Lorsque j’ai pris mes fonctions d’assistant en psychologie sociale en 1966, à la Faculté de Lettres de Lyon, j’ai été confronté à la question de la notation. Des travaux de « docimologie » m’avaient alerté sur la grande subjectivité des notes. Or le sort des étudiants dépendait en grande partie de l’estimation notée de leurs travaux, souvent des dissertations. Avec deux collègues qui conduisaient comme moi des groupes de travaux pratiques, nous mîmes en place des notations croisées. Ainsi une même dissertation était notée trois fois. Et si nous constatâmes de très grandes différences dans nos estimations, celles-ci ne désignaient pas des attitudes systématiquement plus sévères et ou plus laxistes. Je pouvais attribuer à un travail la note de 7/20, et de 14/20 à la copie suivante, alors que mes collègues les notaient inversement. Lorsque nous tentions de justifier nos appréciations, il apparaissait que l’un était par exemple sensible à l’originalité des idées alors que l’autre en sanctionnait l’inorganisation. Et dans tous les cas nous ne pouvions qu’approuver le regard, différent, de l’autre.Plus tard apparut une étude, dont il doit être possible de retrouver les références, qui démontra qu’un travail de sciences dites exactes demandait quelque chose comme 80 correcteurs pour que la note se stabilise, alors qu’il en fallait dans les 120 pour un travail dit de sciences humaines.Par la suite, dans les années 80, une étudiante d’un de mes groupes, qui était professeure de lettres dans un lycée lyonnais, tenta une expérience. Elle avait à noter des dissertations. Elle corrigea ses copies comme elle le faisait d’habitude mais mit de côté les notes recueillies et qui, grosso modo, respectaient la hiérarchie des élèves. Puis elle se rendit dans un quartier lyonnais de la Part-Dieu, aujourd’hui démoli. Elle y avait repéré un immeuble dont l’escalier en colimaçon comportait vingt marches. Se tenant sur le pallier du haut, elle lâcha son paquet de copies. Celles-ci s’envolèrent pour atterrir au hasard. La prof ramassa les copies en leur attribuant le numéro de la marche. Une très bonne élève se vit ainsi attribué un 5 alors qu’un dit cancre récoltait un 18 ? Et ainsi de suite.Lorsque la prof distribua les copies notées de cette façon, chaque élève découvrit étonné, voire furieux pour les meilleurs, un résultat pour beaucoup inhabituel. Mais personne ne dit mot. Ni sur le champ, ni plus tard. Une note, c’est parole d’évangile, ou de coran, ou de Bible. C’est la Vérité et ça ne se discute pas. La prof sait. On ne peut que s’écraser.Ça n’est que quelques jours plus tard que la prof révéla son expérience aux élèves, et les « vraies » notes qu’ils avaient obtenues.Tous les profs, pédagogues, éducateurs, mais surtout les anciens élèves que nous avons été, et parents, ont très probablement des histoires semblables à raconter qui disent le poids d’un regard normatif des adultes, destructeur ou libérateur, de toute manière essentiellement subjectif.Quand on sait que dans des établissements « supérieurs », l’avenir d’une personne, sa réussite ou son échec, se joue sur des centièmes de point en feignant la rigueur, ce serait à mourir de rire si ça n’était pas dramatique.Alors, supprimer les notes au niveau du « premier », pardon du « primaire », comme le demande ses jours-ci un groupe de personnalités, ça me paraît être la moindre des choses.
Billet de blog 19 novembre 2010
Histoires de notes
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