Faire peuple ?
« Peuple de France !
Pendant quinze siècles tu as vécu esclave, et par conséquent malheureux. Depuis six années tu respires à peine, dans l'attente de l'indépendance, du bonheur et de l'égalité.
L'ÉGALITÉ ! (..) De temps immémorial on nous répète avec hypocrisie : « les hommes sont égaux » ; et de temps immémorial la plus avilissante comme la plus monstrueuse inégalité pèse insolemment sur le genre humain. Depuis qu'il y a des sociétés civiles, le plus bel apanage de l'homme est sans contradiction reconnu, mais n'a pu encore se réaliser une seule fois : L'égalité ne fut autre chose qu'une belle et stérile fiction de la loi. Aujourd'hui qu'elle est réclamée d'une voix plus forte, on nous répond : Taisez-vous, misérables ! l'égalité de fait n'est qu'une chimère ; contentez-vous de l'égalité conditionnelle : vous êtes tous égaux devant la loi. Canaille, que te faut-il de plus ? Ce qu'il faut de plus ? Législateurs, gouvernants, riches propriétaires, écoutez à votre tour.(...)
Nous déclarons ne pouvoir souffrir davantage que la très grande majorité des hommes travaille et sue au service et pour le bon plaisir de l'extrême minorité. (…) »1.
Faire peuple, la notion de peuple renvoi dans l'imaginaire collectif, à une vision marxiste, celle du prolétariat animé par la lutte de classe. Cependant il faut distingué le peuple, de la masse, de la foule qui se démarque de celui-ci par son côté dissolue, et passionnel, tandis que le peuple se définit par « l'unité de la volonté » selon Thomas Hobbs, le one will, une volonté, un « moi commun ». Le peuple en votant comme un seul homme, vote pour un seul homme, abjure sa liberté. Il désire l'unanimité alors que celle-ci est liberticide, paradoxalement c'est la liberté qui guide le peuple, qui l'auto-institue en tant que « peuple libre », et non pas en tant qu'esclave. Cependant la liberté n'est pas donnée, elle se conquiert . Pour Fichte la liberté est le fruit de l'intersubjectivité, elle commence là ou s'arrête celle des autres. La construction du soi ne peut se faire sans l'autre. Le droit a le rôle de contenir les libertés individuelles, de conditionner cette inter-subjectivité, en une société égale. Le droit restreint ainsi la liberté au nom d'une « réciprocité raisonnable ». Aliénant de fait l'individu, comme quoi il ne pourrait évoluer en marge du contrôle étatique, car le droit suppose que les hommes sont mauvais et égoïstes. L'Etat aurait donc à travers le droit, le « monopole de la violence légitime », en asservissant ces sujets, de façon plus ou moins exacerbée, dans un rapport de force, qui se voudrait inauthentique et intemporel. La liberté serait donc le « leurre civilisationnel », qui impulserait une servitude volontaire au sein du peuple, afin qu'il n'ait surtout pas le sentiment d'y être contraint par la force. Est ce que le peuple, qui se définit lui même, comme voulant être libre, n'est ce pas une illusion, car le peuple d'après La Boétie désire sa servitude.
" être libre ce n'est rien, devenir libre c'est le ciel " Fichte
Pour Blaise Pascal, il n'y a pas de systèmes meilleurs qu'un autre. Le souverain est avant tout garant d'une paix civile. Le peuple accepte d'obéir car il croit, il se persuade que les lois sont justes. Mais encore sait qu'elles ne sont pas juste, mais ne veut pas le savoir. Pascal traduit cette ambiguïté par le caractère crédule du peuple, il a besoin d'y croire. Il souligne une forme de mauvaise foi de la part du peuple, car au fond personne n'accepte de se soumettre. Hors croire à la souveraineté du souverain c'est vouloir y croire, pour pouvoir s'y soumettre. Dès lors ce qu'il reste de liberté chez l'homme fait qu'il ne peut pas ouvrir les yeux pour regarder sa situation d'oppression. Il a besoin de croire que le système politique dans lequel, il vit, est légitime. Sans quoi il sombrerait dans l'abjection, qui consisterait à se soumettre à la force. Tout compte fait ce qui définit un peuple c'est l'opinion. Le peuple n'accepte d'obéir qu'à ce qu'il croit juste, c est ce qui le différencie d'une masse qui agit par impulsion. Blaise Pascal nous décrit les « demi habiles » qui ont compris que la loi est arbitraire, qu'elle n'est qu'un masque de la force. Ils veulent émanciper le peuple, ils veulent que le peuple n'obéisse plus à des lois injustes. Ils sont « demi habiles » car ils n'ont pas, eux de meilleurs système à proposer. Nous ne savons pas qu'elle est le système politique juste, pour Pascal et donc les « demi habiles » ôtent aux hommes leurs crédulité, plutôt ils les vident car ils n'ont rien a y mettre à la place. Ils sont des fomenteurs de guerre civile.
« Le populisme fait de l'expérience du peuple – de ce qu'éprouve le « vrai » peuple – le thermomètre de la réalité : seul est réel ce que ressent le peuple. Le reste est de la « fumisterie intellectuelle ». Si toutes les rhétoriques politiques – de gauche ou de droite – visent à tisser un rapport affectif au politique ( c'est le propre de tout parti ou idéologie), la spécificité du populisme est qu'il définit le rapport au politique à partir d'un lien affectif - « naturel » - qui serait exclusif aux membres du « vrai » peuple.
En être ou ne pas en être, c'est toute la question. Si les catégories politiques pèchent souvent - habilité stratégique – par l'imprécision, le phénomène est infiniment plus structurel s'agissant du populisme. Autour du peuple, le populisme trace une frontière sinueuse, happé pourtant par l'unanimisme. Le centre de gravité politique autour du peuple, dont le leader populiste s'auto-institue porte-parole, aucunement gêné du fait qu'électoralement il est très souvent très loin d'être majoritaire. Le national-populisme est inséparable de la construction d'un adversaire empli d'hostilité malveillante. Entre les ennemis d'hier ( juifs, métèques, protestants et francs-maçons) et les menaces d'aujourd'hui, la continuité existe avec des inflexions – les multi-culturalistes, les bobos, les élites mondialisées, le capitalisme globalisé, les immigrés, les binationaux, les Roms, toujours les juifs, désormais aussi souvent l'islam et les musulmans sont dénoncés comme cassant l'unité du peuple et incapables de ressentir un lien viscéral avec la communauté. » Martuccelli Danilo, La condition sociale moderne, Gallimard 2017, p.137.
Le fait de voter nous coupe de la foule et nous dispense de nous occuper des affaires publics. L'isoloir est un paradoxe vivant, c'est à dire qu'on est seul vis à vis de soi-même, et qu'on va décider de la société qu'on veut. Le moment du vote, est le moment ou le peuple constitue le pouvoir. Cela revient à dire que le peuple en tout, n'est que la somme des votants. Ce qui est paradoxale parce que l'isoloir est une garantie de la liberté individuelle, pour être dans le « secret d'une conscience », c'est donc en se désocialisant, qu'on va constituer le peuple. Ce procédé casse l'effet d'entrainement du peuple, le fait d'être ensemble. C'est une représentation qui suppose que le peuple émane de la rencontre, de l'addition des volontés individuelles, ce qui est une manière pour Jean Paul Sartre, de nier la réalité même du peuple. Nous sommes « sérié », « sérialisé » les uns à côté des autres. Du point de vue de Sartre c'est au nom de la démocratie qu'il est contre le vote. C'est au nom d'une démocratie directe, et non pas une démocratie représentative, qu'une démocratie délègue à d'autres le droit de gouverner en son nom, et pour Sartre un paradoxe une contradiction irréconciliable, quelque chose à surmonter, à défaut de le surmonter, une mascarade à laquelle il ne faut pas participer. Si la démocratie c'est l'exercice de la souveraineté par le peuple, sur le peuple, alors elle ne peut pas naître dans un isoloir. L'isoloir c est la « machinerie libérale » qui sert à détruire, qui a pour fonction de détruire la démocratie, d'après Sartre.
« On noiera la révolution dans les urnes, ce qui n'est pas étonnant car de toute manière, elles sont faites pour ça » J-P Sartre
Les urnes sont faites pour ramener l'individu, seul en face de lui, et donc empêcher que se constitue la démocratie. Sartre nous informe que ce qu'on appelle démocratie est un système purement individualiste, ça n'est pas l'exercice de la souveraineté par le peuple, parce que nous nous méfions du peuple en tant que tel. Ce que l'on appelle démocratie, c'est un système qui protège les droits subjectifs, les droits de l'homme, mais les droits de l'homme sont des droits individuels, qui servent à tenir légitime le candidat élu pour lequel on a pas voté, mais surtout qui servent à court circuiter en permanence la démocratie directe, selon Frédéric Brahami.
« (…)
Plutôt amère
La froide impatience
Qui tremble
Dans tes mains
Que veux-tu me dire
Que je ne sais déjà
Aux plis de tes lèvres
Je le vois
Les mots se sont usés
Tu n'as pas su voir
Les matins flamboyants
Tu aurais pu
Ah ces regrets inutiles
Tu aurais pu
Quoi ?
T'en aller peut-être
Ou écrire autrement ta vie
Inventer dis-tu
Tes saisons
Border tes jours d'écume et de soleil
Et n'être qu'un corps qui danse
Au rythme de ses désirs
Sauras-tu jamais
Vibrer à ton tour (...) » Femme, de Maissa Bey
Sartre nous confie que pour faire peuple, il faut mener des actions, qui s'apparentent à une forme de désobéissance civile. Le droit ayant mis en place des lois injustes, comme l'esclavage, que l'on soit maître ou esclave forcément nos droits divergents. Hegel a traité de la dialectique du maître et de l'esclave dans la Phénoménologie de l'esprit, via le désir de reconnaissance, qui éclos de cet affrontement. comme étant le moteur de la lutte des consciences. La désobéissance civile permet de faire évoluer les consciences, en dénonçant des situations absurdes, et surtout en faisant abroger des lois partiales.
La désobéissance civile selon John Rawls se définit comme étant un « acte public, non violent, décidé en conscience mais politique, contraire à la loi accompli le plus souvent afin d'amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement, par lequel on s'adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté, et cela précisément dans les limites du respect de la loi, ce qui s'exprime entre autres par l'acceptation de la peine éventuellement encourue »( Rawls 1975, 401, 403;cf.aussi Celikates 2011).
Cette définition de la désobéissance civile rejoint celle entreprise par Jurgen Habermas ( 1985, p.83, 84) à savoir ; « La désobéissance civile est un acte de protestation aux justifications morales qui n'est pas uniquement fondé sur des croyances personnelles ou des intérêts particuliers : c'est un acte public qui est en règle générale annoncé aux autorités et dont la police peut prévoir le déroulement ; il implique la violation intentionnelle de normes de droits individuelles sans que celle-ci n'affecte l'obéissance vis-à-vis du système juridique dans son entier ; il exige d'être prêt à s'engager à assumer les conséquences juridiques de la violation des normes ; l'infraction aux règles, qui constitue le moyen d'expression de la désobéissance civile, a un caractère exclusivement symbolique – il en résulte déjà par là qu'elle se limite à des moyens de protestation non-violent. »
Bien que certains font remonter la désobéissance civile à Socrate, ou Antigone. Or cette expression apparaît au milieu du 19 ème siècle aux Etats Unis grâce à un citoyen du Massachusetts monsieur Henry David Thoreau, qui refusa de payer ses impôts au gouvernement pendant 7 ans, car ce dernier pratiquait une politique esclavagiste, et lui ne veut pas que son argent vienne cautionner ce type de pratique inhumaine. Il va tenir une conférence qui sera retranscrit dans un livre et deviendra le texte fondateur de la désobéissance civil, qui sera lu plus tard par Ghandi et Martin Luther King lors de leurs séjours en prison respectifs.
L'ensemble des acquis sociaux est le fruit de la désobéissance civile comme acte politique pour faire pression et changer les lois en vigueur. En ce sens la démocratie symboliserai une dynamique, les actions qui ont découlent peuvent s'inscrire dans le cadre législatif, cependant si ce cadre est trop restreint , elles peuvent sortir de ce cadre pour améliorer la loi, ces actions seraient alors le moteur de cette dynamique démocratique ( Cervera -Marzal2, 2017). La prolifération d'action depuis les années 1990 ( en 1993 Act Up recouvre l'obélisque de la Concorde avec un préservatif géant, mais encore en 1999 les faucheurs d'OGM et José Bové ont démonté le MC Donald de Millau), nous montre que les mouvements de contestation sont en train de s’essouffler, par exemple le vote pour des partis contestataires, aux grèves, au syndicalisme. De son coté l'Etat Français aussi se radicalise à travers une forme autoritaire, et sécuritaire particulièrement après l'Etat d'urgence avec la loi sur le service minimum (si le préavis de grève n'est pas déposé suffisamment à l'avance la grève risque d'être illégale). Jadis ce que les gouvernants considéraient comme des libertés fondamentales ; le boycott, la grève, la manifestation. De plus en plus aujourd'hui ces actions sont considérés comme illégales, en résulte une criminalisation des mouvements sociaux. Des interdictions de manifestation légitimités par un arsenal juridique, législatif mis en place suit aux attentats du 13 novembre 2015. Des lois à la base formatés lors de l'Etat d'urgence pour combattre le terrorisme se retournent contre des cibles pas officiellement visés ( à savoir les terroristes), mais plus contre des militants, des écologistes, des syndicalistes, des lycéens. La désobéissance civile promeut une conception vivante, dynamique qui s'opposerai à une vision figé de la loi comme une entité transcendantal qui imposerai ses volontés sur l'individu, qui ne pourrai nullement en influencer les contours (Manuel Cervera-Marzal3).
Pour faire peuple, il faut mobiliser autour d'une opinion, qui se construirait dans une démarche démocratique que l'on peut caractériser d'athénéenne, pour Sartre. Faire peuple signifie non seulement d'être libre, du moins d'y prétendre a l'être. C'est pourquoi Sartre insiste sur les limites d'un système individualiste, qui travestit la démocratie, à des fin utilitariste, si ce n'est de contrôle social, par le biais d'une « théorie du choix social » ( qui consiste à analyser le choix d'une décision collectives, qui traite aussi bien du vote, que de l'économique) . Procédé sciemment orchestré au préalable, dans le but d'orienter le choix du collectif, sommes nous à ce propos, vraiment libre de nos choix en période électoral ? Dans la mesure ou le diktat de la technique, qui entraîne une dépossession démocratique, de la part du cratos ( le pouvoir). Dès lors suivant cette logique capitaliste l'égalité est synonyme « d'employabilité ». Mais encore que la montée de la grogne sociale, appelle à une réappropriation de la part du démos ( le peuple), de cette promesse démocratique « je veut être maître de mon destin » qui semble en échec aujourd'hui, selon le philosophe Pierre Henri Tavaillot. L'égalité est un processus d'altérité, ayant un caractère subversif, selon la rigidité du cadre en vigueur 4. Tout autant qu'un idéal humaniste, matérialisé par l'Etat de droits. L'ambivalence de l'égalité, celle de vanter les louanges d'un individualisme, comme apothéose libérale. De telle sorte que son instrumentalisation, par le néo-libéralisme témoigne d'une inconciliabilité entre démocratie et capitalisme. Du fait, du nouveau rapport travail/capital, au profit du capital. Cette dépossession démocratique engendré par le secteur privé, incarne un concept phare du néo-libéralisme, qui est celui du marché auto-régulateur5.
La différenciation sociale s'est construite dans la logique du capitalisme, autour de l'intérêt et du prestige, via des comportements grégaires, dans une « tendance à rivaliser avec autrui », pour reprendre les propos de Throstein Veblen. Ce qu'on nomme « commun » dans les sociétés modernes, est de l'ordre d'une uniformisation des modes de vies et des consommations. La performativité de nos sociétés étant basé sur la consommation de masse. En conséquence de quoi, le « marché libre » absorbe et influent nos besoins, dans le but que, nous puissions difficilement nous en défaire ( le « no easy way out »)6. C'est en quoi l'égalité symbolise le parjure de la modernité, du fait d'avoir orchestré via sa prétention d'ériger son universalité, un « cheval de Troie », qui a eu pour finalité une obédience global au « marché unique ». Reste que la grogne populaire compte se réapproprier la maitrise de sa destinée, face à un système capitaliste, qui lui apparaît comme avide. Compte tenu du gap social qui se creuse entre les différentes classes sociales. D'évoquer du « commun », relève d'une ambiguïté, du fait que le capitalisme tire profit, de la compétition entre les individus. Dès lors le capitalisme est un faux garant d'une paix sociale, puisqu'il perpétue un système de domination et d'exclusion pour les individus les moins capables ( les « prolétaires » ).
Suite à quoi on observe que la démocratie représentative ne libère pas le peuple, mais l' asservit, permettant au capitalisme de perpétuer sa domination. La démocratie représentative n'aboutit pas à l'émancipation pour le plus grand nombre, qui doit donc être en rupture avec le capitalisme. Il faudrait émanciper le peuple pas seulement du capitalisme, mais plus d'un modèle de domination global et euro-centré ( Quijano, 2007). Tout nous porte à croire que nous vivons dans une « démocratie capitaliste ». Compte tenu de l'apanage de la science d'incarner l'espoir et le progrès, via son essor, qui profiteraient aux industriels, aliénant les individus du fait d'une projection d'un idéal, qui ne peut se faire sous d'autres formes que celle du consumérisme. De plus l'incapacité des règles sociales à limiter les désirs individuels engendre une déception croissante et le sentiment d’aliénation ( Emile Durkheim, Le suicide, 1897). Le sentiment de frustration étant au cœur du leit motiv de consommation. Reste à savoir si comme La Boétie l'évoque le peuple désire sa servitude, que d'un point de vue fataliste, il se dit qu'a quoi bon, puisque que comme Pascal le présume on ne sait quel est le système le plus juste. L’égoïsme, et l'intérêt individuel n'est pas le monopole du capitalisme, ce sont des sentiments humains, cependant ce système les a exacerbé, les a institutionnalisé. Ce système a aliéné, le peuple car celui-ci a bien voulu se laisser aliéner. A savoir que les révolutions se sont faites grâce à la bourgeoisie, donc des intérêts privés, contre un « etablishment », qui étaient opposés à leurs ascension. Ils ont armés un soulèvement populaire, pour le compte de leurs intérêts, sous couvert de l'intérêt du groupe, à travers des valeurs universelle, telle que la justice, et la liberté. C'est aussi sous le nom de cette dernière ( la liberté de la non-action), que nous fermons aujourd'hui les yeux sur le sort de l'autre, tant que notre confort est assuré, combien même le serait-il au détriment du plus grand nombre, que nous nous en accommoderons, car le fait d'être « privilégié » nous permet de survoler la masse, et ainsi se croire exceptionnel, légitime par la lignée, ou encore par la réussite sociale, via un sentiment de sécurité appauvrissant. Le capitalisme s'est construit sur la chimère de l'égalité, comme quoi, nous avons tous les mêmes chances de réussir dans la vie, et que nous avons tous les mêmes droits. Le peuple s'est laissé tenter par cette promesse, et veut toujours y croire, doit y croire car le capitalisme entre temps s'est globalisé. Face à ce constat il baisse les armes se dit que c'est peine perdue, capitule. Aujourd'hui le fait d'être conscient de la situation d'oppression de l'autre, et perçu comme de la culture générale. Peut aboutir sur un transnationalisme militant, par contre la question de la mêmeté culturelle, est centrale pour essayer si ce n'est de mobiliser, au moins de sensibiliser. Seulement le temps paraît long, avant que pour faire peuple, c'est à dire de constituer un « tout », nous regardons l'autre comme notre semblable.
« Et si la souffrance peut sans doute se ressentir à distance, la solidarité, en revanche, a besoin impérativement d'établir une ressemblance sociale entre les autres et nous. C'est cela que la distance rend difficile, mais surtout, que notre subjectivité rechigne d'autant plus souvent à reconnaître que les expériences individuelles se délestent progressivement d'un sens immédiatement collectif ou groupal au profit d'émotions et de cognitions induites par des industries culturelles. Les émotions sont à la fois de plus en plus personnalisées et de plus en plus produites comme objets de consommation. Le témoignage individuel suscite alors de l'émotion individuelle sans parvenir à alimenter une volonté d'actions. » 1
1 Martuccelli Danilo, Grammaires de l'individu, Gallimard 2002.
2 Enseignant de sciences politiques et philosophe, il travaille sur les mouvements de contestation et en particulier sur la désobéissance civile, tiré d'un interview pour France Télévisions/Premières lignes Télévisions/Storycircus 2017.
3 Enseignant de sciences politiques et philosophe, il travaille sur les mouvements de contestation et en particulier sur la désobéissance civile, tiré d'un interview pour France Télévisions/Premières lignes Télévisions/Storycircus 2017.
4 Propice à une désobéissance civile, qui promeut une conception vivante, dynamique qui s'opposerai à une vision figé de la loi comme une entité transcendantal qui imposerai ses volontés sur l'individu, qui ne pourrai nullement en influencer les contours d'après Manuel Cervera-Marzal,enseignant de sciences politiques et philosophe, il travaille sur les mouvements de contestation et en particulier sur la désobéissance civile, tiré d'un interview pour France Télévisions/Premières lignes Télévisions/Storycircus 2017.
5 Qui insinuerait que seul le marché est le meilleur gouvernement et se substituerait volontiers à l'Etat qui est perçu par sa notoire incompétence, si on s'inscrit dans la logique de ce courant.Encore que l'Etat contribue à créer des emplois pour les classes sociales les plus modestes, ( fidèle à la pensée keynésienne), via une relance par la demande, ou politique de grands travaux, l'Etat s'endette pour réaliser des projets d'infrastructures et redynamiser l'activité économique tout en créant de l'emploi.. La main invisible symboliserai selon Adam Smith ( Smith Adam, 1776) le « marché autorégulateur », or le marché a besoin de l'Etat pour mettre en place un cadre favorable à son expansion, donc il est en quelque sorte dépendant de l'intervention étatique pour susciter son dynamisme. De par la mise en place d'un cadre législatif favorable à ses activités, et aussi bénéficier de commandes publiques. Corrélativement la politique keynésienne constitue en tant que tel un interventionnisme de l'Etat, partant de ce constat on peut en déduire que la main invisible ne représenterai donc pas le marché autorégulateur, mais davantage l'Etat ( cela dit, on évoque ici un Etat qui serait aux services du seul marché). Smith lui même était favorable au poor laws, A savoir des salaires et des conditions de vie décente pour les prolétaires qu'il considère comme une force productive. D'après lui l'Etat se doit d'envisager une politique sociale qui aurait des répercussions positives à la fois sur l'offre ( production de biens et services via les appels d'offres), et la demande ( consommation de biens, et service par la biais de politiques redistributives), puisque pour Smith l'agent économique en cherchant à maximiser son bien être ( à travers la consommation et le travail) participerait au bien être de la société tout entière.
6 Soulignant la difficulté de construire du « commun », dans les sociétés modernes, du au caractère individualiste intrinsèque à ce type de société, ou la recherche de la satisfaction des besoins individuels, priment sur l'intérêt du groupe. De telle sorte que l'émergence de l'individualité, comme apothéose libérale, est au centre du processus d'occidentalisation.
7 Le développement institutionnalisa une américanisation du monde occultant tout particularisme, qui viendrait à l'encontre de l'esprit rationnel véhiculé par la techno-structure, qu'est le « marché libre ». C'est en quoi la prétention universaliste occidentale apparaît comme une démarche inextricable d'ériger la commune humanité sur un même pied d'égalité. Du fait que l'Occident s'est construit sur des inégalités, qu'il a engendré, en exportant un système pyramidale, de domination économique, sociale et culturel, mondialisé, imposé telle une « libération ».
8 Relative aux différents rapports de classe, genre et race, mettant hier comme aujourd'hui à mal, aussi bien le pluralisme, qu'une certaine « justice sociale ».
9 Dans l'optique d'appréhender le néo-libéralisme comme continuum coloniale du fait de la corrélation entre inégalité et colonialité, qui opère en son sein.
10 Cité In Martucelli Danilo, La condition sociale moderne l'avenir d'une inquiétude, Gallimard 2017, p.391, p.392.
1 Cité in D. Desanti, Les socialistes de l'utopie, Payot, 1970, pp.42-43.