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Billet de blog 19 octobre 2012

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Langues « mortes » ?

Un sujet traité au JT de la 2, hier soir je crois, m’a consterné. Il était question que l’Université abandonne l’enseignement du Grec ancien.  Pas rentable ! Trop peu d’étudiants intéressés.

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Un sujet traité au JT de la 2, hier soir je crois, m’a consterné. Il était question que l’Université abandonne l’enseignement du Grec ancien.  Pas rentable ! Trop peu d’étudiants intéressés.

Il était expliqué que l’on demandait à présent aux Présidents d’Université de se comporter en chefs d’entreprise, dotés de solides connaissances de comptables, pourchassant tout gaspillage, l’enseignement du Grec ancien, par exemple.

J’ai même eu l’impression que le traitement du sujet en question invitait le public à reconnaitre la sagesse d’une telle décision : perdre du temps, mais surtout de l’argent, à enseigner des langues MORTES, plus parlée nulle part, quelle idiotie ! Il faudrait être un peu taré pour inviter des gens à descendre dans la rue et manifester leur émotion devant de telles disparitions. Si « L’automne sera chaud ! » ainsi que l’annoncent certains journalistes, que le peuple se rassure, il ne s’agira pas de la défense du Grec ancien, mais simplement de celle de l’emploi.

Il n’est pas question pour moi de contester le bien-fondé de l’angoisse de milliers, ou millions, de citoyens face au danger de la perte d’emploi, et d’opposer ces revendications à celle qui s’inquiète de la disparition de l’enseignement des langues dites « mortes », car je crois qu’au fin fond, ces drames sont liés.

J’ai eu l’immense chance de bénéficier, jeune homme, des études dites « classiques », ou « humanités ». Or, allez savoir pourquoi, je me suis passionné pour le « Grec » alors que les autres disciplines m’intéressaient bien moins. L‘attrait du graphisme  de « l’alpha/béta » tellement plus poétique que notre alphabet, la subtilité étonnante de la grammaire, la sagesse de ceux qui inventèrent la démocratie, la dramaturgie fastueuse de la mythologie, cet ensemble me dessinait un univers si extraordinaire que j’ai toute ma vie résisté au désir de parcourir les paysages où vécurent les Anciens, par peur de les voir massacrés par les tumeurs modernes.

L’adolescent que j’étais, ayant tendance à contester la sagesse des adultes, dont il touchait du doigt les lamentables limites, fut bien obligé de constater que ceux qui me précédaient n’était pas forcément débiles, qu’ancien n’était pas synonyme de sauvage, et encore moins d’inculte. La civilisation grecque était là pour me le prouver.

J’en eus un jour, la confirmation éblouissante.

En bon petit lorrain, né peu après la « grande guerre », ayant passé une partie de mon enfance dans un village-martyr, Badonviller, sous la férule d’un oncle maternel « grand mutilé » qui montait des spectacles de tranchées et entretenaient une haine du « boche » qui connut son expression suprême durant « l’occupation », je haïssais les allemands, mais, très curieusement, en adorait la langue.

Or au printemps 1944 - j’étais, je crois, en troisième - un détachement de chars allemands vint cantonner dans la cour de récréation du petit séminaire de Bosserville où je faisais mes études. Fascinés par ces hordes sauvages, nous tournions autour d’elles, lorsqu’un jeune soldat, à peine plus âgé que nous, vint à notre rencontre. Nous échangeâmes trois mots. Et, sans doute en guise de calumet de paix, il se mit à nous réciter en grec tout un extrait d’Homère.

J’en fus bouleversé.

Ainsi, sous l’uniforme d’un sale soldat boche, un jeune homme cultivé, fin, sensible sans doute, tentait de nous dire que lui aussi était pétri d’Humanités et qu’il se trouvait embarqué malgré lui dans une guerre absurde.

Je me souviens être sorti de cette rencontre partagé. Partagé entre la tristesse de savoir ennemi ce garçon, et le confus sentiment d’espoir. L’espoir que notre génération ne commettrait pas la même si stupide erreur.

Cet espoir prit progressivement forme et vient d’être reconnu en recevant le prix Nobel de la Paix.

Mais une autre raison me fait dire que mouvements sociaux agités par la crise et abandon du grec ancien sont liés.

Les sages grecs, à travers leur culture, ont façonné une société qui donnait toute sa place à la personne. La civilisation qui en est née, même si elle n’a pas été exempte de violences et d’abus, n’a jamais fondamentalement contesté cette place. Sauf que tout récemment, en pervertissant le produit du travail, en en détournant le profit vers les financiers professionnels et les actionnaires au détriment des travailleurs, cette civilisation vient de mourir. On en a tué l’esprit.

Jusqu’à présent, l’enseignement d’un grec ancien qui n’est plus parlé et injustement baptisé « langue morte », véhiculait l’esprit de sa sagesse. C’est  cette sagesse que les peuples, le peuple grec en tout premier, exigent que l’on retrouve.

L’enseignement du grec ancien dans nos universités me semble capital.

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