisme, mais des professionnels consciencieux, estimés par vos confrères, et qui allez porter la renommée de votre école dans la profession..." J'observe mes camarades avec qui je vais passer deux ans : pas mal de jeunes "à la mode", bien peu d'immigrés, et quelques uns qui semblent comme moi un peu perdus, pas franchement à leur place dans cette atmosphère qu'il me faut bien nommer "élitiste".
Quelques jours passent, puis l'idée vient d'organiser une petite soirée pour apprendre à nous connaître. Chacun propose un bar, mais nous savons bien qu'aucun bar ne nous acceptera à quarante. Quelqu'un demande, sans trop d'espoir, si l'un d'entre nous aurait un appartemment assez grand pour tous nous accueillir... j'hésite un instant, ne sachant pas trop si j'ai envie de révéler au grand jour que je vis en squat. Mais comme l'organisation de la soirée s'avère difficile, je me lance : "bin, chez moi, y'a assez de place pour accueillir cinquante personnes."
- quoi ? cinquante personnes chez toi ?
- mais tu habites où ?
- dans le sixième.
- hein ??
- c'est chez tes parents ? ou tu es en coloc ?
- heu... en coloc, oui c'est ça...
Le soir convenu, voila donc mes quarante nouveaux camarades qui débarquent dans mon squat, une bouteille à la main. Un peu surpris de voir qu'en fait on occupe tout l'immeuble, certains me demandent : "mais vous êtes propriétaires ? vous louez ça combien ?" Et c'est parti pour recommencer l'explication : "c'était vide depuis dix ans, la propriétaire ne veut ni louer ni vendre..." Impressionnés, les futurs journalistes. Certains sont admiratifs, d'autres un peu désarçonnés, mais la soirée commence et l'ambiance est au rendez-vous : tout le monde passe une bonne soirée.
Un peu soulagé de me sentir accepté aussi facilement dans le groupe malgré ma solution atypique de logement, je commence à me dire que ces deux années vont peut-être être plus sympa que je ne le pensais !