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Billet de blog 11 décembre 2025

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La démocratie, variable d’ajustement des lois d’Airain de l’économie

Les tristes passions se déchaînent car nous serions devenus ingouvernables, de pathétiques gaulois en quelque sorte ! Si la constitution précise que la souveraineté nationale appartient au peuple, la démocratie est quant à elle devenue la variable d’ajustement, subordonnée aux lois d’airain de l’économie

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Quoi de plus risible, voire dramatique, qu’un centre politique, ni de droite, ni de  gauche, un extrême centre (Serna) demande, voire exige que les représentants du peuple s’imposent de fabriquer et de s’accorder sur des compromis, érigés en vertu cardinale d’une démocratie à bout de souffle, confondant compromis avec compromissions, rendant responsables les parlementaires du chaos créé de toute pièce par l’hubris du Président.

Or cette démocratie, mal nommée, se refuse à la confrontation, à la controverse et s’appauvrit dans la quête du bon sens, que l’extrême droite adule, ou encore, du politiquement correct, d’une gauche fatiguée par de longues décennies de compromissions, confondant ces dernières avec la fabrique des compromis, compromissions les plus serviles rendant les peuples à la servitude des lois d’airain, la raison mortifère d’un capitalisme toujours plus vulgaire, où les lois économiques érigées en dogme ne peuvent plus être soumises à la sagacité des nécessaires débats, pourtant fondamentaux pour faire société. 

Car ceux qui ont le droit de penser et de dire ont fait sécession avec le réel et le reste de la communauté. Il y a ainsi des terrains, qui dans nos démocraties érigées du titre de libérales, sont exclus du champ délibératif. Malheureusement, la liste s’allonge inexorablement, le champ ouvert au débat s’amenuise en peau de chagrin. 

Que reste-t-il comme espace de liberté et d’innovation dans ce campisme emmuré ? Car celui qui tente d’y échapper essuie les hydres des bien pensants, les noms d’oiseaux fusent, tantôt wokiste, éco-terroriste, ou encore complotiste. C’est ainsi qu’il est toujours plus facile, de jours en jours de se retrouver au banc de la société. Le sacré n’est plus l’apanage des églises ou autres temples, il ruisselle dans les sujets qui sont devenus la seule propriété d’une corporation gardienne du temple, les experts et journalistes de plateaux des chaînes privées mais aussi publiques qui sont vigilants à chasser le déviant, l’oiseau de mauvaise augure, celui qui pense différemment. Et ces derniers trouvent financement de leurs petites affaires dans la bollorisation de la société.

Au sein du cénacle de la bien pensance, il y a des codes à respecter, des comportements à éviter, des notions à bannir. Aucun dérapage n’est permis, à défaut, c’est le goudron et les plumes. Ainsi, ce qui s’appelle débat est une simple joute oratoire, une éloquence entre des éléments de langage qui font référence et dont il convient de ne pas s’égarer. Attention aux sorties de piste ! Le fond se dessèche, l’insignifiance (Castoriadis) est magnifiée, entretenue. 

La complexité est rejetée. L’évidence ne doit plus être considérée comme un obstacle à la connaissance (Bachelard). L’évidence est devenue connaissance. Ainsi un sondage d’opinion supplante le sociologue, une donnée à elle seule ruine des années de recherche conceptuelle, l’empirisme fait loi, les micros trottoirs nous révèlent la pensée de ce que le peuple pense… l’histoire se rabougrit dans le récit national et la réinterprétation des faits pour servir les basses besognes des décideurs politiques. 

Ainsi les parlementaires doivent voter le budget de la sécurité sociale à partir d’un cadre financier imposé sur lequel ils se retrouvent impuissants pour agir et où les enjeux (vieillissement de la population, santé mentale, désertification médicale… ) sont les grands oubliés. 

Quant aux organisations syndicales, elles doivent s’arranger elles aussi avec un cadre fixé par le gouvernement et/ou le patronat, ce qui revient pour ces dernières à négocier les miettes, alors que les dividendes s’amoncellent, les rendant complices du délitement de notre modèle social. 

Que peut-il sortir de tels jeux de dupes, de simples compromissions rendant la substance même de la démocratie suspecte ? Comment faire confiance à nos représentants élus à l’Assemblée Nationale, ou dans les entreprises ? Si ces derniers sont réduits à de simples faire-valoir ? Comment croire encore au bien fondé des conventions citoyennes où leurs travaux ont été saccagés, classés sans suite comme les cahiers des doléances lors de l’ «épisode des gilets jaunes » ! 

Partout est le règne de l’os à ronger, faut-il suspendre la contre réforme des retraites durant deux ans en acceptant de couper telle ou telles branche de la protection sociale ? Avec la logique des  choix de Sophie à tous les étages, nos représentants ou plus généralement la société civile s’engluent, ne créent plus rien et perdent ainsi en légitimité, en crédibilité. 

Le fait du Prince s’impose alors, Prince plus ou moins autocrate et visionnaire. Mais la pensée unique verticalisée conduit malheureusement à l’impasse que le débat, la controverse aurait permis d’éviter. Comment prétendre que face aux défis de plus en plus nombreux, une seule voix, un seul homme est en capacité de conduire en toute pertinence les nécessaires transitions et prises en compte des besoins et aspirations. 

Alors rien ne sert de s’énerver sur la prétendue difficulté de nos représentants qui feraient bien de s’accorder, pour ne pas se diviser, quitte à accepter l’insoutenable. Car l’insoutenable, ce sont les inégalités croissantes, l’accumulation de richesses auprès des possédants pour lesquels le moindre compromis s’apparente à un crime de lèse majesté, car ils sont la raison et nous sommes leurs sujets. Il faudra bien un jour en tirer toutes les conclusions qui s’imposent. Ces derniers ne sont pas pas nos alliés, ni nos partenaires mais les empêcheurs du dépassement de l’ensemble des contraintes qu’ils nous ont mis entre les jambes afin que nous ne puissions plus prendre notre destin en main de façon raisonnée. 

En effet, pourquoi est-il si difficile de trouver les moyens du financement de notre modèle social, alors même que les dividendes s’accumulent, que les aides aux entreprises sont sanctifiées, que la fraude fiscale ne semble plus un délit, la liste de ces incongruités pourrait s’allonger à l’envi.

Le compromis se construit entre des gens de raison, animé par l’intérêt général, et ces derniers ne débattent pas des miettes à se partager mais construisent ensemble un projet, un fil directeur qui fait sens, un bien commun où les habitants renouent avec la confiance en leurs institutions et où le plaisir du débat est retrouvé. 

Nous avons su avancer sur cette piste notamment lors de nos échanges autour du référendum sur le traité constitutionnel. Alors rouvrons cette brèche… pour notre santé mentale et notre modèle social à préserver, voire reconquérir. Car ce qui nous manque n’est pas un budget mais du plaisir à vivre ensemble.

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