Rétrospectives
Jamais une année n'aura été autant synonyme de souffrances pour une planète et son humanité qui semblent en décrépitude face aux catastrophes naturelles et aux massacres de masse en Palestine, en Cisjordanie et au Liban.
Jamais une année n'aura été autant synonyme de souffrances pour des Outre-mers qui portent une colère sociale, qui a l'audace de demander des moyens pour les hôpitaux, les écoles et les services publics, mais se confronte à l'armée envoyée sur son sol pour mater les esclaves.
L'année 2024 pour les Outre-mers a ce sentiment de déjà-vu poussif qui laissera des mandats de Macron le mépris, le dédain et la condescendance. En somme, toutes les caractéristiques de la satire, dit-on, d'une identité française dont Emmanuel Macron semble incarner le stéréotype, celui de l'éternel colon déguisé en bourgeois gentilhomme qui raconte tout et son contraire comme si de rien n'était.
En Kanaky-Nouvelle-Calédonie et dans les Antilles françaises, Macron envoya des renforts pour perdurer un ordre qui se nourrit du chaos. Qui profite aux mêmes, à ceux-là mêmes qui prospèrent sur la supercherie égalitaire que le projet républicain est censé assurer. Une promesse républicaine qui s'est perdue en chemin, et en réponse à cela les peuplades devraient déjà s'estimer heureuses d'avoir des "papiers".
Autrement dit, s'accommoder d'un trop peu de reconnaissance, quand nos semblables meurent par milliers aux portes de l'Europe. À ce propos, concernant le cyclone Chido à Mayotte, on a entendu dire du Premier ministre François Bayrou alors fraîchement nommé que la plupart des victimes mortes dans les bidonvilles ne sont pas françaises. Quel soulagement de la part de quelqu'un qui n'a pas eu le courage de se rendre sur place, préférant assurer son gagne-pain, au conseil municipal de Pau dont il reste le maire.
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Miss "Veille" France
Autant vous dire que l'heure de gloire des minorités et des ressortissants d'Outre-mers avec un Teddy Riner placé entre chaque spot publicitaire pendant les derniers Jeux Olympiques paraît loin. Si bien qu'après les J.O., il était inévitable que le pouvoir érige de nouveaux symboles d’intégration, à l’intention des minorités, surtout dans un contexte de vie chère qui gagne l’Outre-mer, chaque geste compte. À cet effet, a été nommée la nouvelle Miss France, martiniquaise et noire, une première dans un pays où les stéréotypes ont la peau dure. L’image d’une lauréate issue de l’Outre-mer répond au besoin de projeter une France plurielle et inclusive, à un moment où l’insatisfaction grandit dans des territoires ultramarins trop souvent négligés.
Cette nomination survient au moment où la France peine à maintenir son influence au Sahel, un espace historiquement marqué par la présence — et parfois l’ingérence — française. Des pays comme le Mali, le Burkina Faso, puis le Togo, le Cameroun et, plus récemment, le Sénégal, ont réclamé le retrait des troupes françaises, remettant en cause des relations souvent empreintes d’un passé colonial jamais réellement dépassé. Dans le cas récent du Sénégal, la France, prise au dépourvu, a vu Emmanuel Macron rédiger une lettre à son homologue sénégalais pour envisager de reconnaître le massacre de Thiaroye, chose que l’Hexagone n’avait pas envisagée depuis 80 ans.
Cet élan des États africains s’inscrit dans un vœu de souveraineté, porté par la voix des peuples qui exigent de rompre avec des rapports de force anciens. Pendant ce temps, la France voit sa souveraineté mise à mal, confrontée à une dette faramineuse, et assiste à la déliquescence de l’ordre ancien qu’elle s’est efforcée de maintenir. Son eurocentrisme et ses réflexes (néo)coloniaux apparaissent plus que jamais anachroniques. Le choix d’une Miss France noire, martiniquaise, dans une société où l’imagerie nationale reste dominée par des archétypes ancrés, semble être un geste symbolique pour contrecarrer une perte d’influence sur la scène nationale et internationale. Comme si, par une mise en scène, on tentait de compenser la remise en cause de l’autorité française à l’extérieur par une intégration (médiatique) de la diversité à l’intérieur.
Reste à savoir si ce symbole, aussi réjouissant soit-il pour la représentation des minorités, s’accompagnera d’une évolution des mentalités et des politiques. Ce n’est qu’en dépassant l’esthétique de l’inclusion, en répondant concrètement aux revendications économiques et culturelles de l’Outre-mer, tout en repensant sa relation avec l’Afrique, que la France pourra prétendre à un nouveau modèle d’égalité et de respect mutuel. Pour l’heure, la discordance entre la scène intérieure, où l’on hisse une Miss France noire sur le devant de la scène, et la scène internationale, où des États francophones se passent de l’ancienne métropole, souligne la complexité du moment présent.
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Manuel Valls d'outre-tombe, aux Outre-mers
C'était sans compter sur une macronie qui n’en finit plus de surprendre : voilà que l’on apprend la nomination de Manuel Valls, paria de la gauche et de la scène politique française en général, au poste de ministre des Outre-mers. En vérité, un « sous-ministre » car ce ministère est aujourd’hui relégué au rang de strapontin gouvernemental. Si l’on en juge par le chemin tortueux de Valls, rien n’indiquait qu’il se retrouverait un jour en responsabilité de territoires ultramarins dont il ne connaît la réalité, sinon à travers les discours emphatiques qu’affectionnent les gouvernements de passage.
Cette manœuvre n’aurait rien d’étonnant si elle ne s’inscrivait pas dans le décor de cirque d’un gouvernement Bayrou alias "Bozo le clown" qui prend des airs de jeu de chaises musicales pour placer ses copains et consolider le pouvoir d’un centre bourgeois, autoritaire et conservateur qui, sous couvert de libertarisme, s’érige en gardien du temple du privilège blanc. Le résultat : un assemblage hétéroclite, plus préoccupé par la poursuite de ses intérêts que par la défense d’un héritage républicain qui, de toute évidence, ne s’applique qu’avec parcimonie aux Outre-mers.
Manuel Valls se retrouve donc promu à la télésurveillance de confettis d’empire dont la métropole vante le folklore pour mieux ignorer les difficultés structurelles. Le voici affublé d’un maroquin devenu secondaire, dans l’espoir probable de redorer son blason terne et de faire oublier son exil politique manqué. Peut-être y voit-il un tremplin pour regagner un semblant de crédibilité ; peut-être s’agit-il, à l’inverse, d’un enterrement de carrière déguisé.
Dans tous les cas, cette nomination renforce la sensation que la République, dans sa grande mansuétude, se contente d’offrir les Outre-mers en pâture à des figures de second rang. À vrai dire, la nomination de Manuel Valls est à l'effigie du traitement des Outre-mers, d'où l'on nous envoie les "rebuts" de l'impérialisme, les agents administratifs véreux qu'on ne sait plus où caser et qu'on envoie au vert et/ou dans les îles histoire de se refaire, en se faisant oublier. Tel que ce commissaire de gendarmerie que Médiapart avait révélé, accusé de violences conjugales, envoyé en Kanaky-Nouvelle-Calédonie par Gérald Darmanin. Des exemples parmi tant d'autres. Mais le feu Manuel Valls, là, c'est le bouquet final, on peut difficilement faire mieux en termes de rebut. Comme si l’avenir de ces territoires se satisfaisait de la figuration d’un Valls, passé du statut de prétendant à l’Élysée à celui de « sous-ministre » subalterne.
Aussi, la partition qui se joue laisse un goût amer : au moment où les Outre-mers ont besoin d’une voix forte et attentive à leurs réalités, ils héritent d’une figure comme symbole d’une gauche désavouée, placée là pour boucher les trous d’un gouvernement en mal d’assise.
Ce jeu de chaises musicales ministériel reflète une conception jacobine du pouvoir : on recase, on saupoudre, on s’en remet aux réseaux d’un centre bourgeois ronronnant, gardien zélé des privilèges d’une élite, moins républicaine qu’elle ne l’affirme, mais toujours protectrice du privilège blanc. Les Outre-mers, pourtant riches d’une diversité et d’une histoire fortes, butent encore et toujours contre ce plafond de verre, relégués au second plan sous l’œil condescendant d’une métropole confortablement installée dans la perpétuation de ses privilèges.
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Kanaky, Madinina, Outre-mers : même combat
En cela, nous autres, damnés, refusons de nous contenter du rôle de subalterne auquel le système nous prédestine. Nous prônons un appel à la reconnaissance des réalités vécues par des jeunes dont l'avenir est sacrifié, qu'il s'agisse de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie ou des Outre-mers dans leur ensemble. Il s'agit d'un cri d'alarme pour une transformation radicale du système, qui passe par une révision complète de la manière dont les jeunes sont soutenus, éduqués et intégrés dans la société, avec un respect réel pour leurs cultures et leurs identités.
Ce cri s’inscrit dans une réflexion lucide sur l'urgence d'agir et de changer les structures en place pour que les jeunes ne soient plus invisibles ni les sujets d'un jeu politique qui ne profite qu'à une élite hors-sol. Loin d'une réalité faite de situations explosives et de dynamiques de violence systémique, que ce soit en Kanaky-Nouvelle-Calédonie ou dans les Outre-mers, ce mouvement fait écho à des phénomènes globaux tels que les Gilets jaunes en France.
Les troubles sociaux ne sont pas des événements isolés mais les symptômes d'une oppression structurelle liée à la précarisation néolibérale et aux inégalités raciales. La répression des manifestations et des soulèvements populaires dans les quartiers de Nouméa met en lumière le monopole de la violence étatique comme outil de domination. Cette violence est justifiée au nom de la sécurité, mais elle reflète surtout une volonté de maintenir un contrôle sur des populations racisées et précarisées.
Cette dynamique trouve un écho dans la manière dont les médias mainstream manipulent la perception publique pour légitimer la répression et criminaliser les voix dissidentes. Le processus de précarisation par le néolibéralisme est au cœur des politiques adoptées par les gouvernements successifs, souvent sous la pression des institutions européennes et internationales.
Ces directives néolibérales plongent les sociétés dans une dette insurmontable, permettant au capitalisme de s'imposer comme solution, en proposant des emplois précaires et en rendant ainsi les populations dépendantes de conditions de travail dégradantes. Le néolibéralisme contemporain semble s'orienter vers une forme de techno-féodalisme, où les technologies et les grandes entreprises privées contrôlent les infrastructures essentielles.
Cela va de pair avec la montée des discours fascisants et racistes qui justifient ces nouvelles formes de servitude et de surveillance. Ce processus s'accompagne d'un démantèlement des services publics au profit du secteur privé, exacerbant les inégalités sociales. Dans ce contexte, le racisme n'est pas une dérive accidentelle ; il constitue la colonne vertébrale d'un système capitaliste néocolonial.
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Un avenir à décoloniser
La situation alarmante dans les Outre-mers s'inscrit dans ce continuum colonial, où l'État impose sa domination sur les peuples indigènes, racisés et précarisés. L'ordre colonial a conquis ces colonies par le mépris et les maintient sous son joug par ce mépris, tout en se présentant comme bienfaiteur. Or, par ce mépris la France a perdu l'Afrique, et par ce mépris qu'elle risque de perdre le reste de ses colonies.
Face à l'exaspération actuelle des ultramarins, il semble de plus en plus improbable qu'ils continuent à évoluer au sein d'une France qui persiste dans son déni et sa condescendance. Davantage lorsque les "civilisateurs" cyniques cherchent à expliquer aux "sauvages" les raisons nécessaires de leurs oppressions, sans avouer que ces oppressions servent à polir leurs privilèges.
Le "civilisateur" tourne alors en ridicule les aspirations égalitaires des damnés de la Terre, tentant de leur faire accepter, comme une grâce, les miettes sociales que le maître a bien voulu leur concéder. Le maître ne ressent aucune honte, surtout pas devant sa belle maison bâtie grâce au labeur de l'esclave.
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Vœux
Cela en dit long sur la situation actuelle dans les Outre-mers : une répression et des inégalités qui appellent à une décolonisation réelle, non seulement dans les termes, mais dans les faits. Cette transformation exige une revalorisation des terres et des peuples insulaires, ainsi qu'une révision du modèle économique pour inclure les préoccupations écologiques et sociales.
Face à une force coloniale qui fige nos existences dans une morale d’un autre temps. C'est dire s'il est urgent pour la France de repenser son rôle, son discours et sa place dans le monde, notamment à travers sa diversité. Or, si au XXIᵉ siècle la France n’est pas encore capable de se penser à travers cette diversité, elle continuera de s’enfoncer dans son déclin moral. Alors que sa diversité lui tend maintes fois la main, l'auveuglement moral de la France est tel que la diversité ne pourra bientôt plus rien pour elle.