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Billet de blog 8 mars 2011

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Ils ont arrêté Jovan Divjak, héros du siège de Sarajevo

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une photocircule sur internet, une photo révoltante. On y voit Jovan Divjak derrière desbarreaux de prison. Cet homme connu et aimé de tous les Bosniens pour avoirdéfendu héroïquement Sarajevo assiégée, ce Serbe qui a maintenu contre vents etmarées un idéal de coexistence entre les communautés de l’ancienne Yougoslavie,ce général reconverti dans l’humanitaire, fondateur d’une association trèsactive d’aide aux orphelins et aux victimes de guerre, ce brave qui fut lepremier citoyen de Bosnie-Herzégovine à recevoir la Légion d’Honneur française,notre ami « Jovo » Divjak a été arrêté à Vienne sur mandat d’Interpollancé par la Serbie.

La Serbie n’estpas libérée de ses démons. Elle n’en finit pas de falsifier l’histoire, et de travestiren criminels de guerre les victimes de sa politique passée. Ilija Jurišić, TihomirPurda ou Ejup Ganić ont déjà subi de telles attaques, d’autres viendront, on enconnaît la liste. Ceux-là ont finalement été relâchés, après des semaines oudes mois de prison, devant l’inanité des accusations. Mais le but est chaquefois atteint, qui est de conforter en Serbie les factions toujours vivaces del’ultranationalisme, et d’insinuer à l’extérieur que dans cette guerre lesresponsabilités furent somme toute partagées ― ce qui constitue un mensonge inadmissible.

Criminel deguerre, Jovan Divjak ? Lors de l’agression de la Bosnie par l’armée deMilosevic, ce haut gradé a refusé de servir les intérêts des nationalistesserbes, bien qu’étant serbe lui-même. Il a pris le commandement de l’armée deBosnie-Herzégovine dans des conditions de dénuement et de danger extrêmes.Pendant quatre ans, tandis que chancelaient les chancelleries européennes,tandis que la prétendue communauté des nations fermait pudiquement les yeux devantle meurtre en direct et à tout petit feu d’une population, Jovan Divjak estresté fidèle à son poste et à ses idéaux. Il est accusé d’avoir participé àl’attaque d’un convoi militaire le 3 mai 1992, rue Dobrovoljačka, au cours delaquelle plusieurs soldats serbes ont péri. Pendant ce temps, les obuspleuvaient sur les enfants de Sarajevo. Haï par les Serbes nationalistes,regardé avec suspicion par les nationalistes musulmans ou croates, il a tenubon, comme Sarajevo a tenu bon. En Serbie, de nombreux démocrates fontaujourd’hui connaître leur indignation. Dans la capitale bosnienne, descentaines de manifestants sont venus crier leur colère et leur dégoût devantl’ambassade d’Autriche.

Allons-nousrester bras ballants, et laisser pendant des mois cet homme en prison ?Serons-nous hypocrites et lâches à ce point ? Divjak est l'honneur de l'Europe. Pendant des années, nousavons laissé courir de vrais criminels de guerre, nous leur avons parfoisfourni un passeport français, comme à Ante Gotovina, au titre de« services rendus ». Les polices d’Europe coopèrent efficacement dansla traque des migrants, elles ont réussi le tour de force d’arrêter JovanDivjak, mais elles restent impuissantes à obtenir la reddition de Ratko Mladic.Voilà un bien mauvais signe pour l’avenir de l’Europe. Depuis longtemps, connaissantla menace qui pesait sur lui, Jovo Divjak assurait en souriant qu’il ne croyaitpas à la possibilité de son arrestation sur un mandat d’arrêt émis par laSerbie : il y a tout de même des limites. Une preuve supplémentaire quecet homme est un idéaliste dangereux. Il ne nous reste qu’à crier, comme lesmanifestants de Sarajevo, samedi : « Jovan, nous sommes avectoi ! » Qui sait, quelqu’un nous entendra peut-être.

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