Le report des élections provinciales en Kanaky-Nouvelle-Calédonie retrace l'anatomie d'une démocratie suspendue au service de privilèges coloniaux. Le troisième report des élections provinciales en Kanaky-Nouvelle-Calédonie n'est pas un simple ajustement calendaire. Il dénonce une démocratie qui par la voix de ses élites suspend la consultation populaire pour préserver un ordre social et économique menacé par les urnes.
Ce report, acté dans le cadre du projet d'accord de Bougival, révèle les mécanismes d'un système où la métropole française opère pour maintenir ses intérêts géostratégiques.
La démocratie devient la variable d'ajustement des dominants. C'est ce dont témoigne le report électoral comme stratégie de contournement du suffrage. Du fait d'un déséquilibre démographique qui voit la croissance électorale des populations kanak et océaniennes rendre probable une victoire indépendantiste aux provinciales.
Ce en quoi, l'instrumentalisation des "circonstances exceptionnelles" a bon dos. En ces termes les émeutes de mai 2024 ont servi de prétexte pour suspendre le processus démocratique, bien que ces émeutes étaient prévisibles après des décennies d'injustices sociales.
Faisant les beaux jours d'une délégitimation par l'urgence. Raison pour laquelle la création d'un état d'exception permanent justifit des mesures anti-démocratiques au nom de la "stabilité".
Ressentit lors d'une fabrique du consentement émanant d'un entre-soi bourgeois patriarcal et colonial.
Si on admet que le projet d'accord de Bougival, négocié entre Paris et une élite locale triée sur le volet, illustre le mépris de la délibération collective. Cette confiscation de la parole témoigne d'aucune consultation populaire préalable, aucun débat public structuré. Pour le compte de signataires qui ont contribué à la crise actuelle (exemples : Nicolas Metzdorf, Sonia Backes).
Accentuant le sentiment que la Kanaky-Nouvelle-Calédonie comme d'autres colonies ou anciennes colonies, incarne encore et toujours le laboratoire du capitalisme colonial. Qui voit une économie de prédation sous perfusion métropolitaine s'activée autour d'un extractivisme décomplexé, le nickel reste le pilier de l'économie, vu qu'il profite aux multinationales et à la bourgeoisie locale. La dépendance organisée voit les transferts financiers de la métropole (près de 40% du PIB) créent une économie rentière qui verrouille toute velléité d'émancipation. Le tout sans évoquer les inégalités ethniques 80% des richesses sont détenues par 20% de la population (majoritairement non-kanake).
Le report des élections s'inscrit dans une stratégie de reproduction sociale des dominants. Qui s'érige à travers le capital économique comme préservation des avantages acquis (accès aux marchés publics, contrats miniers) ; le capital symbolique qui maintient le prestige associé aux positions de pouvoir dans l'appareil administratif. Tout autant que le capital relationnel favorise la pérennisation des réseaux d'influence avec la métropole. Pour autant la France joue à la puissance impériale qui s'ignore. Via le mythe de la "force administrante", dont la terminologie officielle masque une réalité plus crue qui pèse comme poids déterminant dans les institutions, le contrôle des leviers économiques la monnaie (franc CFP), les subventions, la défense, puis l'instrumentalisation des divisions internes par la stratégie classique du "diviser pour mieux régner".
En ce sens, l'accord de Bougival dessine le nouveau visage de la domination par une modernisation de la tutelle, on ne parle plus de "colonisation" mais de "destin commun" , par une démocratie conditionnelle, le droit de vote existe, sauf quand les résultats risquent de contredire les intérêts métropolitains; et enfin par la violence symbolique qui présente le report comme un "acte de responsabilité" plutôt que comme un déni de démocratie. En réponse à cette bataille du récit, il convient de déconstruire le discours officiel. Dans ce cadre on comprend le terme "stabilité" comme "maintien des privilèges". Tout autant que la réappropriation de l'histoire est importante pour formuler une narration centrée sur la continuité de la domination coloniale.
Du fait notamment d'une démocratie suspendue aux bon vouloirs du colonisateur qui fait mime de nous civiliser. Tandis qu'il signe ici l'aveu d'un système n'ayant pas vocation à se réformer de l'intérieur. Le report des élections provinciales en Kanaky-Nouvelle-Calédonie révèle au grand jour la supercherie civilisationnelle, d'un système néo-colonial qui ne survit qu'en limitant la démocratie, non en la garantissant.
Les dominants ne gouvernent plus par le consentement, mais par la suspension du consentement. La suite dépendra de la capacité des acteurs des sociétés civiles à transformer cette suspension en occasion de repolitisation massive. La solution à moins de démocratie est plus de démocratie si on comprend la démocratie comme le respect des droits et la centralité de la pluralité d'opinions comme axe civilisationnel, et non comme la perpétuation d'un régime économique et politique ethnocentré. À moins que l'on est jamais été en démocratie, mais dans un simulacre de démocratie mis en scène par un impérialisme qui ici ne peut taire son nom.