Sursauter au moindre bruit dans la rue, à la moindre porte qui claque, à chaque sirène de police. Depuis que je vis en squat, à chaque bruit qui peut faire référence à la police ou à une porte qu'on défonce, c'est la montée d'adrénaline assurée, et la peur de l'expulsion qui revient.
Trois expulsions on deux mois, on commence à connaître la musique. 6h du matin pile, l'heure légale, ils défoncent la porte, ils investissent sans bruit tout l'immeuble, puis réveillent chaque occupant en pointant leur lampe torche sur lui : "Faites vos affaires et partez." Ils défoncent à coup de hache toutes les portes pour vérifier qu'il ne reste plus personne.
Plein de flics en armure anti-émeutes sur le tapis du salon, et moi j'émerge d'une courte nuit, la tête dans le gaz, je rassemble vaguement quelques affaires en cherchant du regard mes colocs. Je veux passer un coup de fil à des amis pour qu'ils viennent nous aider, mais un agent saisit aussitôt mon téléphone : confisqué. Je proteste, mais le chef ne veut rien savoir : ce sont les ordres. On vous le rendra une fois dehors.
Je m'habille tant bien que mal, je prends mes papiers, quelques vêtements. Allez, on se presse, prenez juste le minimum, vous récupérerez le reste plus tard. On sait bien que ce n'est pas vrai : à chaque fois on perd tous les objets de valeur, et parfois même les déménageurs envoient toutes nos affaires directement à la décharge. Mais les flics nous poussent vers la sortie à présent. Il faut partir.
"Et où on va aller ?" "Et pourquoi cet immeuble reste-t-il vide quand il y a des gens qui dorment dans la rue ?". Personne ne répond. Visages fermés, le vide. Nos questions passent au-dessus de leur tête, comme s'ils étaient dans un autre monde. Des soldats de plomb. Ils nous poussent dehors, pour laisser le serrurier faire son travail : il pose une porte anti-squat.
Dans la rue, des sympathisants nous attendent. "Application de la loi de réquisition", "Police partout, logement nulle part !" Ils chantent pour ne pas frapper. Quelques caméras arrivent, trop tard pour avoir la moindre image choc.
Et puis on va porter nos affaires dans un autre squat, et l'angoisse de l'expulsion va reprendre.
La préfecture de police, championne de la défense des bâtiments vides... pour qu'ils restent bien vides.