La Grameen Bank a été créée au Bangladesh en 1976, par le professeur Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix en 2006. Il la fonda suite à son sentiment d'impuissance face à la situation de famine qui sévit à cette époque au Bangladesh.
Ce sentiment d'impuissance provient essentiellement du fait est qu'en sa qualité d’économiste, il n'a pas réussi à identifier, ni lui, ni ses collègues de par le monde, aucun moyen d'éradiquer ne serait-ce qu’en partie la famine dans le monde. Afin d'en déterminer les causes, et sa persistance, il décida d'aller sur le terrain en prenant le village de Jobra comme « background » (dans ce village cohabitent musulmans, hindous, et bouddhistes). Il constata, que l'une des principales raisons était les taux usuraires pratiqués. Le recours aux usuriers en Inde est quelque chose de fréquent, à tel point que l'importance de ces taux est ancré dans les consciences collectives. C'est surtout par faute de choix, que le gens y recourant, ont intégré cette injustice, du fait que le crédit bancaire ne s'adressent pas aux classes défavorisées. Mais alors comment éviter ce schéma de « spirale du surendettement » pour les prolétaires, qui malgré cela, sont des travailleurs émérites ? C'est pour répondre à cette question que M. Yunus a mis en place une expérimentation qui consista à prêter des petites sommes à des personnes dans le besoin (essentiellement des femmes), sans contrainte de temps et à un taux symbolique, pour qu'elles puissent retrouver leur honneur, leur dignités, et briser les chaînes de cette situation de « quasi-esclavage ». Aujourd'hui la Grameen Bank touche une clientèle de plus de 8 millions de personne (dont 96% de femmes), à un taux de remboursement qui avoisine les 100%. L’essentiel du succès de la microfinance de par le monde, est en partie dû à sa souplesse institutionnelle, qui lui a permis de s’accommoder aux réalités sociales, culturelles, et économiques de ces clients, créant ainsi sa propre demande.
Des Établissements de Micro-Finances au service du développement durable et d'un mode de vie traditionnel
De nouvelles formes d'Établissements de Micro-Finance ( EMF), ont vu le jour, imprégnés par des enjeux sociétaux, tels que le développement durable, ou encore la préservation de savoirs ancestraux. On parle aujourd'hui, de « green crédit », ou alors « green microfinance », les Institutions de Micro-Finance ( IMF) qui accordent des prêts, selon des secteurs, qui ont un impact écologique moindre. Cette nouvelle forme d'EMF, montre à quelle point ce genre de structure peut s'adapter aux questions environnementale et sociale contemporaine, et qu'au-delà de lutter uniquement contre l'exclusion bancaire, elle peut être sur plusieurs batailles à la fois.
Dans le pacifique sud, très exactement sur l'île du Vanuatu, en 2007 en partenariat avec l'Unicef a émergé le projet de « Pig Bank ». Ce projet consiste à mettre en place une banque, qui assurerait le change entre monnaie traditionnelle et monnaie nationale (vatu). Les monnaies traditionnelles vanuataises sont composées de nattes tressées en pandanus, de poissons, maniocs, tarots, ignames, mais surtout de dents de cochons utilisées telles des bijoux, comme des bracelets, ou encore des boucles d'oreilles. Il faut savoir, que le Vanuatu est riche en minéraux ( l'or, et du fer), mais ne souhaite pas l'exploiter, et à refuser l'aide au développement proposé par la Banque Mondiale, malgré tout cette île a été élu en 2006 « pays où les gens sont le plus heureux au monde », par l'ONG Friends of the Earth. Ce dit projet tend à nuancer la notion de pauvreté, car les gens qui jouissent de ce dispositif, ont une maison, un terrain, cultivent la terre, vont à la chasse, à la pêche, 80% de la population sur cette île vivent de façon autosuffisante. La Pig Bank sert donc à combler les problèmes de liquidités des agents locaux, qui peinent à payer les frais scolaires, ou les frais médicaux. Le point positif de la Pig Bank, est qu'elle permet aux individus de préserver leurs traditions, tout en assurant à leurs progénitures une liberté de choisir, quelle direction donner à leurs destins.
La Micro-finance, une fausse solution de développement ?
Les institutions de Bretton Woods, ont vu, en le succès de la Micro-Finance ( MF), un moyen de se déresponsabiliser d'un des objectifs du millénaire, qui est la lutte contre la pauvreté. C’est pourquoi il y a dix ans déjà, 2005 fut l’année internationale du microcrédit, dans le but de promouvoir entrepreneuriat social. Quelques avis restent tout de même sceptiques, quant aux réels facultés de la MF à éradiquer la pauvreté. L’une des raisons étant que le microcrédit est basée sur des principes de méritocratie, et ne bénéficierai donc pas aux personnes les plus démunis, les plus fragiles. Selon certaines assertions, cette alternative incitera une transition de petits épargnants vers un surendettement, en incarnant des Politiques d'Ajustement Structurel, à un niveau individuel.
La Micro-Finance répond à un principe de subsidiarité, en jouant le rôle de « micro-institution », suite à un désengagement de l’État. Elle est utile socialement, en permettant à des familles d’accéder aux biens premiers, dans le but d’améliorer leurs conditions de vie. Elle tend à nuancer la notion de pauvreté monétaire. Les individus qui sont qualifiés de pauvres, en grande partie dut à leurs situations d’endettement, via des marges bénéficiaires, qui ne leurs permettent pas de couvrir les taux conséquent imposés par les usuriers locaux, ou les tontines (en moyenne 50%, contre 15 à 20% pour la microfinance). Faute de mieux, elle se révèle être un outil efficace d'accès au crédit pour les personnes à revenus modestes. Le succès de ce secteur, a induit ces dernières années de nombreuses dérives (exemple Compartementos au Mexique), et à une certaine échelle, les EMF ont tendance à devenir des banques classiques ( Compartementos, et la Grameen Bank vont être cotés en bourse). Ces dérives sont propres au succès rencontré par l'ouverture de nouveaux marchés, et la microfinance est loin d'en être une exception. Étant donné que la barrière entre micro-finance et finance classique reste mince, tout deux ont pour vocation à investir dans des entités productives afin de leurs faire réaliser des économies d'échelles via un effet de levier qu'est le crédit. Dans la mesure où ces entités ont continuellement besoin de liquidités.
Un empowerment social
Le succès des structures coopérativistes (GIC), en milieu rural, peut s'expliquer en partie, par le fait que, la notion de groupe, y joue un rôle prédominant. Pour la raison que l'organisation de la vie au village, est la même d'un point de vue fonctionnel (chacun occupe une fonction, un poste, participant ainsi au bien être d'un organe) que celle d'une coopérative. Le mode de vie traditionnel pratiqué dans les villages, inculque une culture du débat (l’arbre à palabre), qui s'assimile au principe d'un homme = une voix émanant des coopératives.Ces deux types de structures impliquent une gestion collégiale du bien commun, s'assimilant à une forme de démocratie participative. Le village, comme la coopérative sont régis par une éthique, une morale, les us et coutumes pour l'un, et le règlement intérieur pour l'autre.Tous les deux s'évertuent à perpétuer une certaine tradition, aux villages, comme à la coopérative les anciens forment les plus jeunes, aux savoir-faire, qui caractérisent leurs territoires (pour les coopératives garantes de l'artisanat local). Ils sont aussi tous deux vecteurs de sécurité. Le village protège le groupe contre les attaques extérieures. La coopérative protège, les coopérateurs (ceux disposant de parts sociales), via la sécurité de l'emploi.
Le succès de la Grameen Bank, à sa genèse, repose sur des prêts, destinés à des groupes. Il faut remonter jusqu'aux origines de la MF, pour s'apercevoir, que la notion de groupe n'a jamais été étrangère, à ce secteur d'activité. À ce propos, dans une petite commune du sud de l'Allemagne, au 19ème siècle, le maire de l'époque Friedrich Wilhem Raiffeisen met en place les premières caisses rurales, dans le but est miser sur la « garantie collective », afin de rendre accessible l'obtention de crédits par les banques, pour les membres, systèmes toujours existant via les « sociétés de caution mutuelle ». Telle les prémisses d'une forme de développement communautaire, via le rôle à la fois économique/politique et social que joue dans la cité cet instrument bancaire.
Conclusion
Le danger pour la MF, caractérisée de « social business », est de basculer vers le business tout court. Pour éviter cela, elle doit se réapproprier le secteur rural en se réinventant chaque jour afin de subvenir aux besoins, pas forcément que financier des populations, mais aussi en les accompagnants dans la préservation de leur environnement, de leurs us et coutumes et favoriser une autosuffisance alimentaire en supportant l'agriculture locale. Pour ne pas perdre de vue, sa mission intrinsèque, qui est de financer les couches sociales défavorisées, elle devrait évoluer pour ne pas les diriger à terme vers une économie de marché, et ressembler ainsi aux institutions bancaires dont elle est censée être l'alternative.
Prenons l'exemple, du « pays qui se tient debout » (signification du Vanuatu, archipel situé au sud de l’océan Pacifique), il adopte une politique d'économie mixte, autour de la prise en compte de l'économie traditionnelle (le troc, l'usage de monnaies traditionnelles), et d'économie moderne (le Vanuatu est un paradis fiscal une usine de raffinement de nickel y sera construite en partenariat avec la Chine et la Nouvelle Calédonie). Cette hybridation entre ces deux types d'économie permet de garder un pied dans un monde globalisé, tout en préservant des pratiques culturelles locales.Ces ingrédients pourraient être le secret de la recette d'un bien être aussi bien individuel que collectif, puisqu'ils ont permis à ce pays de se développer en marge des institutions de Bretton Woods, de préserver son identité, son autosuffisance alimentaire, sa souveraineté. Tout en permettant aux individus d'assurer une transition entre société traditionnelle et moderne, qui ne se veut pas brutale.
Les dirigeants d'EMF ont le choix d'orienter leurs politiques de crédits en fonction du type de développement souhaité, qu'il soit basé sur des principes productiviste, ou d'un type de développement soutenable en intégrant les enjeux écologiques et culturels, à travers le microcrédit. Les us et coutumes dans le cas de la MF, jouent le rôle de « fond de garantie », parce que celui qui ne rembourse pas, apporte déshonneur, et honte sur le clan, sur la famille ; comme pour le don maussien ( le don contre don : le don entraîne une dette, celle-ci doit être honorée, par peur de briser le chemin de la reconnaissance, ce « système d'échange », n'as pas pour finalité l'enrichissement personnel, mais plutôt le prestige social).
Les valeurs culturelles ont une influence indéniable sur les politiques de crédit selon le groupe social visé, par le biais de la notion d'usure qui le caractérisent. Influence qui se traduit d’ailleurs au niveau de la gouvernance dans sa stratégie d'implantation, communément qualifiée de « politique régionalistes ». Quant au recrutement, la linguistique y joue un rôle certain, on constate que le critère ethnique a son importance. Influence ressentie de l'usage de la monnaie, jusqu'à la perception de la dette ( certains individus qui ne remboursent pas se suicident, du fait de la "honte" apportée à la famille au clan).
Ce secteur peut faire office de pont entre société traditionnelle et moderne. À travers la culture bancaire, qu'il inculque à ses clients, il leurs permet d'appréhender la différence d'usage de la monnaie d'une société à l'autre, en étant un intermédiaire culturel. Dans la société traditionnelle, la monnaie traduisait un usage à visée holistique, parce qu'elle assurait le lien avec le divin et la société dans son ensemble. Dans la société contemporaine, la monnaie symbolise un usage à visée strictement individualiste, traduisant une quête personnelle incessante de possession matérielle, dénué de lien social, d'après Daniel de Coppet ( Les monnaies modernes comparées aux monnaies primitives : l’apport de Daniel de Coppet ).