L'actuelle révolte kanake peint le tableau d'un combat pour la justice. Qui est dépeint par des médias à la solde du pouvoir. Ceux-là insistent sur le narratif d'une sauvagerie généralisée. Quand les musées en France ne comptent plus les tableaux à l'effigie de la Révolution française comme tournant historique sanglant. Dans les livres d'histoire intitulés "nos ancêtres les Gaulois", la Révolution française est pourtant présentée comme un dépassement métaphysique. Or, les révoltes kanakes sont perçues comme le réveil des cannibales. Quand ce peuple tente à son tour d'abolir des privilèges, il bute en blanc face à une colorimétrie qui jauge la légitimité des luttes pour la liberté et la justice.
Et pour délégitimer un récit insulaire qui rend compte de discriminations assassines, on somme les océaniens à condamner les violences ici et là. Hormis le fait que personne ne parle des violences institutionnelles qu'ils subissent de plein fouet, pourquoi donc ? Peut-être bien que le problème majeur des peuples autochtones est qu'ils restent dignes, et ne se plaignent pas. Le colon surfe alors sur cette dignité au point de leur rappeler de souffrir en silence, et de préférence avec le sourire. Surtout quand les barbares envahissent l'espace public pour faire part de leur souffrance par une présence qui forcément dérange, un roman national écrit par les puissants. Hormis le fait que la violence est le seul langage que la force coloniale comprend et considère. La violence est le seul langage que la force coloniale nous a réellement enseigné.
Par ce langage, nous lui avons arraché nos droits, quand bien même l'état colonial prétend avoir éclairé le monde. Quand les seules lumières que les peuplades ont perçues sont celles émanant de fusils et de canons. Particulièrement, adressés aux sous-espèces ne trouvant pas grâce aux yeux de l'état colonial. Cette disgrâce rend compte aujourd'hui du manque de considération de la part du pouvoir quant aux discours préventifs de leaders indépendantistes et d'observateurs politiques. Du fait que ces discours préventifs ne vont pas dans le sens d'un narratif consistant à croire que les sauvages ne savent pas se tenir. Le but pour la force coloniale étant de dépolitiser le conflit pour que l'auditeur soit amené à favoriser le processus de dépossession démocratique qu'incarne la question du dégel électoral.
Pour cela, encore faut-il vendre des images sensationnelles et réveiller les peurs les plus profondes. Celles, en partie, relatives à la guerre d'Algérie qui reste présente dans un imaginaire teinté d'habitus/d'inconscient colonial ne reconnaissant pas sa part de responsabilité. Le déni étant au cœur du processus de civilisation par une indifférence comme moteur du fait colonial, mais plus encore comme moteur du fait contemporain. Une storytelling faisant la part belle à un eurocentrisme qui se définit lui-même comme universel, à comprendre ici comme sans limites pour justifier ainsi son expansion.
Pour ce faire, tous les moyens sont bons. Notamment, en contournant la réalité du conflit politique et social en Kanaky-Nouvelle-Calédonie par un racisme inversé. En agitant le racisme anti-blanc comme souffrance suprême. Tandis que ceux-là mêmes sont du bon côté de l'histoire, voire tiennent le manche. On fait référence ici aux leaders loyalistes qui s'illustrent en tant qu'acteurs du racisme systémique. Qu'ils ont maintenu pendant 30 ans à la tête du pays comme statu quo pour assurer leurs privilèges. En creusant des inégalités abyssales qui touchent en majeure partie les océaniens. Et en ce sens, ils n'ont aucun intérêt à proposer autre chose qu'une société profondément inégalitaire.
Dans une certaine mesure, de Gaza à Nouméa, les mêmes discours révèlent un malaise social. De Gaza à Nouméa, les injustices témoignent d'une reconnaissance en peau de chagrin. De Gaza à Nouméa, le combat pour la dignité résonne. Aussi, en une humanité qu'on criminalise pour donner de la voix contre l'injustice. Au vu de conflits qui témoignent d'effets et de causes sensiblement similaires. Renvoyant à une recette de domination qui témoigne de la main mise de l'Occident. À cet effet, à Gaza, ce dernier ne s'empresse pas d'arrêter les massacres en cours pour continuer, en coulisses, la vente d'armes lourdes. Encore que tout récemment, des pays européens comme l'Espagne ont reconnu l'État palestinien. Et de nombreux ressortissants hexagonaux soutiennent le peuple kanak.
Le vœu de justice se partage et s'affirme de part et d'autre du monde. Face à une partie de l'ancien et du nouveau monde qui n'ont pas su incarner les valeurs de liberté et d'égalité par lesquelles ils se sont présentés à nous. Ces valeurs pour et par lesquelles nombre d'entre nous ont souffert et ont péri.