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Billet de blog 2 novembre 2021

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Les inégalités, le terreau du national-populisme


Les questions d'égalité, de liberté sont centrales dans nos sociétés contemporaines. Elles constituent le prisme de la modernité. Toutefois l'exclusion en vigueur dans les sociétés post industrielles, tend à nuancer une réelle égalité. Pour Alain Tourraine le passage de la société industrielle, à la société post industrielle qu'il qualifie de transition de société industrielle, à une société de marché, voire de société d'exploitation, à une société d'exclusion du fait d'un « fossé social » qui émerge entre classes sociales. Causé par la post-industrialisation, d'où l'on voit apparaître de nouvelles normes. Selon le sociologue ; « Nous étions dans une société industrielle où on était en haut ou en bas, nous sommes maintenant dans une société où on est dedans ou dehors »L'ouvrier pauvre dans une société industrialisé est enclin à une forme d'interdépendance sociale vis-à-vis de cette société. Il est dépendant d'un système de solidarité nationale (la redistribution). Aujourd'hui, votre rapport à la technologie, conditionne votre intégration dans une économie, de plus en plus tertiarisé, caractéristique des sociétés post industrielles. Ceci est encouragé par la libéralisation économique propre au sol américain, mais qui à travers la mondialisation se globalise.

La vulnérabilité des masses est à l'origine de cette « désaffiliation », une paupérisation alarmante des conditions de travail (interim, CDD à répétition, etc), et une dissolution du lien social ( famille monoparentale, tissu associatif faible). Faisant écho à la théorie économique des « insiders outsiders », relatant le fait de flexibiliser le marché de l'emploi. Cela revient à dérégulariser le Code du Travail pour inciter les entreprises à embaucher, pour augmenter leurs productivités, ce qui peut conduire à plus de croissance et de consommation. D'après cette théorie le salaire minimum peut constituer un frein à l'embauche pour les entreprises. Du fait que les outsiders sont bien souvent peu performants, car pas assez expérimentés. Cette théorie explique en partie la morosité du paupérisme croissant en Occident, qui subit une mondialisation galopante (délocalisation).


L'Occident a déjà vécu sa révolution industrielle. Il peine à se renouveler, et flirte avec les questions identitaires ( débats sur l'identité nationale) en pointant du doigt les communautarismes comme obstacle à un rayonnement national. C'est pourquoi le national-populisme incarne un projet politique nostalgique d'un « âge d'or » (les trente glorieuses). La montée du populisme s'inscrit dans la pensée de Carl Schmitt, pour lui, la politique incite à la « discrimination de l'ami, et de l'ennemi », la désignation d'un ennemie pour cette pensée constitue le début de ls politique. La difficulté qu'éprouve l'Occident, à se réinventer cristallise ses inquiétudes face à la montée de puissances comme la Chine. La doxa néo-libérale qui a pourtant pris vie en Occident est en train d'asphyxier celui-ci. Pour le sociologue américain Anthony Giddens, « l'Occident souhaite la mondialisation alors que celle-ci affaiblit son pouvoir ». 

Au Nord, les questions identitaires redondent de démagogie, en flirtant avec la nostalgie d'une hégémonie flamboyante animée de démocratie et de liberté. Le Nord en général et le modèle états-unien en particulier n'incarnent plus la vertu. Expliqué pour les USA via un interventionnisme dicté par la souveraineté du dollar tant l'expropriation d'or noir reflète l'ambition impérialiste américaine. Une prise de conscience émise par des lanceurs d'alertes, devenus les martyrs de la démocratie. Dans un Nord qui fort de son aplomb stigmatise le Sud du fait de dictatures composant ce dernier. Propre au climat politique du Nord qui se fortifie autour du " nous contre eux ", via la lutte contre le terrorisme. Un climat retentissant contre tout ce qui est étrange/étranger aux cultures/identités nationales du Nord ( ciblant ainsi les minorités situées dans les pays du Nord). Une xénophobie relayée, lors de différents mandats politiques où les discriminations à l'encontre de minorités, perdurent. Les élections se succèdent mais le mal-être des plus vulnérables  se ressent, au fur et à mesure que les droits sociaux diminuent. Parallèlement l'évasion fiscale incarne un tabou, un malaise tût par la théorie du ruissellement, ce dogme reconduit comme seul chemin menant au bonheur. C'est dire si, l'espoir paraît mince de voir la classe politique combattre le capitalisme prédateur. De ce fait les sociétés civiles ici comme là-bas, ont pour commun, un destin pris en otage par une oligarchie transnationale qui au détriment d'acquis sociaux, prospère. Ceci est maquillé au Nord, par un choc des civilisations via le fantasme d'invasions barbares. Alors que l'ensauvagement de l'ultra-libéralisme gangrène et tue les Etats-nations. Une lutte des classes qui est exacerbée par un système globalisé, de domination et d'aliénation, vanté comme libérateur, le néolibéralisme. Celui-ci à travers une classe politique établit par ses soins ( la corporate governance, exemple le gouvernement Goldman Sachs), institue un choix politique/social binaire ( anciennement incarné par le  clivage  gauche-droite qui dérive vers un clivage bloc bourgeois vs populisme ), pour masquer le basculement vers le tout privé.

Le national-populisme, une dérive identitaire/sectaire

Les discours identitaires évoquent la quête d'un idéal unitaire. À ce titre, l'identité nationale française est vantée telle une communauté nationale qui supplante le multiculturel. Fort d'un projet républicain qui s'éprend d'égalité. Hormis que les conditions sociales des basses classes démentent cette dernière. D'après Réjane Sénac les « non-frères », ceux qui ne sont pas compris dans la fraternité républicaine (historiquement les femmes, et les non-blancs), sont victimes d'un héritage républicain sexiste et raciste. L'image du dominé, comme héritage colonial persiste. Le racisé souffre d'une double tare, celle d'être racisé, puis de se rattacher (inutilement) à son particularisme, car sa potentielle non-assimilation/intégration, suppose qu'il refuse la modernité (la culture nationale, l'universalisme des Lumières). Tandis que la vision apologétique d'une identité nationale construite autour de la blanchité ( la blanchité relative non pas au niveau épidermique, mais caractérise un rapport à l'hégémonie politique, sociale et culturelle), diffère du réel, car cette identité a besoin de pluralité pour favoriser son rayonnement. Ainsi, les partis politiques basant leurs projets politiques sur une identité atavique sonnent comme une mésinterprétation. Mise à part si on la comprend comme un euphémisme permettant de priver les minorités, d'énonciation sociale. Une société qui s'offusque de ce qu'elle ne cherche ni à comprendre, ni à rencontrer, en cristallisant la différence par la peur de l'autre. Si on tient compte de discours xénophobes décomplexés jalonnant l'espace médiatique, ces dernières années. Du fait que  les ethnonationalistes veulent imposer aux minorités via l'assimilation/intégration, un bon vouloir teinté d'ethnocentrisme.

Tout est question ici de marqueurs, d'habitus, de pratiques, de ressentis qui cristallisent dans la binarité. D'où l'enjeu de cette composition qui analysera cette binarité via l’instrumentalisation de l'identité nationale qui s'inscrit dans un contexte d'espaces incompatibles, disons le de communautarisme. Cette juxtaposition d'espaces incompatibles renvoi à la notion d'hétérotopie de Michel Foucault. L'hétérotopie caractérise une séparation d'espaces, trouvant son origine pour Frantz Fanon, dans la colonisation, car celle-ci institue une hiérarchisation d'espaces. Cette hiérarchisation rend compte encore aujourd'hui, de conditions économiques/sociales/spatiales inégales selon le degré d'appartenance des individus à la triptyque classe/genre/race (l'intersectionnalité). L'hétérotopie est le reflet de la coercition, exercée sur les subalternes, souffrant d'un manque de repères, de contradiction de règles sociales. Ce constat traduit un mal sociétal profond, mais un mal nécessaire qui nuancent les bienfaits d'un progrès social de façade car sélectif et instrumentalisé politiquement. En somme, l'hétérotopie se révèle être un baromètre de l''anomie . L'hétérotopie s'inscrit dans la continuité de l'existence humaine, son historicité pour Hegel ne peut s'interpréter, sans violence, car cette existence a toujours été duale.


Ces espaces incompatibles correspondent pour les basses classes a une place, prédestiné pour invisibiliser loin du brillant centre ville, les prolétaires en général et les racisés en particulier. Ces derniers ont le rôle d'indésirables dans la vie, au petit écran, comme au septième art. Quand bien même, ils ont des rôles pour amuser/colorer la galerie, tant qu'ils ne remettent pas trop, le système d'oppression en cause. Tel un oiseau exotique en cage espérant avoir quelques graines. La liberté est un doux rêve, n'étant pas destiné à tout un chacun, si on la comprend comme un privilège qui permet à des gens plus libres que d'autres de continuer à exploiter le reste de la population, tout en nourrissant l'espoir qu'une société meilleure verra bientôt le jour. Faisant écho au désir de reconnaissance des subalternes qui alertent la société sur leurs conditions d'existence précaires. Face à l'opulence ostentatoire des privilégiés qui apparaît faussement accessible, dont l'espoir insufflé au prolétariat, d'y accéder à travers la méritocratie (grâce notamment aux lois anti-népotismes), suffit à huiler les rouages de la machine capitaliste.

Ces espaces sont des refuges cognitifs pour des personnes ayant du mal à trouver leurs places, dans la société et dans le monde. Pour Alain Marie, les individus n'ont d'autres choix que de se tourner vers des formes de solidarités collectives, représentant la seule forme de solidarité accessible pour les plus modestes. C'est dire si les inégalités n'ont jamais été aussi probantes, d'un choix politique d'asservir les subalternes, tout en institutionnalisant un climat de méfiance, envers les minorités. Dans le but de justifier l'oppression de ceux par qui la différence culturelle paraît évidente, mais avant-tout nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme. À ce propos Étienne Balibar, nous indique dans « Race, nation, classe » que l'État ne peut instaurer l'universalisme, à savoir une réelle égalité, car le racisme lui permet de paupériser une partie de la population, afin de disposer d'une force productive à bas salaire. D'après ce philosophe « il s'en suit dans le discours politique d'un yo-yo permanent entre universalisme et racisme, comme fond idéologique du discours politique ».
Le pouvoir stigmatise les minorités par un racisme dont il est l'instigateur. Si on considère le fait que les subalternes subissent des discriminations, dans le pays des droits de l'homme. Cela parait insupportable pour une génération qui a vu leurs parents souffrir d'un racisme qui lors des trente glorieuses était toléré. Aujourd'hui, ils ont gagné leurs places, via les études, l'entrepreneuriat, autant dire les méandres de la méritocratie. Ils donnent de la voix dans un pays ( qui est aussi le leurs) qu'ils contribuent à construire, et à y faire évoluer les mœurs. En alertant l'opinion publique sur la nécessité de créer du commun, autour notamment d'une mémoire collective, pour porter ensemble, un regard lucide sur l'histoire.

Suite à quoi le racisme ne peut être compris, comme une dérive « passagère », tandis qu'il fait partie du système. C'est-à-dire un fait social total représentant la société dans sa totalité ( le politique, l'économique, le religieux, puis le social). Le racisme comme système politique fasciste, incarne la vision exacerbée, du capitalisme, donc il ne suffit pas d'être anti-raciste, pour combattre le racisme, il faut aussi être anti-capitaliste. Étant donné que le capitalisme institue une déresponsabilisation, une indifférence de l'autre, justifiant ainsi, l'oppression de tous ces autres (minorité et biosphère). Le racisme prend une forme de servitude volontaire, envers une société inégalitaire, aveuglant ainsi les individus, au sort de l'autre qui se concentrent sur leurs bien-être, ou déconsidèrent l'autre pour justifier leurs malheurs (les étrangers volent le travail des français). Une morale à géométrie variable qui conforte la position de ceux qui tirent profit d'un climat du « tous contre tous », taisant ainsi, la violence du capitalisme.


L'esclavagisme a contribué et contribue encore aujourd'hui (sous une forme d'esclavagisme économique ), grâce à la mondialisation, à enrichir les multinationales des pays du Nord. Ces dernières profitent de conditions sociales/politiques/économique favorables au Sud, pour réaliser de la plus-value. S’en accommoder, c'est légitimer un rapport de domination transnational. Nous sommes tous racistes à partir du moment où l'exploitation de cet autre quel qu'il soit, profite à notre seul désir. Le capitalisme fait de nous des « racistes amnésiques » (voire conscient de « fermer les yeux ») achetant notre aveuglement par le confort et la sécurité qu'il procure. Ce régime économique nous séduit par l'abondance artificielle miroiter dans les centres-villes. Alors qu'il vampirise la planète, aux vues d'impacts sociaux/environnementaux au Sud, engendrés par l’acuité de désirs sans substance du Nord (exemple la fast-fashion). Une « superbe occidentale » qui sublime le Sud, ce dernier étant perçu comme vecteur de misérabilisme. L'Occident attèle ses autres qu'il peine à considérer comme semblables, étant au service de son seul rayonnement. L'Occident ne veut pas s'unir, il veut régner, il prétend libérer, mais il asservit, tout en voulant incarner à lui seul l'espoir. 


À ce titre la pensée postcoloniale est un outil de déconstruction (de la colonisation, de l'égalité/modernité, du capitalisme, etc), et une grille d'analyse, pour rendre compte d'un système d'oppression systémique globalisé. À son apogée, cette pensée, pour Frantz Fanon, dépasserait les couleurs, les différences et les scissions du monde. Il ne suffit pas de renverser l'oppresseur, nous dit-il, pour éventuellement le remplacer, mais de sortir de la domination par la destruction du système d'aliénation. Aussi cette pensée est émancipatrice, car elle ne conforte pas l'essentialisme, elle le transcende, en un précieux horizon d'universalité. Il s'agit ici de déconstruire l'universalisme généralisant que Glissant décrit comme une homogénéisation appauvrissante, pour ensemble construire un nouvel universalisme résultant d'une rencontre des humanités. Loin d'une humanité construite autour des seules Lumières occidentales. Suite au constat que la volonté d'invisibliser les racisés ( notamment en stigmatisant/délégitimant leur rapport à l'histoire, exemple la cancel culture), s'inscrit dans une optique de pouvoir. Quand bien même la superbe occidentale repose sur un rôle messianique d'avoir éclairé le monde, mal acquis. Dans la mesure où, ce rôle interroge sur ses soubassements. Autrement dit, l'antre d'une raison caverneuse, c'est à dire une hiérarchisation qui trouve ses origines dans l'eugénisme ( exemple la craniométrie). Cette hiérarchisation attribue aux subalternes, une place teintée de reconnaissance légère. Et même si le droit vient par moments faire le jeu d'un semblant d'égalité. Le chemin de la reconnaissance parait long avant que l'humanité ne se revendique plurielle car l'instrumentalisation de l'universalisme, par le national-populisme dénature l'altérité, et c'est là où le bât blesse.

« En agitant le tiers monde comme une marée qui menacerait d'engloutir toute l'Europe, on n'arrivera pas à diviser les forces progressistes qui entendent conduire l'humanité vers le bonheur. Le tiers monde n'entend pas organiser une immense croisade de la faim contre toute l'Europe. Ce qu'il attend de ceux qui l'ont maintenu en esclavage pendant des siècles c'est qu'ils l'aident à réhabiliter l'homme, à faire triompher l'homme partout, une fois pour toutes. Mais il est clair que nous ne poussons pas la naïveté jusqu'à croire que cela se fera avec la coopération et la bonne volonté des gouvernements européens. Ce travail colossal qui consiste à réintroduire l'homme dans le monde, l'homme total, se fera avec l'aide décisive des masses européennes qui, il faut qu'elles le reconnaissent, se sont souvent ralliées sur les problèmes coloniaux aux positions de nos maitres communs. Pour cela, il faudrait d'abord que les masses européennes décident de se réveiller, secouent leurs cerveaux et cessent de jouer au jeu irresponsable de la belle au bois dormant». 1

1 Cit Frantz Fanon, Les damnés de la terre, François Maspero, p62, Paris, 1982.

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