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Billet de blog 1 décembre 2025

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Nicolas Metzdorf ou la perpétuation du "Statu quo démocratique" en Kanaky

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Députés fantômes et âmes mortes : Nicolas Metzdorf ou la perpétuation du "Statu quo démocratique" en Kanaky

La critique du "vivre-ensemble" calédonien comme superstructure destinée à conforter l'ignorance blanche trouve un parfait opérateur politique en la personne du député Nicolas Metzdorf. Son rôle dans la mise en œuvre de l'accord de Bougival et du report des élections provinciales ne relève pas d'une simple participation : il incarne l'exécutant technique d'un dispositif de pouvoir visant à vider la démocratie de sa substance conflictuelle pour perpétuer un ordre inégalitaire.

Le Tartempion de l'État administrant : une figure de l'exécutant servile

L'expression "Tartempion" employée par les théoriciens pour décrire un intervenant politique interchangeable, attaché à des principes idéologiques figés et dont la seule fonction est de remplir un rôle pré-écrit dans un débat factice s'applique avec une pertinence chirurgicale au député Metzdorf. Dans le dossier néo-calédonien, son action se résume à une servilité exécutive au service de la ligne définie par l'État français et les intérêts loyalistes les plus conservateurs. Que ce soit en tant que rapporteur de la loi controversée sur le gel du corps électoral, porte-voix parlementaire du report des élections, ou signataire puis promoteur zélé de l'accord de Bougival, Metzdorf agit non comme un législateur libre et critique, mais comme le relais commode d'un processus de "passage en force" institutionnel. Son activité parlementaire foisonnante (participation à de très nombreux groupes d'études et de commissions) sert de vitrine à une action profondément alignée, lui permettant de donner le change d'une participation démocratique dynamique. Comme Tchitchikov dans " Les Âmes mortes " de Gogol, ce héros qui parcourt la campagne pour acheter aux propriétaires terriens des serfs décédés mais toujours inscrits sur les registres pour s'enrichir fictivement, Metzdorf agit dans un registre symbolique, monnayant un processus démocratique vidé de sa substance réelle.

La promotion d'un "Droit" contre l'Égalité : un vernis universaliste au service d'un projet colonial

Le discours public de Metzdorf est symptomatique. Il présente systématiquement ses actions comme la défense d'un principe universaliste et républicain supérieur, tel que "le droit pour tous les Calédoniens établis de longue date de pouvoir revoter dans leur pays". Cette rhétorique évacue toute l'histoire coloniale, le traumatisme du "peuple premier" kanak, et les déséquilibres structurels profonds qui fondent la revendication indépendantiste. En accusant "la branche la plus radicale des indépendantistes" de considérer "qu'il y avait des gens plus légitimes que d'autres", il retourne l'argument de la légitimité historique et autochtone contre ceux qui le portent, l'enrobant dans une dénonciation moralisante du "racisme". Cette posture permet de disqualifier toute demande spécifique de reconnaissance ou de rééquilibrage comme une atteinte à l'égalité, et de justifier ainsi le "dégel" du corps électoral perçu comme un moyen de "minoriser encore plus le peuple autochtone". Cette logique est précisément celle du "vivre-ensemble" dénoncé : l'acceptation des termes d'un pacte social défini par le dominant, où les kanak sont sommés d'abandonner leurs revendications historiques au nom d'une égalité formelle qui ignore leurs conditions réelles d'existence. Metzdorf se fait ainsi l'avocat d'une conception aseptisée de la démocratie, où la simple "ouverture du corps électoral" est présentée comme un progrès suffisant, indépendamment du contexte colonial qui en détermine les conséquences politiques.

Bougival : une politique d'"âmes mortes" démocratiques

L'accord de Bougival, que Metzdorf qualifie de "tournant historique", est l'apothéose de cette stratégie. Il est structuré comme un compromis technique qui, sous couvert d'innovation (l'"État de Nouvelle-Calédonie", la "nationalité calédonienne" associée), enterre la question de l'indépendance. En effet, l'accord scelle un statut interne à la République française et stipule explicitement qu'"aucun nouveau référendum d'indépendance ne sera organisé". Les concessions que Metzdorf reconnaît avoir faites comme la création d'une nationalité calédonienne ou la possibilité future de transferts de compétences sont des "âmes mortes" au sens gogolien : des entités juridiques formelles qui donnent l'illusion d'une souveraineté et d'une émancipation, mais dont l'inscription dans la Constitution française et le contrôle final de Paris (sur la défense, l'ordre public, la monnaie) assurent la stérilité politique réelle. L'objectif loyaliste, rappelé par Metzdorf lui-même, est clair : sortir de "la logique d’'après' perpétuel" et de la "transition vers une potentielle indépendance". Il s'agit d'une mise sous cloche définitive de la décolonisation.

La violence de l'ordre : la paix du cimetière institutionnel

Cette mise en scène d'un retour à l'ordre par la procédure et le consensus masque une violence symbolique extrême. Le report des élections, ardemment défendu par Metzdorf qui y voit la condition pour "se donner le temps" et faire avancer l'agenda de Bougival, est vécu par les indépendantistes comme une "confiscation" du droit à décider et une tentative de geler la vie démocratique pour préserver une majorité loyaliste. Lorsque le député assure qu'il "veillera (...) à ce que l’esprit de l’Accord de Bougival soit scrupuleusement respecté, et qu’aucune ambiguïté ne subsiste", il ne fait qu'activer son rôle de Tartempion : garantir que les règles du jeu, définies pour neutraliser toute velléité d'indépendance, seront appliquées avec une rigueur implacable.

En conclusion, la figure de Nicolas Metzdorf dépasse celle d'un simple politicien loyaliste. Elle incarne l'agent d'un système qui utilise la grammaire de la démocratie libérale, l'égalité formelle, la procédure, le compromis pour enterrer la question décoloniale sous une chape de plomb juridique. Son action efficace et volontariste contribue à produire une "paix" calédonienne qui est celle du cimetière politique, où les aspirations à la souveraineté sont enregistrées, reconnues, mais privées de toute force vitale. En cela, il est bien plus qu'un adversaire politique pour les indépendantistes : il est l'opérateur de la machinerie qui transforme la promesse de l'émancipation en une "âme morte" de plus, inventoriée dans le livre de compte de la République française.

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