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Billet de blog 9 mai 2025

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Valls le Don Quichotte des Outre-mers

La récente mission avortée de Manuel Valls en Kanaky-Nouvelle-Calédonie marque l'échec d'une médiation qui révèle les fractures coloniales persistantes. L'échec de Manuel Valls n'est pas un accident, mais le symptôme d'une impuissance structurelle. Au détriment de ceux qui ont de fragiles espoirs pour les lendemains.

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La récente mission avortée de Manuel Valls en Kanaky-Nouvelle-Calédonie marque l'échec d'une médiation qui révèle les fractures coloniales persistantes. Cette situation a mis en lumière l'incapacité chronique de la France à dépasser son rôle schizophrène de puissance administrante.

Derrière les discours d'apaisement, c'est bien le maintien d'un ordre néocolonial qui se joue, dans un contexte où les Outre-mer ne voient plus de raison valable de perpétuer un statu quo qui prolonge l'ère coloniale sous d'autres formes.  

Cette reconnaissance en peau de chagrin ronge des territoires qui observent, dans un monde interconnecté, comment les récits alternatifs et les expériences partagées nourrissent la conscience de ceux qui ont cessé de croire au volontarisme de façade de l'establishment français. Les tensions du 13 mai ne sont que la partie émergée d'une crise plus profonde : politique, certes, mais aussi économique et identitaire, où la France continue de jouer un double jeu insoutenable.  

Entre la rhétorique de la conciliation et la réalité d'une gestion qui préserve avant tout ses intérêts stratégiques - notamment sur le nickel -, l'État français reproduit en Nouvelle-Calédonie les mêmes schémas qu'en métropole : on exige des populations qu'elles endossent des devoirs républicains tout en leur refusant l'égalité réelle des droits. Cette contradiction fondamentale explique pourquoi aucune médiation, fût-elle conduite par un ancien Premier ministre, ne peut aboutir sans remettre en question ce rapport de domination hérité de l'histoire coloniale.  

Dans ce contexte, l'échec de Valls n'est pas un accident, mais le symptôme d'une impuissance structurelle. La France ne veut pas, ou ne peut pas, assumer les conséquences d'une véritable décolonisation. Elle préfère gérer les crises au coup par coup, ajoutant chaque fois une nouvelle couche de défiance à un édifice déjà fissuré de toutes parts.  

Pendant ce temps, les néo-calédoniens, qu'ils soient indépendantistes ou loyalistes, sont laissés à un avenir incertain, condamnés à subir les effets d'une gouvernance lointaine qui ne les considère jamais comme de véritables interlocuteurs, mais comme des sujets dont il faut contenir les aspirations.  

Dans un monde où les expériences de libération et les récits émancipateurs circulent librement, la France ne pourra plus indéfiniment maintenir ces territoires dans un entre-deux politique qui ne satisfait personne. Le temps long du colonialisme, même lorsqu'il ne dit pas son nom, trouve aujourd'hui ses limites dans l'impatience grandissante de ceux qui refusent de se contenter de promesses sans lendemain.

Perceptible à travers la personne de Manuel Valls en Nouvelle-Calédonie, semble t il coincé entre un rôle de Don Quichotte des colonies ou de fossoyeur de la paix sociale ?  

Manuel Valls aura eu le mérite de révéler au grand jour l’hypocrisie d’une France qui joue les médiateurs tout en maintenant ses anciennes colonies sous perfusion politique. L’ancien Premier ministre, en Don Quichotte des tropiques, a brandi sa lance rhétorique contre des moulins à vent qu’il feignait de rassembler et/ou raisonner, tout en laissant l’archipel en proie à ses propres démons.  

Entre deux envolées lyriques sur la « conciliation » et la « troisième voie », Valls a surtout préservé le beau rôle – celui du sauveur éclairé venu de la métropole – sans jamais s’attaquer aux racines du conflit. Comme si sa mission se résumait à offrir une tribune médiatique à sa propre image, plutôt qu’à proposer des solutions concrètes à un territoire asphyxié par des décennies de gestion coloniale déguisée.  

Son approche relève du syndrome du chevalier blanc : faire semblant d’apporter la paix tout en maintenant soigneusement les rapports de force qui garantissent la domination française. Valls aura réussi un tour de force : ajouter une couche de cynisme à une situation déjà explosive, tout en se donnant des airs de pacificateur.  

Cette mascarade reflète une schizophrénie : celle d’une République qui exige des Outre-mer qu’ils se contentent d’une autonomie de façade, tout en leur refusant les moyens de leur émancipation. La Kanaky-Nouvelle-Calédonie, comme les autres territoires d’Outre-mer, est priée de choisir entre deux options impossibles : une indépendance économique sabotée par des décennies de dépendance organisée, ou un statut quo qui perpétue une domination à peine édulcorée.

Valls, en échouant sans même tenter de rompre avec cette logique, a prouvé une chose : la France n’a jamais vraiment voulu décoloniser. Elle préfère envoyer des missionnaires politiques en costume-cravate plutôt que d’affronter ses contradictions.  Le sauveur qui n’a sauvé personne  car, que restera-t-il de cette médiation ?

Quelques déclarations creuses, une polarisation accrue, et le sentiment amer que rien ne changera tant que Paris considérera la Kanaky-Nouvelle-Calédonie comme une chasse gardée. Valls repartira avec sa dignité intacte – du moins le croit-il – tandis que l’archipel s’enfoncera dans une crise dont la France, en réalité, se moque éperdument quand celle ci l'arrange grandement pour préserver son influence via une crise comme d'autres avant elle que quelque part la mère patrie a provoqué en ce sens.

La seule différence, c’est que désormais, plus personne ne croit au rôle de la métropole comme sauveur (désintéressé). Surtout pas venant d'un missionnaire politique qui n’est jamais venu pour écouter, mais pour feindre de le faire en se donnant en spectacle. Quand avant même que son jet privé ne foule le tarmac de l'archipel, il se sait grand gagnant quand il garde des territoires à sa merci.

C'est bien là, son seul objectif c'est bien là, le leitmotiv de sa mission qu'il pilote depuis Paris quand les particularités locales ne sont que de timides traits d'union sur des accords de libre échange qui ne sont libres que dans un sens. Raison pour laquelle ces accords sont écrits d'avance puisque par avance ils sont voués à n'aller que dans un sens. Au détriment de ceux qui ont de fragiles espoirs pour lendemains.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.