En Kanaky-Nouvelle-Calédonie l’illusion du « vivre-ensemble », masque l’héritage patriarcal et colonial. On entend parler du nécessaire « renouvellement de la classe politique » en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Si on regarde de plus près, ce qui est en train d’être ébranlé, est plus profond : c’est la structure patriarcale, coloniale, inégalitaire d’une société calédonienne qui n’a jamais vraiment assumé son histoire. Derrière les beaux discours sur la diversité et le « destin commun », se cache une réalité moins reluisante : une société segmentée, où la richesse et le pouvoir restent concentrés entre les mains d’une minorité, souvent blanche.
Mais encore, comment vivre ensemble dans un pays qui tourne le dos à ses enfants ? En Province Sud, particulièrement à Nouméa, on chouchoute les arrivants. On facilite l’installation des expatriés, on leur réserve les postes clés, les logements avec vue sur le lagon, les réseaux d’influence. Pendant que les calédoniens, kanaks, caldoches des tribus, métis des quartiers sont relégués dans les invisibles périphéries. Ceux qui ont grandi ici, portent en eux l’histoire et ses blessures, sont traités comme des indésirables. Le système favorise ceux qui viennent d’ailleurs, ceux qui « savent faire tourner l’économie », ceux qui ne remettent pas en cause l’ordre établi. On leur offre primes, subventions, postes à responsabilité. La jeunesse locale, diplômée ou non, se contente de petits boulots, de contrats précaires. On leur refuse l’accès aux leviers de décision, on ignore leurs aspirations, on méprise leurs cultures. Cette jeunesse doit attendre son heure dans une société patriarcale et coloniale qui n'est pas prêt d'arriver.
Dans ce contexte le « vivre-ensemble » tait l'ordre établi. Le vivre-ensemble qu’on nous vend est une façade, une cohabitation de convenance, où les non-blancs sont tolérés, tant qu’ils restent à leur place... Celle qui consiste à servir, exécuter, à subir et à se taire. Un héritage du colonialisme, où le rapport de domination se joue quotidiennement dans les administrations, dans les entreprises, dans la rue. Un système qui infantilise, qui dépossède, qui assigne à identité. Ce n’est pas du vivre-ensemble, c’est un ordre social une structure coloniale et patriarcale comme pilier invisible de l’injustice, ce système tient, parce qu’il s’appuie sur une structure patriarcale coloniale ancrée. Un modèle où l’autorité, la propriété et la parole légitime sont détenues par quelques hommes, souvent blancs, souvent âgés, souvent économiquement puissants. Cette structure ne concerne pas que les rapports hommes-femmes. Elle organise la société : rapports ethniques, rapports de classe, rapports intergénérationnels. Elle dicte qui a le droit de parler, qui doit se taire, qui peut diriger, qui doit obéir. C'est ce pilier qu'il faut fissurer.
Les signes d’un changement profond se ressentent au travers de nouvelles générations qui ne veulent plus de ce schéma. Elles refusent de jouer les figurants dans un scénario qu’elles n’ont pas écrit. Elles contestent l’autorité qui se justifie que par l’ancienneté, la couleur de peau ou le carnet d’adresses. Sur les réseaux sociaux, dans les mouvements associatifs, dans les familles, la parole se libère. On dénonce le mépris de classe, le racisme ordinaire, les plafonds de verre ethniques. On revendique une Calédonie plurielle, mais juste. Une Calédonie où la légitimité ne s'hérite pas, mais se mérite vraiment. C’est plus qu'une question politique. C’est une révolution sociétale sociale et culturelle.
Va t'on vers une légitimité qui se partage ? La Kanaky-Nouvelle-Calédonie en a besoin, elle est à un tournant. Soit elle continue de fonctionner sur un modèle patriarcal hérité du colonialisme, en maintenant des hierarchies dépassées. Soit elle reconnaît tout ses enfants, celles et ceux qui la comprennent, qui l’aiment assez pour la transformer. Le renouvellement ne viendra pas d’un changement de têtes ou de partis. Il viendra d'un nouveau paradigme, la remise en cause des structures de pouvoir qui étouffent depuis fort longtemps le vrai potentiel de ce pays. Il est temps de passer du « Sir, yes sir » à « We, the people ». Et, si l'indépendance commençait par là ?