Le tribunal administratif de Bordeaux condamne l’État pour la mauvaise utilisation de ce fichier qui a empêché un chômeur de suivre une formation
Le 6 mai 2012, jour de la défaite de Nicolas Sarkozy à la présidentielle, le « Journal officiel » avait publié, à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, le décret annonçant la création d’un gigantesque fichier : le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ). L’alternance politique n’a pas été fatale à la création de cette volumineuse base de données dont la mise en service est toujours annoncée pour la fin de l’année.
Elle entérinera la fusion du fichier de la gendarmerie avec celui de la police, le fameux Stic (1), étrillé en 2009 par un rapport de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que le TAJ gommera les tares du Stic. Non seulement ce dernier n’est pas un modèle de fiabilité, mais il peut injustement maintenir des demandeurs d’emploi au chômage, comme vient de le rappeler un jugement rendu par le tribunal administratif de Bordeaux
Truffé d’erreurs
Nourri par le flot ininterrompu des procédures judiciaires, le Stic n’en finit pas de prendre de l’embonpoint. Les noms de plus de 7 millions de personnes mises en cause et de près de 30 millions de victimes y figurent désormais. La mise à jour de ce fichier incombe aux services du procureur de chaque tribunal concerné. Faute de moyens, faute d’un outil informatique adapté, faute d’échanges entre les ministères de l’Intérieur et de la Justice, le Stic est truffé d’erreurs.
En 2009, l’enquête de la Cnil avait révélé que 17 % seulement des fiches étaient exactes. Plus de 1 million de personnes blanchies au cours des trois années précédentes étaient toujours considérées comme suspectes par le Stic. Autant dire que son usage dans le cadre d’enquêtes administratives demeure sujet à caution.
Deux lois votées sous les gouvernements Jospin et Raffarin rendent en effet obligatoire la consultation de cette base de données pour le recrutement et l’agrément des candidats souhaitant accéder à certaines professions représentant près de 1 million d’emplois : gardiens, employés d’aéroport, agents de police municipale, diplomates, hauts fonctionnaires… Mais les informations puisées dans le Stic doivent être maniées avec une infinie précaution. Ce dont ne se soucient pas forcément les représentants de l’État.
En novembre 2009, le préfet de la Gironde n’a ainsi pas fait grand cas des propositions faites par la Cnil pour « une utilisation du fichier plus respectueuse du droit des personnes ». Publiées dix mois plus tôt, elles insistaient sur l’existence de deux profils d’accès. Le profil judiciaire délivre toutes les informations. Il a vocation à n’être utilisé que dans le cadre d’enquêtes policières. Le profil administratif ne retient que les condamnations ou les suites pénales défavorables.
Préfet retoqué
Au motif qu’il avait été entendu dans plusieurs procédures judiciaires, le préfet de la Gironde avait refusé de délivrer à un chômeur de Mérignac une autorisation provisoire de carte professionnelle, nécessaire au suivi d’une formation de vigile. L’intéressé, qui a toujours contesté les infractions reprochées, n’a jamais fait l’objet de poursuites et encore moins de condamnations.
« Il appartient à l’administration d’établir les faits sur lesquels elle fonde sa décision », souligne le tribunal administratif de Bordeaux en relevant que le préfet ne produit aucun élément précis à l’appui de son refus. La décision a donc été annulée et l’État condamné à verser au requérant 1 200 euros au titre de ses frais de justice.
(1) Système de traitement des infractions constatées.
Article de Dominique Richard paru dans Sud Ouest le 07 mai 2013