On ne part jamais vraiment pour revenir.
Certains fuient un pays, une vie, un visage qui ne veut plus se laisser oublier. J’ai fui une fatigue du monde ; l’idée que j’avais de moi-même. Un sentiment d'inachevé qui me prend au désarroi à chaque fois que je regarde en arrière.
L’Asie du Sud-Est m’a accueilli comme un rêve éveillé, un radeau, où l’on dérive le long du Mékong.
Dans le jeu trouble de nos représentations, l’ivresse de nos sentiments et de nos illusions, nous longeons des routes qui ne nous appartiennent pas encore. On cherche une place dans un pays qui nous ouvre les bras mais qui n’est pas encore le nôtre.
C’est plus qu'une culture, c’est un univers qui se déploie.
Au milieu de ce dépaysement, je rêve qu’une amazone, me prenne la main. Qu’elle me guide dans cet univers comme on traverse un rêve, avec insouciance et ferveur. Quand tout prend l'apparence d'une promesse. On imagine une découverte sans fin, faite d'infimes surprises , de sourires complices.
La vérité est pourtant plus trouble. Le faible coût de la vie pour nous, occidentaux agit comme un narcotique.Tout devient simple, trop simple. Les bars tapageurs et les filles qui les ornent sont des refuges éphémères dans lesquels on glisse. Non pas par lubricité, comme diraient les moralistes, mais par solitude profonde, celle que l’on cache sous des rires, des bières et des musiques qui couvrent la voix intérieure dont on a peur. Ces lieux deviennent des terrains de jeu, de tentation, de rencontre, de débauche parfois. Des zones de confort émotionnel où, à défaut d’être aimés, on se laisse regarder, à défaut d’être compris, on se laisse deviner, à défaut d’être heureux, on se laisse distraire. L'exil n’efface rien il déplace les addictions, qui si elles existaient avant, ne restent pas à l’aéroport. Elles voyagent avec nous, telles des ombres fidèles, s’adaptent aux lieux, changent de vêtements, mais gardent la même voix.
On se dit qu’on arrêtera demain. Mais comment arrêter quand le paquet de cigarettes coûte quatre fois moins cher qu’en France ? Comment renoncer à la bière quand à l'happy hour la pression à Siem Reap coûte soixante-quinze centimes ? Comment se priver de tentations quand celles-ci deviennent le seul lieu où l’on ressent encore “quelque chose” ?
Cette zone de confort est un danger. On ne vient jamais ici neutre ou pur. On arrive chargé de nos regrets, de nos histoires mal résolues. L’Asie du Sud-Est, avec ses nuits interminables et ses mirages, ne fait que les mettre en lumière. On cherche à revivre, dans les bras d’une brunette souriante, un bonheur fusse t il éphémère, dont on pensait qu'il nous est interdit. On surfe sur des flots d’alcool où tout semble plus léger, plus vrai. Comme dans la chanson de Nino Ferrer Ma vie pour rien, on joue l’amour à pile ou face. Et en général, les autres ont tout gagné. Dans ce cirque existentiel et consumériste, c’est toujours l’étranger qui paie. Les nuits semblent nous accueillir mieux que nos souvenirs. Elles s’ouvrent comme des bras généreux, pour se refermer sur nos failles. Les amours d’un soir ont ce goût d’inachevé qui ne combleront pas les départs, les ruptures, les renoncements qu’on porte comme cicatrices invisibles. On se dit qu’on aide, qu’on peut aimer, que ce n’est pas grave. On se raconte qu’on veut juste se sentir vivant. Mais quelque part, au fond, on sait que c’est fragile, toxique parfois, dangereux souvent.
C’est là que la misère sexuelle rencontre la misère sociale. Ces drames semblent se compléter par accident, en réalité s’amplifient. Dans ce mélange explosif, le farang même bien intentionné n’est pas un sauveur. Il est un homme perdu parmi d’autres, un étranger ne pouvant se soustraire ni aux règles invisibles du pays, ni aux réalités économiques qui broient les faibles. De cette rencontre naît rarement le bonheur, mais le confort du moins pour un temps d'un refuge. Dans lequel, le farang croit être libre, mais il est un passant ébloui, égaré, vulnérable une proie pour les âmes en peine qui cherchent, elles aussi, une issue, un souffle, une échappatoire.