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Billet de blog 19 octobre 2025

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Le miroir de nos espérances

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Illustration 1

Je l’ai rencontrée à Siem Reap, un soir où l’air est si lourd que les rires peinent à s’élever. Elle était là, assise devant moi, ses yeux riaient avant sa bouche. Nous n’avions rien en commun, à part, cette obstination de croire que deux solitudes finissent par se reconnaître.

Ce n’était pas une histoire, plutôt un accord tacite ; un flirt d’été, un refuge contre la solitude, rien de plus. Mais voilà, les choses sans vocation à durer ont parfois la peau dure. Nous nous sommes retrouvés, sans nous chercher, comme si notre présence côte à côte était à la fois une erreur et une évidence.

Nous venions de deux mondes qui ne se touchent qu’en se heurtant, moi, l’occidental « racisé » encombré de ma cartographie sentimentale. Il me fallait des mots, des promesses. Elle, issue d’un village de la province de Takeo, où l’on parle peu, où l’on agit en conséquence. Ses gestes valaient des phrases ; un repas préparé, un regard qui s’attarde quand la nuit tombe sur le Mékong.

Je lui ai reproché ses silences ; « Tu ne dis jamais rien, on dirait que tu te moques de ce que je ressens. ». Elle n’a pas répondu. Ce soir-là, elle a cuisiné, un plat dont elle savait que j’étais friand. Je n’ai pas compris sur le moment ou si peu, trop peu.

Voilà ce fossé pas seulement de culture, ni de classe mais de langage. Elle communique par gestes ; moi, je nomme, je possède par les mots. Ceci dit j’étais venu au Cambodge pour retrouver d'authentiques simplicités, me voilà troubler parce que je désire. Je compliquais tout en exigeant d’elle ce qu’elle me donner autrement. Il fallait que ça soit à ma façon selon mes volontés.

Un matin, nous sommes allés dans  un temple bordé par la jungle. Elle a marché devant moi, comme si elle connaissait chaque racine. Elle s’est arrêtée près d’une pierre, y a déposé la paume de sa main et, m’a regardé sans un mot. Ce geste m’a traversé comme si elle me montrait un attachement qui ne s’explique pas, mais est.

J’ai réalisé qu'à force de scruter nos différences, de m’interroger sur notre avenir hypothétique, je ratais l’instant présent. L’instant où elle m’apprenait à dire « sôkh sâbbay ? », « es-tu heureux ? »,  sans jamais exiger de réponse.

Nous avons partagé un apprentissage mutuel ; elle, si forte dans son silence, moi, si vulnérable dans mes excès de langage. Aujourd’hui, je repars, un peu moins lourd, un peu moins certain, mais plus présent. J'ai appris qu'il faut se taire pour entendre, cesser de chercher pour trouver. Je sais que nous ne nous retrouverons plus. Certaines histoires ne sont pas faites pour durer, la nôtre fut de celles-là. Un refuge éphémère, où j’ai appris à laisser couler.

Je me souviens ce matin où j’ai fait mes valises. Elle était assise sur le seuil, les yeux dans le vide, les mains posées sur ses genoux comme une delicate fleur de papier. Elle ne pleurait pas, respirait à peine. Dans ce silence, j’ai entendu ce qu’elle me dit sans mots que l’amour n’a pas besoin de promesses, il est ce qu'il est présent dans une vie comme dans chaque instant.

Moi qui pensais que l’amour devait être dit, scénarisé. J'ai découvert qu’il pouvait être vécu, sans garantie, sans filet. Elle, la fille de la terre khmère, m’a donné une leçon d’humilité. Moi, le pseudo écrivain en quête de sens, je ne lui ai offert que mes doutes. Dans ce non-dit, nous avons bâti un pont de regards, de présences. Un pont que je traverse encore en pensée.

Nous avons repris chacun notre route, elle vers son village ; moi vers mes villes bruyantes, mes écrans qui parlent d’amour sans jamais en donner. Elle restera cette femme qui m’a appris à aimer sans rien attendre en retour. À accepter que certaines choses ne s’expliquent pas, parfois, s’achèvent, sans drame.

Si un jour, au détour d’une rue, je croise son sourire, je saurai lui dire, avec les yeux ; « Merci de m’avoir offert cette part de toi, qui est devenue mienne cette part de moi que je ne connaissais pas. ». Certaines rencontres ne sont pas faites pour durer, mais pour transformer. La nôtre fut de celles-là, je porte désormais cette rencontre comme on porte un paysage, un parfum, une mélodie.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.