La délinquance traduit un mal-être, tandis que l'addiction reflète un désir de fuir la réalité 1. La délinquance s'envisage telle un rapport de force, de soumettre à autrui, son bon vouloir. Etre délinquant c'est devenir, ne serait ce qu'un instant un « maître ». A contrario, l'addiction c'est être « esclave », de ses désirs, même si ces derniers nuisent au sujet, qui est alors tiraillé entre des désirs qui soient l'expression du manque, ou de l'excès.
« Ce n'est pas parce qu'une chose est bonne, qu'on la désire. C'est parce qu'on la désire, qu'elle est bonne » Spinoza
Le délinquant et l'addict sont des êtres conscient, pouvant se rapporter à un et, même sujet, en conflit, avec la société. Cette « déviance » réfléchit un désir de reconnaissance, qui peut se résolver, via une lutte des consciences tant collective 2, qu'individuelle 3. Ces formes de conduites à risque, alertent la société sur les conditions d'existence précaires des individus concernés. Face à l'opulence ostentatoire des privilégiés ( les « maitres »), qui apparaît faussement accessible, dont l'espoir insufflé au prolétariat ( les « esclaves »), d'y accéder à travers la méritocratie, grâce aux lois anti-népotismes, suffit à huiler les rouages de la machine capitaliste. Ce système trouve ses fondements via une interdépendance entre agents, qui n'en est pas une. Le maitre tire son confort du labeur de l'esclave. Il n'est à ce titre pas indépendant, car sa richesse provient des fruits du travail de l'esclave. Dans une perspective marxiste, les « déviants » refusent de se soumettre, à un diktat, un déterminisme social, qui relèguerait leurs existence à un subalterne, un être soumis, donc inférieur. Etre délinquant et/ou addict c'est se résigner à être servile, en prenant part à une « économie souterraine » 4. Ce revirement permet de combler la timide « égalité des chances », qui tarde à se faire ressentir au sein de l'Etat, pour les plus modestes. Paradoxalement cette marginalisation, ne constitue pas une alternative à proprement parler, étant donné que via « l'argent facile », des comportements consuméristes peuvent surgir. D'où la boutade, celle d'un côté de dénigrer le capitalisme, alors que de l'autre celui-ci est conforté 5 ( du moins pour ceux qui ne sont pas politisés). Au terme de quoi le délinquant et l'addict cherchent à assouvir des désirs superflues, pour enjoliver leurs réalité sociale oppressante, car pour Thomas d'Aquin la pauvreté représenterait le manque de superflu, et la misère le manque du nécessaire.
Toutefois la délinquance, et l'addiction ne sont pas le monopole du prolétariat, qui peut être un terreau fertile, du fait de la frustration qui s'y fait sentir. Ceci étant, on compte parmi les nantis, ces formes de déviance, or celles-ci sont dissimulées, grâce aux privilèges liés à cette strate sociale. Mettant en perspective le « deux poids, deux mesures », puisque la « délinquance » des esclaves, et montré du doigt, tandis que la « délinquance à col blanc » des maitres est tue. D'où ce sentiment de frustration chez les prolétaires, qui pressentent un manque de justice sociale.
Fort de ce constat, ces comportements transgressifs chez les plébéiens ( selon Le Larousse; catégorie la plus nombreuse de la société romaine, qui s'opposait à celle des praticiens, et formait avec elle le populus, exemple peuple, bas peuple, la populace), répondent à un culte du présent. Compte tenu d'une vision de « l'ascenseur social », qui a été mis à mal, donc d'un avenir qui se présente comme obstrué. Dès lors ces agissements jaillissent de manière confuse, et singulière, étant le reflet de la coercition, exercée sur ces individus. Ces actes sont la résultante, d'un manque de repères, de contradiction de règles sociales. Ils traduisent un mal sociétal profond, mais un mal nécessaire, qui dément les bienfaits d'un progrès social de façade, parce que sélectif, et instrumentalisé à des fins politiques. En somme ces deux phénomènes se révèlent être des baromètres de l'anomie 6.
« L'incapacité des règles sociales à limiter les désirs individuels engendre une déception croissante et le sentiment d'aliénation et d'irrésolution. » Durkheim, Le suicide, 1897.
La délinquance et l'addiction s'inscrivent dans la continuité de l'existence humaine, dans un rapport qui se veut inauthentique, et intemporel. Son historicité pour Hegel ne peut s'interpréter, sans la violence, du fait que cette existence a toujours été duale. En raison de quoi, chaque civilisation, créent des oppresseurs, des oppressés, des maîtres et des esclaves ...
« La civilisation est quelque chose d'imposé à une majorité récalcitrante par une minorité ayant compris comment s'approprier les moyens de puissance et de coercition. » Sigmund Freud, L'avenir d'une illusion, 1927.
1 Bien que le mal-être peut qualifier ces deux termes, toutefois l'addiction semble témoigné d'un mal plus singulier, du fait qu'il correspond à un désir de se nuire, et non pas de potentiellement nuire à autrui.
2 Evolutions des mœurs, des normes sociales, exemple les salles de « shoot », la dépénalisation des drogues « douces ».
3 Accomplissement de soi, par le biais de programmes de réinsertion, reprises d'études, de formations.
4 Relatif à une économie basé sur des activités illégales.
5 Dans sa dimension de compétition de prestige social, de quête de prestige.. Dans une société moderne « amorale », car qu'importe d'ou l'argent provient, si celui-ci est intraçable. Il constitue un « ascenseur social » indéniable afin de côtoyer des strates sociales supérieures, et ainsi tenter d'assoir sa nouvelle position sociale.
6 L'anomie est propre au dérèglement social, d'absence de normes, de confusion, de désordre social, et de chaos.