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Billet de blog 27 octobre 2024

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Le PS2R, ou le nouveau visage de l'économie de comptoir en Kanaky

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout d'abord, nous allons revenir sur la notion d’économie de comptoir pour saisir la nature d’une feuille de route qu'on nous propose à travers le Plan de Sauvegarde, de Refondation et de Reconstruction (PS2R), en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Ainsi, l’économie de comptoir désigne une structure économique caractérisée par une forte dépendance aux investissements, aux ressources et aux décisions d’une puissance étrangère, souvent coloniale. Ce type d’économie se développe dans des territoires sous influence, où la production et le commerce sont axés presque exclusivement vers les besoins et les intérêts de la puissance extérieure, en échange d’une faible part de valeur ajoutée laissée localement. Dans ce modèle, l’exploitation des ressources naturelles ou des matières premières (comme le nickel en Kanaky-Nouvelle-Calédonie) est souvent au cœur de l’économie, tandis que les infrastructures, l'emploi local et les bénéfices économiques directs pour la population restent limités. Une économie de comptoir conduit fréquemment à des déséquilibres structurels : une concentration des richesses dans les mains de quelques acteurs, une économie peu diversifiée et une faible autonomie économique. En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, l'économie de comptoir a longtemps été utilisée pour décrire l'influence française et le contrôle exercé sur l’exploitation minière, où les principaux bénéficiaires restent des entreprises étrangères ou métropolitaines.

Le Plan de Sauvegarde, de Refondation et de Reconstruction (PS2R) en Nouvelle-Calédonie vise à répondre aux défis socio-économiques du territoire. Il propose des réformes majeures pour stimuler la durabilité, l'inclusivité et l'équité sociale en engageant des actions dans des domaines porteurs, impliquant la participation des acteurs locaux avec un accent particulier sur la collaboration entre institutions publiques, secteur privé, syndicats et la société civile. Cependant, parmi ces effets d’annonces et vœux pieux, on y perçoit d'ores et déjà plusieurs limites. En premier lieu, la dépendance à l’aide de l’État français reste une contrainte, car bien que le gouvernement central ait réitéré son soutien, l’engagement financier demeure fragile dans un contexte de réformes intérieures. En second lieu, les disparités d'accès aux services publics et aux infrastructures se feront ressentir dans certaines régions calédoniennes, notamment les zones rurales et isolées, constituant ainsi un obstacle au succès d’un développement équitable. De plus, les critiques se concentrent également sur les défis institutionnels en raison des tensions politiques internes, certains acteurs locaux se montrant d'emblée sceptiques quant à la capacité du PS2R à promouvoir une véritable autonomie décisionnelle pour la population kanak.

Ces éléments nous amènent à croire que le plan PS2R, conçu pour répondre aux défis sociaux, économiques et climatiques, se heurtera à des limites qui ralentiront son efficacité. D'autant plus que le manque de confiance généralisée se fait sentir parmi les acteurs sociaux et les citoyens envers les institutions en charge de la mise en œuvre du fameux plan. En effet, une partie de la société civile révèle des préoccupations quant à la capacité des autorités locales et nationales à répondre de manière transparente et inclusive aux problématiques identifiées. Par ailleurs, des critiques ciblent la difficulté d’inclure certaines communautés, notamment celles des zones les plus reculées, dans les discussions et décisions qui les affectent, limitant ainsi l'adhésion et la participation des populations concernées.

En outre, les ressources financières déployées semblent dérisoires pour soutenir les initiatives prévues de façon pérenne. Le plan repose sur des financements encore incertains, avec des contributions attendues d'une métropole (qui elle-même est en pleine planification de son budget) et de partenaires internationaux, ce qui complique la planification concrète et la réalisation d’actions à court et long terme. Au point que des divergences de priorités entre les acteurs économiques et politiques freinent les progrès. Les intérêts économiques, souvent en faveur des entreprises et exploitants de ressources, entrent parfois en conflit avec les besoins sociaux exprimés par les populations locales, en particulier les jeunes, qu'ils soient ou non Kanaks, aspirant à un modèle économique plus inclusif et durable.

Ces défis mettent en lumière les limites d’un plan qui, malgré des objectifs ambitieux, nécessite une plus grande mobilisation et implication civique pour marquer son ambition d'un nouveau modèle, ainsi qu’un soutien financier solide pour accompagner une transformation durable. Encore que nous ne sous-estimions pas l'urgence de rebâtir le tissu économique néo-calédonien. Or, il ne faut pas se contenter de cacher les troubles sociaux sous le tapis du statu quo pour recommencer de plus belle. Quand bien même ce plan apportera une aide précieuse dans une période difficile, rappelons que cette crise a aussi été provoquée par la métropole. Aussi, ne soyons pas dupes quant aux apparats bienfaiteurs de ceux qui jadis ont jeté en pâture notre paix sociale. Sans évoquer le jeu politique néo-calédonien qui s'anime à l'idée de voir des têtes tomber à l'approche des prochaines élections provinciales, qui ont curieusement été repoussées pour le compte de l'actuelle Province Sud. Celle qui fut secrétaire d'État, en charge de la citoyenneté, et qui hier encore en appelait à “foutre le bordel“. Elle qui plaide pour un apartheid sous couvert d'hyperprovincialisation, allant jusqu'à prétendre que l'Occident et la Mélanésie ne font pas bon ménage. Quand visiblement elle connaît très mal les ressortissants de sa Province, qui sont pour le moins métissés, moi y compris. Autant dire qu'en termes de projet de société et d'égalité des chances, on a vu mieux. C'est surtout qu'on espère mieux pour notre archipel qu'une reconstruction bâtie sur une recette fasciste, quand l'heure est à la conscientisation, à l'unité et au renouveau, compte tenu du sang qui a été versé sur notre sable paradisiaque, dont tous, nous ne voulons plus jamais revoir la couleur.

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