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Billet de blog 16 novembre 2025

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Le « vivre-ensemble » calédonien : un contrat social blanc ?

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Le « vivre-ensemble » calédonien : un contrat social blanc ? Analyse d’un idéal romantisé au service du statu quo colonial

Résumé :

Cet article interroge la notion de « vivre-ensemble » en Kanaky-Nouvelle-Calédonie comme dispositif politique et symbolique visant à perpétuer l’ignorance blanche (white ignorance). Loin d’être un projet d’émancipation collective, il fonctionne comme un mécanisme de régulation des tensions, encourageant les racisés à intérioriser leur condition sociale pour préserver une paix publique définie par et pour les dominants.

 Introduction 

Le « vivre-ensemble » est devenu le mantra des discours politiques et médiatiques en Nouvelle-Calédonie. Pourtant, derrière cette invocation d’une harmonie multiculturelle se cache une réalité moins glorieuse : un contrat social non écrit qui, sous couvert d’apaisement, entérine les inégalités structurelles et neutralise les revendications des populations racisées.

1. Le « vivre-ensemble » comme idéologie de l’ignorance blanche  

Le concept d’ignorance blanche, développé par des théoriciens comme Charles Mills, désigne un mode d’organisation sociale où l’ignorance des privilèges raciaux est systémiquement entretenue. En Nouvelle-Calédonie, le « vivre-ensemble » fonctionne comme un écran de fumée. Il évite de nommer le racisme structurel et la colonialité du pouvoir. Il substitue à la justice redistributive l’appel symbolique à la « concorde ». Il permet aux Blancs de se percevoir comme ouverts et inclusifs sans avoir à renoncer à leurs privilèges.

2. La charge de l’adaptation : les racisés comme gardiens malgré eux de la paix sociale  

Ce « vivre-ensemble » repose sur une injonction paradoxale adressée aux Kanak, aux Wallisiens-Futuniens et autres minorités :  

- S’adapter sans exiger de transformation structurelle.  

- Taire leur colère pour ne pas être perçus comme menaçants.  

- Intérioriser la précarité comme une fatalité et non comme le produit d’un système.  

Le drame social, chômage, mal-logement, non-recours aux droits, est ainsi individualisé, et sa dimension raciale, occultée.

3. Un statu quo romantisé : celui d'une cité qui « ne mange pas de pain »  

L’expression est cruelle, mais résume ce projet : celui d'un « vivre-ensemble » qui ne coûte rien aux détenteurs du pouvoir économique et politique.  

Puisqu'il ne remet pas en cause la répartition des terres. Il ne questionne pas la surreprésentation blanche dans les instances décisionnelles. Il célèbre la « diversité » lors des festivals, mais ignore la ségrégation urbaine au quotidien.  

La vie en commun devient un décor, une mise en scène où les inégalités sont esthétisées en « différences culturelles ».

4. Les limites de la citoyenneté inclusive  

Dans ce cadre, la citoyenneté n’est pas un statut égalitaire, mais une relation négociée où les racisés sont tolérés s’ils acceptent leur place.  

Leur légitimité est conditionnelle : elle dépend de leur capacité à ne pas « déranger ». Leur colère est perçue comme une rupture du pacte social, jamais comme une conséquence logique de l’injustice. Ainsi, le « vivre-ensemble » devient l’antithèse du conflit démocratique : un ordre consensuel qui étouffe la contestation.

Conclusion : Pour un conflit honnête plutôt qu’une paix hypocrite  

Si le « vivre-ensemble » calédonien masque l’injustice, il est urgent de lui préférer un projet de société fondé sur la reconnaissance des antagonismes. Reconnaître que la colonialité a produit des fractures durables. Assumer que la réconciliation passe par la restitution des terres, de la parole, du pouvoir. Cesser de demander aux racisés de porter seuls le fardeau de la paix sociale.  

Le véritable vivre-ensemble ne naît pas du silence, mais du bruit nécessaire de la justice.

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