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Billet de blog 17 mars 2025

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Étendre la "dissuasion nucléaire" française à l'Europe : qu'en pensent les Français ?

Sondage IFOP-ACDN

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A la demande de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN), l’Institut Français d’Opinion Publique (IFOP) a procédé à une enquête sur le soutien des Français à l’extension de la "dissuasion nucléaire" française aux États européens alliés de la France.

L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération.

Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 12 au 13 mars 2025.

Mise à niveau :

La "dissuasion nucléaire" française consiste à menacer d’employer l’arme nucléaire, comme un "ultime avertissement", contre un pays qui menacerait les intérêts vitaux de la France.

Le Président de la République a fait savoir dans son allocution du 5 mars 2025 qu’il avait « décidé d’ouvrir le débat stratégique sur la protection par notre dissuasion (nucléaire) de nos alliés du continent européen.

Question : Etes-vous d’accord avec cette proposition du Président de la République ?

***

Les résultats de l’enquête

D’après Ie sondage, il apparaît que les Françaises et les Français sont très partagés. Quatre sur dix (40 %) sont d’accord avec la proposition du Président (11% tout à fait d’accord, 29 % plutôt d’accord). Près de quatre sur dix ne sont pas d’accord (38 %, dont 16 % plutôt pas d’accord et 22% pas du tout d’accord). Un peu plus de deux sur dix (22%) ne se prononcent pas.

Les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à ne pas se prononcer (29 % contre 15%). Parmi celles qui se prononcent, le partage est quasiment égal entre celles qui approuvent (35 %) et celles qui désapprouvent (36%) la proposition présidentielle, mais celles qui sont tout à fait d’accord ne sont que 7% contre 19 % pas du tout d’accord.

Chez les 85 % d’hommes qui expriment leur avis, 45% lui sont favorables, dont 15% seulement le sont tout à fait, tandis que parmi les 40 % qui lui sont hostiles, 26 % ne sont pas du tout d’accord.

Globalement le pourcentage de Françaises et de Français franchement hostiles à la proposition (22 %) est le double de ceux qui lui sont franchement favorables (11%).

L’âge intervient également. En règle générale, plus on vieillit, plus les avis sont tranchés. Les moins de 35 ans sont 33 % à ne pas se prononcer, tandis que chez les 35 ans et plus, 18 % seulement ne se prononcent pas, dont 15% chez les plus de 65 ans. Les avis favorables l’emportent dans toutes les tranches d’âge sauf une, celle des 50-64 ans, qui sont 39 % d’accord, dont 12 % tout à fait, contre 43% pas d’accord, dont 28 % pas du tout. Dans toutes les tranches d’âge sans exception, le même phénomène s’observe : la proportion des « tout à fait d’accord » est surpassée par celle des « pas du tout d’accord », parfois même du simple au triple (35-49 ans : 7% tout à fait d’accord, 21 % pas du tout).

En d’autres termes, les adversaires de la proposition présidentielle, quoique légèrement moins nombreux que ses partisans (38 % contre 40 %) semblent beaucoup plus déterminés dans leur opposition que ses partisans le sont dans leur soutien.

Sans surprise, la proximité politique des sondés (déclarée par eux-mêmes sous garantie d’anonymat, ainsi que leur vote au 1er tour de la présidentielle 2022 et leur vote au 1er tour des législatives 2024) détermine largement leur choix entre soutien ou opposition. Deux critères principaux semblent intervenir : le positionnement des partis par rapport à l’Europe, et leur positionnement par rapport au Président de la République. Cependant, ce dernier critère paraît relativement secondaire, sauf chez les macronistes.

Ainsi, les sympathisants de la majorité présidentielle sont 71 % à soutenir sa proposition, dont 85 % chez les sympathisants de Renaissance. A droite, les sympathisants des Républicains apportent très majoritairement leur soutien à la proposition (59 % contre 34 %).

A l’inverse, les opposants les plus déterminés se trouvent dans la « droite radicale ». Les sympathisants du Rassemblement National sont deux fois plus nombreux à s’opposer à la proposition du Président de la République qu’à la soutenir (52 % contre 26 %) et 9 % seulement à la soutenir tout à fait, contre 31 % à n’être pas du tout d’accord. Les électeurs d’Eric Zemmour (une catégorie faiblement représentée dans l’échantillon) sont 3% tout à fait d’accord, 33 % plutôt d’accord, 4 % plutôt pas d’accord et 49 % pas du tout d’accord (le record absolu).

A gauche, la majorité des électeurs du Nouveau Front Populaire aux législatives de juillet 2024 soutient la proposition (49 % contre 29 %). Mais la question introduit un fort clivage entre les sympathisants de LFI et ceux des autres partis du NFP, socialistes et écologistes (les électeurs communistes n’étant pas précisés). Ceux de LFI sont à 35 % favorables à la proposition (dont 7% tout à fait) et à 41 % hostiles (dont 27 % pas du tout d’accord). A l’inverse, ceux du PS sont à 61% favorables à la proposition, à 27 % hostiles. Chez eux, la fermeté du soutien (20 %) l’emporte largement sur la fermeté de l’opposition (6 %). Ceux des écologistes se positionnent de façon quasi similaire (58 % favorables, 28 % hostiles). Cependant leur soutien est nettement moins ferme (11 % de tout à fait d’accord, contre 9% de pas du tout d’accord) que chez les socialistes.

Les sondé(e)s qui ne déclarent aucune sympathie partisane sont un tiers (33 %) à ne pas exprimer d’avis sur la question, et les deux tiers qui s’expriment se partagent entre 29 % d’accord (dont 6 % tout à fait) et 38 % pas d’accord (dont 24 % pas du tout, quatre fois plus). Là encore, comme partout ailleurs sauf chez les sympathisants des socialistes, on constate que l’opposition à la proposition du Président est bien plus ferme que le soutien.

***

Il ressort de l’ensemble du sondage
 - que la proposition du Président de la République, en-dehors de son parti,  est loin de faire l’unanimité, soit pour elle, soit contre elle,
 - que néanmoins les opposants sont partout plus résolus que les soutiens (à l’exception des sympathisants socialistes)
 - et que bon nombre de Français (15 %) et surtout de Françaises (29 %) attendent sans doute davantage d’information pour se faire une opinion. Cette attente est tout particulièrement marquée chez les jeunes de 18-24 ans (28 %) et ceux de 25-34 ans (36 %).
La question mériterait donc d’être sérieusement débattue, voire tranchée par un référendum.

Il convient en outre de remarquer que la question portait sur l’extension de la « dissuasion nucléaire » française aux alliés européens, et non sur cette dissuasion elle-même, c’est-à-dire sur son efficacité et sa légitimité. Un éventuel référendum sur son extension à l’Europe ne devrait surtout pas faire l’économie de cet autre débat, puisque les Français n’ont jamais été consultés sur l’utilité, pour eux-mêmes, de la force de frappe nucléaire française ni avant, ni après l’explosion de Gerboise Bleue le 13 février 1960.

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Sondage IFOP-ACDN Tableau des résultats : Voir https://www.acdn.net/spip/spip.php?article1397

Voir en ligne : La dissuasion nucléaire : un non-sens tragique et stratégique

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