"La Reine du monde" (*) qui a reçu, ce samedi à l'Assemblée nationale, le Prix du Livre politique, a beaucoup à voir avec Ségolène Royal lançant la veille une "consultation participative" en vue du prochain congrès socialiste. Mais pas comme pourrait le suggérer une malicieuse association d'idées.
Le titre de l'ouvrage de Jacques Julliard, primé par un jury de journalistes - dont l'auteur de ce billet -, traite de la démocratie d'opinion, cette opinion que Pascal, au XVII ème siècle déjà, décrivait "comme la reine du monde". Aujourd'hui elle est de moins en moins un mouvement qui a pu imposer, en telle ou telle circonstance, des inflexions à la vie politique, sociale ou sociétale du pays, mais de plus en plus une force consciente d'elle-même, imposant sa loi aux faiseurs de loi issus de la démocratie représentative. Avec une redoutable efficacité, en ce qu'elle est médiatique, directe et permanente.
Le référendum européen de 2005 a été l'acmé du phénomène, d'où Jacques Julliard, partisan actif du "oui" et donc rangé d'office parmi les "élites", en est ressorti abasourdi par la violence et l'incompréhension des militants du "non" qu'il a rencontré au cours de la campagne. Cela lui a inspiré cet essai où il s'efforce de démêler ce qui, dans cette démocratie d'opinion, ressort d'une histoire longue et ce qu'elle révèle des mutations en cours de la société, où la prodigieuse accélération de l'information due à Internet, mais aussi le développement de l'individualisme, façonnent d'autres rapports aux pouvoirs. Un "nouvel âge" dont Jacques Julliard veut croire qu'il ne condamne pas les formes les plus éprouvées de la démocratie représentative, mais à condition de donner aux exigences citoyennes contemporaines les moyens de contribuer à la volonté générale, sans que la "Reine du monde" ne devienne la "Folle du logis". Une réflexion faisant écho à celle d'un Pierre Rosanvallon dans son livre " La Contre-démocratie", paru il y a trois ans, et qui suscite de vives réactions auprès de ceux qui voient dans la remise en cause de la démocratie représentative la porte ouverte à toutes les démagogies, manipulations et dérives populistes.
Jacques Julliard veut se garder tout autant d'une "fascination" que d'une "terreur religieuse" face à cette évolution, mais il pense qu'elle est irréversible. Il en veut pour illustration le premier tour de l'élection présidentielle de 2007 où les trois principaux candidats (Sarkozy, Royal, Bayrou), qui ont cumulé 75% des suffrages, étaient des "chauds partisans" de la démocratie d'opinion en ce sens qu'ils ont tenté d'établir, chacun à leur façon, une relation directe avec le peuple-électeur en brisant les schémas convenus de leurs partis respectifs.
Jacques Julliard, qui a soutenu Ségolène Royal, reconnaît que son intuition était juste quand elle mettait en avant la démocratie participative mais que les moyens proposés, notamment les "jurys citoyens", étaient pour le moins maladroits sinon improvisés.
L'inspiration reste néanmoins la même chez l'ancienne candidate socialiste qui, au travers de l'appel à la contribution des militants socialistes pour concevoir un nouveau projet, conduit à mobiliser une "opinion" interne au parti que les instances régulières, visiblement, représentent bien mal. Une façon aussi de prendre l'initiative et bousculer ses rivaux en imposant une méthode et un rythme. Mais au-delà du jeu personnel, le problème soulevé rejoint le constat plus général de Jacques Julliard, sur l'inéluctable ouverture du débat public - même au sein d'une seule organisation - à de nouvelles formes de participation collective, sauf à se préparer des lendemains qui déchantent vite.
(*) Café Voltaire.Flammarion.