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Billet de blog 22 mai 2025

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Chassez le Naturel, il revient au galop

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Alors que des élus loyalistes enchaînent les affaires judiciaires et voient leur influence s'éroder, avec sa proposition de dégel électoral, le sénateur néo-calédonien Georges Naturel incarne l'homme qui tombe à pic. À cet effet Georges Naturel a déposé le 16 mai 2025 sur le bureau du Palais du Luxembourg une proposition de loi organique pour nous resservir une version "allégée" d'un dégel électoral qui a pourtant tourné vinaigre un an plus tôt. Georges Naturel, tout seul comme un grand, décide de remettre le couvert alors qu'on "célèbre" tout juste le premier anniversaire d'un drame qui nous touche tous et qui nous a coupé l'appétit. De plus, le ministre des Outre-mer, Valls, a quitté la table des négociations sans accord pour l'île qui nous concerne. Celui-ci, lors de son passage sur le Caillou, a tout de même exprimé un léger penchant pour un projet d'indépendance-association, ce qui a poussé ce fameux Georges à rétorquer avec une telle proposition. À croire que Georges se sacrifie naturellement pour sa famille politique qui, devant les caméras, mime de ne pas supporter sa décision.


La relance de la proposition de dégel du corps électoral est une initiative qui, sous couvert de démocratie, ressemble à une ultime tentative pour sauver des mandats en péril. Entre les emplois fictifs qui ne suffisent plus à fidéliser l'électorat et une base loyaliste qui se réduit comme peau de chagrin, le dégel apparaît comme le dernier rempart contre un basculement historique du pouvoir. Je vous propose ici le décryptage d'une manœuvre politique à haut risque. Tout d'abord, il faut savoir que des élus loyalistes sont au bord du gouffre, en raison d'un système clientéliste en crise. Ce même système qui, pendant des décennies, a maintenu l'influence des élus loyalistes via un réseau d'emplois publics (Province Sud, mairies de Païta, etc.) et des contrats et subventions stratégiques.


Or, des affaires ont ébranlé ce système ; on pense à l'affaire des emplois fictifs de la Province Sud entre 2014 et 2018, où sont impliqués plusieurs élus loyalistes du parti Calédonie Ensemble (dont Philippe Gomez, Philippe Michel et Martine Lagneau), où la décision de la Cour d'Appel de Nouméa le 15 mai 2025 a condamné un système de clientélisme politique via des embauches douteuses, ce qui a eu pour conséquence une perte de confiance d'une partie de l'électorat modéré. En 2009 déjà Philippe Gomès a été accusé d'emplois fictifs quand il était président de la Province sud de 2004 à 2009, une première procédure qui a aboutit en 2014 sur un non lieu. Le 13 mai 2022 ce même Philippe fut condamné pour prises illégales d'intérêts, dans l'affaire de Nouvelle Calédonie Énergie. Le mardi 30 avril 2024, la Cour d'Appel de Nouméa confirme les peines à l'encontre d'Harold Martin et de Willy Gatuheau, dans l'affaire de l'achat des voix pour les municipales de 2014. En 2018, Pierre Frogier fut mis en examen pour détournement de biens publics et favoritisme, à l'époque où il dirigeait la Province Sud de mai 2009, à septembre  2012. Sans parler d'autres enquêtes qui suivent leur cours concernant notamment des histoires de marchés publics visant des élus provinciaux loyalistes. Tout cela risque de mettre en scène une nouvelle vague de condamnations avant les prochaines élections provinciales. Vous comprendrez que dans ce contexte, les loyalistes ne peuvent plus compter sur leur réseau d'emplois clientélistes pour garantir leur réélection. Ce pourquoi le dégel électoral devient une nécessité pour eux. Vu que leur base électorale traditionnelle se réduit, la population d'origine européenne (leur électorat historique) diminue en pourcentage. Sans évoquer le fait qu'une partie de leur base modérée les quitte face aux scandales. Les loyalistes perdent donc peu à peu leur assise. Dans ce cadre, le dégel électoral apparaît comme la solution miracle. Dans la mesure où un dégel "global" ajouterait 10 000 à 15 000 nouveaux électeurs, principalement des métropolitains installés depuis longtemps. Un électorat qui voterait potentiellement contre l'indépendance.


Sans oublier des élus indépendantistes qui hormis le chapeau qu'on tente de leur faire porter concernant les troubles du 13 mai 2024, sont tout de même dans une dynamique politique favorable, étant moins touchés par les affaires financières (même s'il existe des cas isolés) et ayant une capacité à mobiliser leur base sur la question identitaire. Aussi, en refusant toute discussion sur le dégel, les indépendantistes affaiblissent encore plus les loyalistes, déjà en difficulté judiciaire, et se présentent en défenseurs des intérêts autochtones face à une droite discréditée. En laissant les loyalistes s'enfoncer dans leurs contradictions, ils préparent le terrain pour 2025 avec notamment la Province Sud dans le viseur. La Province Sud pourrait donc basculer si l'abstention reste forte chez les anti-indépendantistes et si les jeunes Kanak se mobilisent massivement. Annonçant ainsi la fin d'un cycle ? Raison pour laquelle, la proposition de Georges Naturel révèle la panique d'un camp politique acculé, n'étant plus capable de gagner loyalement. C'est dire si les élus loyalistes ne sont loyaux qu'envers leurs intérêts, au risque de replonger l'archipel dans un brasier social à peine apaisé. C'est ce que nous montre leur disposition à rallumer les flammes du brasier social en jouant la carte du dégel pour survivre. Nous amenant à croire que le véritable enjeu n'est pas constitutionnel, mais existentiel pour les élus loyalistes.


Du fait que le dégel incarne la dernière cartouche des loyalistes qui en plus de se tirer une balle dans le pied, en proposant le dégel de façon poussive n'attendent qu'une occasion pour tirer dans le tas. Ainsi, Georges Naturel ne propose pas le dégel par idéologie, mais par survie politique. Compte tenu d'un système d'emplois clientélistes qui s'effondre, d'un électorat loyaliste en berne et d'un risque de perdre la Province Sud en 2025, le dégel est leur seule issue pour tenter de garder le pouvoir, sans visiblement se soucier des répercussions qui, hier encore, furent palpables aux dépens de l'ensemble de la société néo-calédonienne. À travers un risque de violences si la mesure est imposée sans accord, amenant à une fracture encore plus profonde entre communautés. Avec pour résultat un discrédit total si l'opinion perçoit cela comme une manipulation électorale. Tant la Kanaky-Nouvelle-Calédonie est à un tournant de son histoire. Aussi des élus loyalistes qui se sont toujours crus du bon côté de l'histoire sentent dorénavant le vent tourner et, en réponse à cela, en mode hara-kiri, veulent faire plonger cette île dans le bas-côté pour en capter le pouvoir par peur qu'il ne leur échappe une bonne fois pour toutes. Avec deux options possibles : soit les loyalistes parviennent à élargir leur base par le dégel, soit leur déclin s'accélère, ouvrant la voie à un revirement historique qu'ils ne sont pas prêts d'assumer.


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