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Billet de blog 28 septembre 2015

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Argent et vie publique française en 2015

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Argent et vie publique française en 2015 

Peut-on aujourd'hui dire que la vie publique en France est moins minée par l'argent que naguère?

Certes le financement de la vie politique, notamment des partis et des campagnes électorales, est désormais bien encadré. Et les conditions comme leur contrôle font partie des contraintes des responsables politiques et des "sujets" des médias. 

De même, depuis 2013, les parlementaires et les élus locaux sont tenus de déclarer leurs intérêts, leurs revenus, leur patrimoine, mais aussi le montant et l’utilisation de leurs indemnités de frais de mandat ainsi que l'utilisation de leur "réserve parlementaire". Il a fallu parfois, souvent même, se justifier, voire régulariser!

Dès 2012, nombre des insuffisances de la législation anti-corruption française ont été corrigées: qualifications, sanctions, complicité, poursuites. Le progrés, accompli à la fin de la précédente Présidence, est à saluer.

Plusieurs réformes depuis ont visé à prévenir et à mettre sous contrôle les conflits d'intérêts. Les plus importantes sont la courageuse et controversée interdiction du cumul entre un mandat national et un mandat exécutif local et la création ambitieuse, avec un pouvoir et des moyens renforcés, de l'Autorité de la transparence de la vie publique que désormais tout citoyen ou association peut saisir.

Sur le lobbying en revanche, l'avancée est moins franche puisque seule l'Assemblée Nationale s'est dotée d'une réglementation dont l'efficacité n'est pas vraiment assurée.

Des pas importants ont donc été faits, réalisant un engagement de campagne du candidat élu aux dernières présidentielles, moins timide à cet égard que le candidat battu, mais stimulé, il est vrai, par des scandales majeurs affectant son propre camp politique.

Ces nouvelles dispositions, prometteuses, sinon complètes, ne valent cependant que par leurs effets. D'autant que la singularité de la situation française réside tout autant dans son insuffisance règlementaire que dans sa retenue répressive : la France est depuis longtemps fort mal placée parmi les pays de l'OCDE pour le nombre des poursuites et des condamnations judiciaires pour corruption ou abus de biens sociaux!

Il est sans doute trop tôt pour évaluer ce qui devrait être un renversement de tendance. Mais il est vrai que dans la dernière période les poursuites pour ces motifs ont été plus visibles et sans doute plus nombreuses. Les scandales qu'elles ont suscités ou révélés suggèrent que notre vie publique pourrait être entrée dans l'apprentissage nécessaire et douloureux de la régulation judiciaire des relations de la politique et de l'argent. D'autant plus douloureux que l'instrumentalisation politique de chaque affaire instruite est inévitable et que nous sommes du fait de notre inconséquence institutionnelle en campagne électorale permanente. 

Relevons que nombre de poursuites ont pu donc être politiquement dénoncées pour leurs cibles (malgré l'évidence) et plus encore pour les mesures d'instruction auxquelles elles donnaient lieu (malgré leur légitimité, quelle que soit l'issue de l'instruction), comme si le corps politique français ne pouvait se résoudre sans réactions pathologiques de rejet à se mettre sous le contrôle du juge.

Nous sommes donc encore en chemin. Et le travail, au sens aussi de l'accouchement, est loin d'être terminé. L'arsenal réglementaire est encore à compléter et à améliorer (à quand le statut protecteur du lançeur d'alerte dans l'entreprise comme dans la vie sociale?) et surtout l'action répressive est à encourager et à renforcer, comme semble l'illustrer la création envisagée d'une véritable agence anti-corruption en lieu et place du service administratif SCPC voué à la prévention.

Deux exemples récents cependant pour montrer que le chemin est encore long :

D'abord le candidat battu de la précédente campagne présidentielle, dont le dépassement du plafond de campagne a été constaté et sanctionné par le Conseil Constitutionnel. Du fait d'un contrôle efficace donc. En revanche, au vu des poursuites actuelles, il semblerait devoir échapper à sa responsabilité de candidat dans l'organisation frauduleuse d'un dépassement beaucoup plus important. Comment notre vie publique peut-elle supporter qu'il échappe en droit comme en fait à l'encadrement réel de ses dépenses de campagne et qu'il puisse même envisager, puni et impuni, une nouvelle candidature?

Tel haut-fonctionnaire servant directement le Président en exercice, prodiguant des conseils et assumant pour le compte de ce dernier une position de contrôle et d'autorité à l'égard d'entités économiques publiques, a pu être nommé directement à leur tête sans en être empêché par la Commission de déontologie ni même par la Justice! Comment notre vie publique peut-elle supporter que les situations de conflits d'intérêts de hauts fonctionnaires passent sans difficulté l'examen trop peu exigeant de la Commission ad hoc et ne soient pas réprimées par notre Justice? Au delà de ce déni de contrôle, comment notre vie publique peut-elle supporter que des connivences de caste, faites de services rendus et de renvois d'ascenseur, peuplent les conseils d'administration du CAC 40 et que les serviteurs de la puissance publique aient partie liée et fortune faite avec les plus puissants acteurs économiques de notre pays? 

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