Il arrive un moment, au cœur de l’exil, où même la nuit la plus dense ne ment plus. Un moment où l’on comprend que ce n’est pas la ville qui déborde, ni la nuit qui nous avale, mais ce labyrinthe qui nous intime. En attendant cette fissure avant la lumière. La mienne est apparue presque par accident. Je traversais une nuit banale, bière tiède, discussions superficielles, regards qui glissent vers des sourires achetés. En sortant, le jour pointait un ciel laiteux, gris, fatigué, comme moi. Je marchais en longeant la rivière, pour la première fois depuis longtemps, j’ai vu mon reflet. Je n'ai pas vu l’homme que je pensais être, ni celui que j’essayais de jouer, j'ai vu un homme perdu. Ça m’a frappé, je n’étais plus un voyageur, j'étais une fuite. Ce matin-là, j'ai marché, sans but. Au bout d’une ruelle, j’ai trouvé un temple, où des moines balayaient les feuilles tombées. Je suis entré sans réfléchir. L’un des moines m’a regardé, et m’a fait signe de m’asseoir. Je ne comprenais pas ses mots, mais ses gestes. Je me suis assis parce que je n’avais plus la force de marcher. Là, quelque chose s’est produit, un début de calme. Le calme d’un souffle qui accepte de ne plus lutter. Le moine a posé un bol d’eau devant moi, il voulait que je voie mon reflet que je lave mes pêchés peut être bien. Dans ce silence, je me suis demandé poétiquement " qu'est ce qu'elle a ma gueule ? " comme dirais l'autre. Je trouva la réponse dans ce bol, j’ai vu un visage que j’avais évité, un visage fatigué, étrange et familier. C’était moi, du moins ce qu'il en reste mais pour combien de temps ? Le moine m'a dit des mots, en khmer, que j’ai fait semblant de comprendre. Mais j’ai compris leur intention ; " tu peux repartir, mais pas dans l’oubli de toi-même ". Ce jour-là, j’ai pris conscience d’une chose ; l’exil n’est pas l'absence de pays. Il est une absence de soi, du soi profond, celui qu’on tait, qu’on fuit. Tant que je ne me reconnaitrais pas, je pourrais traverser dix pays, cent visages, mille nuits je resterais étranger à mon moi profond.
La lumière n’est pas revenue d’un coup. Elle n’a pas balayé les ténèbres. Elle a fissuré la nuit sans la détruire, là où mes peurs demeurent autant que les doutes fustigent. Je me suis senti, pour la première fois, accompagné par moi-même, revenu à moi, sans prendre de grandes décisions, ni de belles promesses.
L’Asie n’était plus mon refuge, mais, le miroir dans lequel je me reconnaitrais sans fuite, ni masque.