L'ampleur de l'indignation provoquée par la profanation de 148 tombes musulmanes, est sans rapport avec les moyens mis en oeuvre pour accomplir ces actes misérables. Quelques dizaines d'abrutis ont suffi, abreuvés des poncifs de la haine ordinaire à l'égard de l'Islam, protégés par l'isolement des cimetières qui en fait des lieux propices à tous les défoulements nocturnes. Au Stade de France, trois personnes sont parvenus à confectionner et étaler une banderole, haineuse aussi, dont l'effet de déflagration médiatique a été sans commune mesure avec l'opération initiale. La comparaison s'arrête là car, bien entendu, on n'est pas dans le même ordre de gravité symbolique.
Pourtant, ce rapprochement souligne combien, dans une société aussi à vif que la nôtre pour ce qui est des questions de racisme, de xénophobie ou de discrimination, des petits groupes peuvent acquérir un pouvoir considérable de nuisance, à peu de frais. Une seule main était nécessaire pour tracer le nom de Rachida Dati sur la pierre, et ajouter ainsi un retentissement politique à cette opération nauséeuse.
Mais, par notre émotion immédiate face à de tels agissements, est-ce qu'on ne tend pas la mèche à ceux qui n'auront ensuite qu'une allumette à craquer pour jouir de l'effet produit ? La question est lancinante. Déjà, lors de l'affaire de Carpentras, où, cette fois, des tombes juives avaient été profanées en grand nombre, certains s'étaient demandé, en toute bonne foi, si l'on ne grossissait pas exagérément de tels faits, au risque de susciter de nouvelles vocations.
La réponse est que les vocations s'encouragent d'elles-mêmes, comme en témoigne le nombre de profanations de tombes - toutes origines confessionnelles confondues - que l'on enregistre régulièrement sur tout le territoire. Mais, surtout qu'adviendrait-il si l'on n'en parlait pas, si les médias se taisaient ? Le risque de se retrouver complice d'une banalisation d'actes blessant cruellement les consciences est tel, que faire silence délibérément est inconcevable. D'autant que la dénonciation publique de la profanation du cimetière militaire d'Arras est l'occasion de rappeler le sacrifice de soldats musulmans sur les champs de bataille de la Première guerre mondiale, pour défendre une République française qui ne s'en montra guère reconnaissante.
Retourner l'arme de la vérité contre l'acte des lâches, c'est le moindre mal en attendant que la justice châtie les coupables.
(*) Article paru dans Le Républicain Lorrain, lundi 7 avril 2008