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Billet de blog 4 mai 2010

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DE LA BURQA

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De la burqa.Il semble bien que nous nous orientions, en France, comme cela vient de se faire en Belgique, vers une loi interdisant dans tout espace publique le port de la burqa. Je n’ai pas lu tout de la masse de commentaires qu’a déclenchée cette question, mais suffisamment pour savoir que le sujet suscite beaucoup de passion, et que les prises de positions débordent les clivages politiques habituels.Je suis, pour ma part, étonné que le port d’un vêtement mobilise à ce point l’opinion et la classe politique. N’étant pas historien, je serais incapable de dire si un tel fait a un précédent dans notre histoire nationale. Certes, les « sans-culotte » ont joué un rôle important dans le passé, mais je n’ai pas le souvenir que c’ait été pour leur mode vestimentaire. Quoique…Car selon Wikipédia, pour les « sans culottes » qui, avec la veste à gros boutons appelé carmagnole, portaient le pantalon, le terme devint le signe distinctif, le symbole de l’appartenance au petit peuple des travailleurs manuels et donc l’habit quasi officiel du Tiers-Etat. Cette appellation contrôlée, « sans-culotte », s’opposait donc aux vêtements luxueux que portaient bourgeoisie, clergé et aristocratie, qui, non soumis au travail manuel, n’avaient à s’abimer ni mains ni vêtement.Avant la Révolution, m’a appris Wikipédia, le qualificatif de « sans-culotte » était synonyme de « canaille », ce qui n’est pas sans rappeler la « racaille » que d’aucuns utilisent pour désigner les habitants de certains quartiers. Imaginons que, à l’image de ce qui s’est passé à la Révolution française, tous les gagne-petit, autrement dit la majorité des français, revendiquent le nom de « racaille », par solidarité avec les habitants des dits quartiers, se distinguant ainsi des gens qui vivent sur leur dos et pour signifier le mépris dans lequel la classe dirigeante les tient . Si bien que nous pouvons dire que les citoyens français d’aujourd’hui doivent à la révolution française de porter le pantalon. Quant aux citoyennes, cette conquête est assez récente. Dans les années cinquante, je me souviens qu’une école d’infirmières, à Lyon, interdisait impérativement à ses élèves, toutes des jeunes filles, le port du pantalon. C’était certes les derniers soubresauts de pas mal d’interdits dont était frappées les femmes, car pendant des siècles, il était quasiment impossible pour une femme de porter des vêtements masculins. Ce fut ce type de délit qui, entre autre, a figuré au procès de Jeanne d’Arc. Voici donc avec les porteurs de pantalons qu’étaient les « sans culottes » au moins un exemple du rôle politique que le vêtement a tenu dans l’histoire de France. Et s’il en était de même dans le cas de la burqa ?Mais avant d’aborder la question sous cet angle de la politique, j’aimerais voir l’impact que ce vêtement a sur moi.J’ai séjourné à plusieurs reprises dans les pays du Maghreb, et plusieurs années en Afrique Noire, et ai donc côtoyé des populations dont les us et coutumes étaient très différentes des miennes. Or je n’ai cessé d’être admiratif face à ces différences, que ce soit devant la noblesse des femmes ou des hommes touaregs, ou, en ce qui était à l’époque la Haute-Volta, face à la beauté pudique des femmes nues. Si j’avais à être mal à l’aise, c’était plutôt à cause de mon accoutrement peu imaginatif de petit blanc.Donc, pour moi, je découvre qu’une question de la burqa se pose, ces derniers temps, inventée par des hommes politiques. Ma découverte tient sans doute au fait que je me suis éloigné de la ville et de ses cités périphériques, mais pas seulement.J’ai travaillé plus de trente ans, en équipe, dans des centres de santé de la région lyonnaise, La Duchère, les Minguettes, Saint-Priest, Saint-Jean de Dieu, recevant des personnes, notamment maghrébines, en grande souffrance, des enfants, et des mères. J’ai accompagné et, je crois, compris, le drame de ces femmes, dont les familles ont été entassées verticalement, loin du sol, de la terre, de l’échange, et qui tentaient de conserver un peu de leurs souvenirs, parfum, nourriture, vêtements, du pays d’origine. Pour elles, il était vital, littéralement, de ne pas être totalement coupées de leur racine, de leur enfance, si bien que pour moi, les voir habiller autrement qu’à l’européenne, ce qui aurait été un déguisement, me paraissait normal et d’autant plus acceptable que leurs filles ne rêvaient pour la plupart que d’être de très jolies minettes, habillées à l’européenne.Alors, pour moi, interdire la burqa, ce serait condamner à mort, physiquement, certaines femmes. Ne me dites donc pas, Monsieur Copé, que c’est pour protéger et libérer ces femmes que vous voulez leur interdire de porter la burqa. Vous les tueriez.Or vous défendez votre projet, Monsieur Copé, en supposant que pour ces femmes, la burqa est un carcan imposé par un mari autoritaire. Admettons que ce soit le cas pour certaines, ce qui serait assez statistiquement normal si on se réfère à la quantité de femmes européennes subissant un carcan, certes différent et, en général, moins visible, de la part d’un mari, jaloux, alcoolique, ou tout simplement misogyne. Mais là, comme pour les européennes, ces femmes ont souvent des ressources personnelles leur permettant de s’en sortir. Sinon, les amies, les associations, les services sociaux peuvent leur venir en aide. Il suffit de considérer les progrès accomplis contre l’atteinte autrement plus grave, à mes yeux, que représente pour beaucoup de petites filles la coutume de l’excision. Aucune loi spécifique n’interdit ce fléau, car l’arsenal juridique, et les actions diverses, notamment associatives, là encore, sont suffisants pour le stopper.Alors, s’il vous plait Monsieur Copé, cessez d’invoquer ce prétexte.L’autre raison que vous donnez fait appel à la sécurité.Une automobiliste portant burqa a été récemment verbalisée pour conduite dangereuse par manque de visibilité. Pourquoi pas, en effet. Mais si le handicap ainsi créé se vérifie, il suffit que le code de la route le mentionne, comme tout autre handicap. Pas besoin d’une loi et de tout ce remue-ménage.L’autre raison donné concernant la sécurité est qu’il est impératif qu’un visage soit visible pour qu’en cas d’attentat, d’agression ou autre crime, le coupable puisse être identifié. Pourtant le portait robot d’une femme en burqa devrait faciliter le travail du technicien. ( je plaisante !). Je sais bien que les caméras de surveillance qui couvrent de plus en plus le pays perdraient beaucoup de leur utilité si tous les citoyens se masquaient le visage, et c’est vrai que la presse nous apprend que des identifications peuvent permettre de disculper des innocents, comme récemment un groupe d’hommes, des catalans en goguette, d’abord soupçonnés d’être des terroristes. Mais je pourrais développer des arguments qui annulent votre point de vue : l’utilisation de postiches, et surtout l’atteinte supplémentaire aux libertés que toute la technologie policière met déjà largement en péril… Que des Copé estiment nécessaire et urgentissime la création d’une loi, montrent bien leur affolement, et que leur souci premier est de tout contrôler, qu’ils sont contaminés par la paranoïa de leur chef, qu’ils ne font aucune confiance aux concitoyens. Dire qu’une majorité de ces derniers leur avaient fait confiance !En résumé, je ne vois pas en quoi la burqa portée en France par quelque deux mille femmes peut menacer la sécurité du pays et nécessite la promulgation dans les plus brefs délais d’une loi spécifique.Mais si vous, Monsieur Copé, me donniez d’autre raisons que celles que vous avancez, je comprendrais peut-être en quoi ces femmes voilées vous gênent.A l’opposé du voile intégrale, se trouve la nudité intégrale. Celle-là ne vous gêne pas, et vous avez raison. La nudité, si elle n’est pas accompagnée de provocation, n’est pas considérée par le droit français comme un délit. N’est elle pas belle, comme la vérité ? On a vu récemment un athlète attiré l’attention sur sa cause en courant dans les rues de Paris dans le plus simple appareil, ou des jeunes femmes y circuler toutes nues. C’était surprenant, coquin et amusant.On a même vu il y a peu, et je l’ai vue, la photographie d’une jeune femme toute nue faire la Une de bien des journaux. Je crois que si la personne en question représentait de cette façon Marianne dans nos mairies et ambassades, l’image de la France en serait requinquée. Ça restaurerait un peu ce que son mari se plait à démolir.Tout ça pour dire que la vue du corps, mais surtout du visage, dans notre culture occidentale, est devenue nécessaire. Le vocabulaire en témoigne : face à face, faire face, face à, affronter, effronté, envisager, dévisager, figurant, défiguré…Le visage est cette partie du corps par laquelle chacun, depuis sa plus tendre enfance, s’identifie, se connaît, se reconnaît, et reconnaît les autres. Il m’est arrivé d’être le témoin du drame de certaines personnes qui, à la suite d’une opération, d’un accident (l’horreur partagée d’un visage mangé par le feu par exemple) ne se reconnaissaient pas dans le miroir. Ou autre effroi, l’angoisse pour une personne de se trouver devant le miroir face à un étranger, ne pas reconnaître ce visage pour sien, ne pas savoir qui on est, à qui appartient ce visage, mais aussi cette main, ce corps. La maladie mentale, ça existe, c’est terrible, et ça mérite d’être accompagné avec compétence.Oui, un visage « à découvert », c’est important. Il compte beaucoup dans la relation à l’autre. Il envoie une infinité de messages, essentiels. Il crée des liens, ou les défait, ou les empêche. Il situe les gens, les uns par rapport aux autres.Oui, un visage masqué, dont on ne voit que les yeux, c’est fascinant, mais ce peut être inquiétant. Et si l’on doit avoir une relation avec une personne masquée, ce peut être difficile à vivre. J’en conviens aisément.Mais si l’on comprend que pour une femme se voiler ainsi est vital, que c’est sa manière à elle de ne pas perdre pied, de garder les pieds sur terre, sur la terre de ses aïeux, alors oui, la relation peut avoir lieu dans le respect et l’échange.Mais peut-être que la burqa est aussi, pour certaines femmes, une affirmation, un témoignage, une revendication, celle d’appartenir à une religion stricte, à laquelle on se soumet, envers et contre tout, qui interdit de montrer son visage en public. Dans ce cas, mon interprétation de la laïcité prônée par mon pays, la France, est que moi qui suis athée, me doit de respecter les convictions des personnes, et donc cette obligation qui est faite à une femme de se voiler la face. Je ne pense pas avoir le droit, moi, mais aussi mon pays, de le lui interdire.C’est vrai que ce respect de l’autre exige la réciprocité. Je me souviens avoir animé à Lyon 2, un groupe dans lequel une étudiante, voilée, voulait m’interdire de prononcer ce mot : « Allah ». J’ai fait valoir avec fermeté mon droit à la liberté d’expression et la jeune femme a cédé. A-t-elle compris ? Peut-être, car elle est revenue dans le groupe et que je suis là pour en témoigner.Si bien, Monsieur Copé, que les raisons que vous invoquez pour interdire la burqa ne me semblent pas être celles qui vous animent véritablement. Je ne vous ferai pas l’injure de penser qu’elles ne sont que politiciennes : une manière de récupérer, après votre défaite des Régionales, la maximum de voix de l’extrême droite, en vue de la présidentielle où vous envisagez peut-être de jouer un rôle important.Je crois qu’au fin fond de vous-même, la burqa, c’est l’islam, et que ça, ça vous fait peur, comme à beaucoup de ces français qui applaudiront votre initiative si la loi est votée. Peur que le socle judéo-chrétien sur lequel la France s’est bâtie ne se fissure et que vous ne vous y retrouviez plus.Pour moi, c’est simplement de l’islamophobie. Et pourquoi pas ? La peur est un sentiment humain et qui peut disparaître en l’affrontant, car ce n’est pas en niant la maladie qu’on la soigne. C’est vrai que l’agitation des extrémistes de tout poil fait peur, mais toute religion a, me semble-t-il, ses extrémistes. Cela semble être inéluctable. Aux autres fidèles, modérés, la grande majorité, de leur rappeler qu’une religion, ça relie, (religare), ça ne coupe pas. Pourquoi ne pas leur faire confiance ?

Bien sûr, vous avez des circonstances atténuantes : je vous sais appartenir à un milieu où l’ambiance n’est pas spécialement à la tolérance. Je me souviens de la réflexion de Pascal Clément, ancien ministre, disant quelque chose comme, « si la France voit se dresser autant de minarets que de cathédrales, ce ne sera plus la France ! » et j’ai en mémoire la boutade qu’avait lancée Hortefeux au sujet du musulman auvergnat sur le mode d’une pub antialcoolique : « Un musulman, ça va ! Davantage, bonjour les dégâts ! » Vous y étiez. Un photographe a surpris votre réaction. Vous riez largement. Jaune ?

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