Une allusion fugitive en toute fin d’interview de Nicolas, jeudi soir, et la réforme des institutions, qui doit pourtant faire l’objet d’une des séquences parlementaires les plus marquantes d’ici l’été, aura été une nouvelle fois évacuée d’une émission de grande audience. On aura consacré dix fois plus de temps ( chronométrage pifométrique) à interpeller le président de la République sur la captivante question de savoir si une ancienne barbouze qui a joué un rôle actif dans la libération d’otages français au Liban, il y a vingt ans, doit être gracié par le président de la République pour la condamnation pénale dont il a fait l’objet, ultérieurement, du fait de ses turpitudes politico-financières.
La mécanique qui broie ainsi un sujet, dont l’enjeu n’est pas mince puisqu’il touche au fonctionnement de notre démocratie, s’explique. Du moins pour le journaliste encarté, auteur de ce billet, qui n’est pas certain qu’il aurait été plus héroïque que ses confrères en se lançant dans des questions nécessairement un peu ardues, prenant le risque de faire décrocher des téléspectateurs dont l’intérêt prioritaire est supposé porter sur l’économie, le social et, de façon plus générale, tout ce qui touche au « bling bling badaboum » qui définit assez bien le style sarkozyen.
Mais l’embarras aurait été aussi que la seule question politique un peu saillante venant à l’esprit est de savoir pourquoi, à la différence de ses cinq prédécesseurs sous la Vème République, il tient autant à s’exprimer devant le Parlement. La réponse est connue à l’avance : il veut mettre fin à une coutume désuète qui fait que le président de la République est interdit de parole devant le législateur, alors même qu’il a été élu par les français sur la base d’un projet appelé à pendre effet sous forme de lois. On dira que cela peut paraître un peu puéril ou fanfaron, alors que députés et sénateurs sont, à l’instar de leurs électeurs, copieusement et quotidienne informés de ce que pense et veut le Président. On ajoutera, pour enfourcher les grands chevaux de l’Histoire, qu’il s’agit-là d’une résurgence d’un bonapartisme pernicieux. Passons sur les anachronismes, et remettons les pendules à l’heure d’aujourd’hui.
La Vème République a méthodiquement restreint l’espace politique vital du Parlement. Plus précisément, c’est la pratique engendrée par l’introduction en 1962 de l’élection présidentielle au suffrage universel qui est à l’origine de ce « parlementicide ». Au risque de surprendre, on peut se demander d’ailleurs, si la Constitution de 1958, prise à la lettre dans sa version initiale, n’était pas un texte valant bien mieux que les critiques ( de gauche surtout) qui en ont fait alors le fruit indigne d’un « coup d’Etat ». Après 1962, ça s’est gâté, Mitterrand compris. Mais la ruse de l’histoire ( sans forcément de majuscule) est que celui-là même qui fait maintenant grimper aux rideaux les « parlementaristes » par son apparente détermination à imposer une sorte de présence incarnée du « présidentialisme », propose une réforme institutionnelle qui augmente notablement les pouvoirs du Parlement. Tout constitutionnaliste de bonne foi le reconnaît. Pour pousser même plus loin le paradoxe, ces dispositions ( limitation de l’article 49/3, fixation de l’ordre du jour, approbation des engagements militaires au-delà de 6 mois, accroissement du nombre et du rôle des commissions, etc.) dépassent très largement tout ce que les prédécesseurs réunis de l’actuel chef de l’Etat ont pu faire dans ce domaine. Et en 2012, cela pourrait même figurer comme une des rares lignes positives de son bilan.
Certes François Mitterrand avait lancé un chantier de réformes constitutionnelles dans le même esprit , mais c’était pratiquement à la fin de son second mandat. Même si le Sénat de droite, n’y avait pas mis son veto, c’est un autre que lui qui aurait vu ses prérogatives entamées.
Comme on revient de très loin, ce n’est bien donc pas un exploit pour Nicolas Sarkozy de réévaluer les fonctions du Parlement, ne serait-ce que pour satisfaire apparemment à l'orgueil immense que son seul verbe puisse en imposer à des parlementaires figés sur leurs sièges. Mais comme tout ce qui le concerne aujourd’hui tourne vite fait au passionnel, on a tout de suite considèré comme une atteinte sans précédent à l'esprit républicain, cet entêtement à montrer sa tête devant le Parlement réuni en congrès.
Laurent Fabius a été un des rares, chez les socialistes, à ramener un peu de raison raisonnante dans le concert d’indignation. Si le président veut délivrer un « message » annuel, est-ce si grave docteur ? Nicolas Sarkozy en voudrait bien davantage pour la fréquence de ses apparitions ? Cela peut se négocier sans se draper dans les grands principes. Donnant-donnant. Il est ainsi tout à fait normal que la gauche fasse son boulot d’opposition, en subordonnant son éventuel vote du projet de révision à des contreparties qui, assurément, sont importantes pour rééquilibrer les pouvoirs dans ce pays ( Nominations au Conseil constitutionnel, temps de parole dans l’audiovisuel, mode de scrutin sénatorial, etc.). Mais pour en revenir à cette affaire de Président au « perchoir », il faut quand même relativiser ce nouveau droit qui n’en est pas vraiment un sens régalien. Il s’agit de « parler » et non de « décider ». Et la parole est plus un risque pour celui qui s’exprime que pour celui qui écoute.
Il me revient le souvenir d’un déjeuner de presse avec Jean-Louis Debré, alors qu’il était encore président de l’Assemblée nationale, où il fulminait contre cette idée du « candidat » Sarkozy de venir s’exprimer devant le Parlement. « C’est un abaissement de la fonction présidentielle, c’est mettre le chef de l’Etat à la merci de l’interruption d’un quelconque Maxime Gremetz » nous expliquait-il. Et, de fait, imaginons le président de la République en exercice, à Versailles, devant les 920 députés et sénateurs, avec toutes les caméras et micros braqués en direct sur l’intervenant : est-ce que les opposants les plus résolus vont se priver d’une si belle occasion de le malmener verbalement et saboter ainsi la majesté de l’instant ? Mais prenons même la situation vue, cette fois, de la majorité présidentielle. L’envie de ses élus de devenir figurant d’une telle dramaturgie présidentielle - peu spontanément perceptible en ce moment - devrait varier au prorata des pourcentages de satisfaits de l’Elysée dans les sondages d’opinion. Rappelons-nous seulement les municipales où, au cours de la campagne, Nicolas Sarkozy fut implicitement invité à se taire par les candidats de son camp qui préféraient agir en leur nom qu’au nom du sien.
Le pari n’est pas insensé qu’un Nicolas Sarkozy ayant obtenu son « temps de parole » au Parlement, en fasse usage avec circonspection.