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« Déjà la terre habitée entoure le peuple, tout comme la mère entoure et garde l'enfant ; une douce nourriture jaillit de sa large poitrine comme un don généreux ; de même que les arbres , les plantes et les animaux, elle semble avoir engendré les hommes au commencement des choses , et ceux-ci se sentent comme des produits de la terre et comme les natifs du pays. Le sol porte leurs tentes et leurs maisons ; et plus une construction devient solide et durable, plus les hommes s'attachent à leur terre natale particulière. Mais un rapport plus profond et plus fort se forme vis-à-vis du sol cultivé quand le fer y pénètre et retourne la terre ; ainsi la nature sauvage est maîtrisée et apprivoisée, comme les animaux de la forêt sont domptés et transformés en animaux domestiques. Mais cette double action est le travail qui est transmis de père en fils comme un organe pleinement développé mais aussi, plus simplement, en tant qu'héritage biologique et condition d'un développement personnel. C'est pour cela que le domaine possédé et revendiqué comme tel est un héritage commun, la terre des pères et des ancêtres par rapport à laquelle tous se sentent et se comportent comme des descendant réels, des frères de même sang 1. »
Le caractère solennel, de cette construction identitaire n'a d'égal que le poids de responsabilité à tous les niveaux, tout au long de l'apprentissage du respect de toutes formes de vies. Ceux en quoi être néo-calédonien symbolise une contribution à l'émerveillement de cette terre sacré, « le pays ». Cet adage résonne des battements de cœurs jusqu'au bout des doigts et des regards humbles qui plongent vers la terre que les ancêtres portent. Puis les mains se tendent pour faire de ce fameux « geste », un partage respectueux. Tel les prémisses de toutes civilisations, via cette pratique intergénérationnelle, et intemporelle qu'est l'échange. Ce geste et cette parole qui ne quittent dorénavant plus, son auteur, symbolise l'unique richesse valable dans les monde visible et invisible. Ce geste est un détonateur de lien social. Car l'objet échangé n'est rien d'autres qu'un motif qui suscite la rencontre. Cette dernière repose sur un « temps fort de reconnaissance » de la figure d'un autre qui n'est en rien différent à soi, donc semblable à soi. Autrement dit que l'autre participe à la construction du soi, en nous, par le biais de ce que l'on nomme « consensus ». En instituant un rapport à l'autre comme un anti-utilitarisme qui viendrait contenir les intentions avides.
« Et quand surtout la patrie, en tant que lieu de souvenirs aimés, lie les cœurs, rend la séparation difficile, attire avec nostalgie et un désir ardent de la revoir celui qui en est éloigné, elle a alors, comme endroit où on vécu et sont enterrés les ancêtres, où les esprits des morts errent et séjournent encore au-dessus des toits et entre les murs comme des figures protectrices et paternelles imposant leur souvenir, une signification particulièrement élevée pour des tempéraments simples et pieux. Ce sentiment existe déjà manifestement dans la maison et la famille, même quand la tente est encore emmenée de camp en camp et que le sol, comme porteur des arbres et des plantes, comme asile du gibier et enfin comme pâturage du bétail apprivoisé, n'est apprécié que pour de tels dons, riches et généreux, n'exigeant pas de vie sédentaire. Et cependant, le sentiment envers ces dons devient plus fort quand la maison et la ferme se fixent définitivement et semblent avoir poussé sur la terre cultivable qui porte alors en elle la force humaine transplantée, et pour ainsi dire la sueur et le sang de ceux qui ne sont plus, suscitant une pieuse reconnaissance de la part de ceux qui en bénéficient. L'être métaphysique de la famille, du clan, mais aussi du village, de la province et de la ville, est pour ainsi dire marié avec sa terre ; il vit régulièrement avec elle comme dans le lien conjugal. Ce qui est habitude dans le mariage est ici coutume 3. »
Cette île certes, petite par sa taille ( " le caillou " ), mais grande par ses valeurs, où le lien s'y tisse autour du « sacre de la parole partagé » qui scelle les unions, ou assagit les intrépides. Comme l'igname qui s'enracine et murit dans les esprits, pour faire jaillir la magie d'être ensemble. Être néo-calédonien c'est se suffire à exister pour cette terre qui nous a choisit pour l'honorer. Telle une forme de néo-animisme, qui érigerait la terre et la mer, en entités, qui transcendent les « barrières artificielles » qui séparent les hommes entre eux, et dont ces derniers quels qu'ils soient en constitue des gardiens temporaires . Bien au-delà des vantardises suscités par l'héritage de familles inconstantes. En bâtissant la montagne du vivre-ensemble, jadis rasé sur l'autel d'une aveuglante modernité. Pourtant riche nous le sommes déjà de cet étincelant océan de saphir. D'où nos cœurs battent sur ce rythme pacifique.
« Comprise ainsi, la terre peut se présenter comme une substance vivante qui garde sa valeur spirituelle et psychologique à travers le changement des hommes considérés à la fois comme ses accidents et ses éléments, et représenter, en tant que sphère commune de la volonté, non seulement le liens des générations coexistant dans l'espace, mais aussi l'unité de celles qui se suivent et agissent dans le temps. Tout comme l'habitude forme entre ceux qui vivent les uns à côté des autres le lien le plus solide, en dehors de celui du sang, ainsi la mémoire unit les vivants aux morts, permet à ceux-là de connaître ceux-ci, de les craindre et de les honorer 2. »
L'identité néo-calédonienne doit s'inscrire dans la pluralité du monde, qui la précède, non pas par chauvinisme, mais plutôt pour honoré la mémoire de la « commune humanité », qui jusqu'ici souffre d'une interprétation unilatérale. De vibrer pour cette culture océanienne endémique et millénaire qui recense l'aube de l'humanité. En s'imprégnant, des valeurs collectivistes, et (re)découvrir la pluralité néo-calédonienne, en appréhendant les différences comme autant d'étoiles, et les cultures comme autant de galaxies, qui s’observent, se croisent, mais avant tout s'illuminent ensemble, via la lumière de l'altruisme qui malgré les années traverse les époques, et les générations. Car nous ne sommes que poussières d'étoiles dans la nuit, libre de briller seul, où comme jamais en constellation. Etant donné que le but n'est pas de faire sa part, mais de ne jamais faire seul, tout autant qu'il n'est pas d'être libre, mais d'être libre ensemble. Par le biais d'une réappropriation par la société civile, des questions politique, économique et social, en son sens originel, qui est celui tiré du terme grec oikonomia ( gestion de la maisonnée ). Telle une forme d'empowerment social, qui admettrait que le sort des générations futures ne peut se sceller, qu'au seul prix de notre complaisance, si ce n'est de notre sommeil. Le destin de la Nouvelle-Calédonie semble alors, faire face à un défi plus grand que les dit référendums. Celui de se réinventer, via l'après nickel, vers un nouveau modèle, aux vues d'inégalités, qui sévissent sur cette île, et qui tempèrent le « vivre ensemble ».
1Tonnies Ferdinand, Communauté et société, PUF, Paris, 2010, p.228-229-230.
2Tonnies Ferdinand, Communauté et société, PUF, Paris, 2010, p.228-229-230.
3Tonnies Ferdinand, Communauté et société, PUF, Paris, 2010, p.228-229-230.