Jean-Michel Helvig (avatar)

Jean-Michel Helvig

Journaliste

Journaliste à Mediapart

42 Billets

1 Éditions

Billet de blog 13 avril 2008

Jean-Michel Helvig (avatar)

Jean-Michel Helvig

Journaliste

Journaliste à Mediapart

Bétancourt, le couvercle se soulève

Jean-Michel Helvig (avatar)

Jean-Michel Helvig

Journaliste

Journaliste à Mediapart

Deux avions servent de repères dans la consternante gestion de l’affaire Bétancourt par les autorités politiques françaises, sur laquelle, enfin, des interrogations commencent à s'exprimer dans la presse.

C'est d'abord l'Hercule C130 envoyé clandestinement en juillet 2003 sur un aéroport brésilien, avec à son bord un commando de la DGSE, opération montée de bout en bout par Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères. C'est ensuite le Falcon 50, affrêté il y a une semaine à grand bruit par Nicolas Sarkozy, pour aller lui porter secours du fait de son état de santé donné comme alarmant. Il est revenu mercredi dernier à vide, et piteusement dira-t-on, après que cette initiative a été qualifiée d'"ingénue" par les les FARC.

A chaque fois ces envois d’avions ont surtout témoigné d’une gesticulation romanesque peu en prise avec la réalité politique régionale. Car, n’en déplaise à l’orgueil national, la France n’est pas au centre de la bataille politique féroce qui se joue entre une Colombie dont le président Alvaro Uribe, soutenu massivement par son peuple, marque des points militaires sur une guérilla marxisante devenue un gang de narco-trafiquants, le Vénézuela où Hugo Chavez veut redorer son blason international en passant pour un médiateur de bonne volonté pour la libération des otages et… les Etats-Unis dont trois ressortissants son détenus par les FARC. On oublie parfois, ici, qu’une des revendications principales de la guérilla est la libération de deux de ses dirigeants, condamnés pour trafic de drogue par la justice américaine.

Cela fait maintenant plus de six ans que l'ancien candidate écologiste à la présidentielle en Colombie a été prise en otage, et aucune perspective de libération semble se dessiner. Tout peut désormais survenir : le pire n’est pas hélas le plus improbable, compte tenu de son état de santé, sur lequel soit dit en passant on ne sait pas grand chose, même si les conditions inhumaines qui lui sont imposées par ses geôliers, ne peuvent que l’avoir en partie détruite. Mais il est surprenant d’entendre Bernard Kouchner dire, ces jours-ci, qu’il était peut-être moins grave qu’on ne le croyait, juste après avoir dit le contraire pour justifier la mission du Falcon 50.

On ne peut pas exclure totalement non plus une libération surprise pour une quelconque raison, y compris une opération de l'armée colombienne, redoutée à l’avance par la famille du fait des représailles possibles des ravisseurs. Tant que cette détention n'aura pas connu son épilogue, il n'est pas simple d'évaluer les méthodes employées pour y mettre fin et porter un jugement sur les engagements des uns et des autres. Après tout, les "réalistes" diront que seul le résultat final compte. Mais est-ce une raison pour perdre tout sens critique, sinon le devoir même d'informer qui ont caractérisé jusqu’ici les traitements de l’affaire dans les médias de grande audience ? On sait que plus la cause d’otages suscite une forte émotion dans l'opinion, et dans les milieux qui en sont réputés être les "leaders", plus la langue de bois sera de rigueur - "pour ne pas gêner les négociations" - et plus les points de vue divergents, sur tel ou tel aspect des mobilisations de soutien, seront frappés de discrédit pour manque de compassion. Avec cette antienne que tout doit être tenté afin que le pression soit maintenue sur les négociateurs et que, peut-être, les otages puissent savoir, du fond de leur cachot, qu'on ne les oublie pas. Ces assertions ont leur part de vérité, surtout la seconde d'ailleurs. Ingrid Bétancourt est au courant que beaucoup d’efforts son déployés en sa faveur.

Mais, s’agissant de ce qui est entrepris par le gouvernement français, on a le sentiment que l’activisme de principe, qui peut se comprendre de la part des familles et des proches concernés, est devenue un engagement d'Etat camouflant l’impuissance politique quant au résultat, derrière l’obligation de moyens sans cesse proclamée ("mon mari ne renoncera pas" comme l'a assuré Carla Bruni-Sarkozyn défilant le 6 avril dernier sur le pavé parisien). Une exigence morale qui, pour l'heure, tient surtout du n'importe quoi. Et cela commence à ne plus pouvoir être tu. L'Express a consacré cette semaine une excellente enquête à Ingrid Bétancourt et aux « cafouillages de la France", tandis que le Parisien, au lendemain du retour du Falcon 50, détaillait les "raisons d'un fiasco".

Ce ne sont évidemment pas les premiers à soulever telle ou telle question embarrassante sur le comportement des autorités politiques française - de Villepin à Sarkozy. En 2006, paraissait un livre bien informé de Jacques Thomet, l’ancien correspondant de l’AFP à Bogota («Ingrid Bétancourt, histoire de coeur ou raison d'Etat". Hugo Doc), sur le rôle joué par Paris depuis l’enlèvement de l’ancienne candidate écologiste à la présidentielle colombienne, jusqu’à l’équipée de l’Hercule C130. Le livre est cinglant sur Dominique de Villepin et éclairant sur les imbrications entre la famille Bétancourt et certains milieux du Quai d'Orsay. Certes, on ne peut trop reprocher à l'ancien professeur d'Ingrid à Science-Po de s’être affectivement impliqué pour tirer son amie du guêpier où elle se serait jetée par imprudence ( c'est ce qui ressort du récit de Thomet). Reste qu'il y a eu une confusion des genres, entre les devoirs d'Etat et l'empire des sentiments, qui a provoqué une crise internationale, à l'insu même du président de la République alors en exercice (Jacques Chirac), Or cette confusion, que soulignait le livre, est d’une certaine manière encore à l’œuvre avec ce qu’on pourrait appeler une privatisation familiale de l’affaire. Daniel Parfait, actuel directeur Amérique Latine au quai d’Orsay, ancien ambassadeur de France à Bogota est le mari de la sœur d’Ingrid, Astrid, et il a la haute main sur le dossier. Il semble partager, avec la famille, une hostilité profonde à l’actuel président colombien, certains membres de cette famille paraissant même considérer, au fil de telle ou telle déclaration imprudente, que la responsabilité de la détention d’Ingrid Bétancourt est moins le fait des FARC que d’Alvaro Uribe. Cela rend parfois chaotiques les relations entre Paris et Bogota. Si l’on ajoute à cela un réseau de soutiens très actifs et influents dans les grands médias, il n’est pas sûr, dans cette histoire, que les pouvoirs publics aient eu toute la latitude indispensable pour traiter du dossier avec la distance nécessaire.

On semble ainsi naviguer à vue entre une confiance aveugle dans l’intercession du président vénézuélien, le choix diplomatique d’une médiation européenne avec l’Espagne et la Suisse, quand ce n’est pas l’offre directe aux FARC d’accueillir comme « réfugiés politiques » certains de ses membres, comme l’a fait François Fillon. Sur ce dernier point la lecture du site d’information www.latinreporters.com apporte un élément troublant : dans leur dernier communiqué, les chefs des FARC ne se contentaient pas de rejeter l'opération Falcon comme on l'a appris ici , ils refusaient aussi ce statut de "réfugié politique", pour une raison au moins : ils ne l'ont jamais demandé ! Ca donne le vertige, rétrospectivement, sur la façon dont l'Exécutif français semble prêt à tout pour se pouvoir se targuer, un jour, d'une issue positive qui, croit-il lui assurerait les faveurs de l’opinion. Et la démonstration, au passage, que Nicolas Sarkozy est décidément plus efficace que Dominique de Villepin. A moins qu’il ne s’agisse, cyniquement, de faire en sorte que l’on ne puisse rien lui reprocher si tout cela tournait mal.

Cette insoutenable légèreté politique, contraste avec la force morale et le courage physique dont fait preuve Ingrid Bétancourt, à en croire les témoignages des derniers otages libérés qui racontent comment elle tient tête aux tortionnaires de FARC et organise une résistance de tous les instants, ne cédant rien de ses principes démocratiques aux côtés de ses compagnons de captivité.

Une Ingrid Bétancourt qui a confié à l’un deux, récemment libéré, qu’il lui paraissait, maintenant, que la surmédiatisation l’entourant la condamnait peut-être à une captivité interminable. Il est cependant impossible de revenir en arrière. Au demeurant, rien ne dit qu’une discrétion absolue aurait été plus utile. Le contraire non plus, malheureusement.

Mais il n’est jamais trop tard pour que la raison politique, à Paris, reprenne ses droits.