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Billet de blog 28 avril 2008

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Ô rage, Ô sondages ennemis !

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Ceux qui, naguère, ne croyaient pas aux indices boursiers dans Libération, seraient les mêmes que ceux qui, aujourd’hui, ne croient pas aux sondages dans Mediapart ? C’est l’observation ( amusée) que je me suis faite en lisant samedi, dans l’espace Club, une contribution intitulée : « Un sondage.Où çà ? Sur Médiapart ! » de Fabien Jobard.

Un raccourci un peu rapide, j’en conviens, l’auteur semblant plus mettre en cause l’usage des sondages que les sondages eux-mêmes. Pourtant sa férocité jubilatoire et la sélectivité de ses liens hypertextuels, semblait suggérer qu’il vaudrait mieux à l’avenir, pour traiter de la politique, éviter de se saisir de chiffres sondagiers, sauf à les accompagner d’appendices méthodologiques exhaustifs. Un souci scientifique louable, mais par trop zélé en l’espèce, la loi ne prescrivant des mentions d’échantillonnage et de dates d’enquêtes que pour les sondages électoraux.

Pour en revenir au point de départ de ce billet, l’ancien journaliste de Libération (1981-2006) que je suis, ne pouvait qu’être tiré par la manche dès les premières lignes de cet article où un parallèle était établi, entre la « rupture » qu’aurait constitué pour ce quotidien la première apparition des cours de bourse dans ses colonnes et l’avènement d’un sondage commenté sur le site que l’on sait. J’avoue ne plus avoir, à ce sujet, le moindre souvenir d’une crise interne à Libération ( un pléonasme pour cette gazette ! ). Ce qui provoqua en revanche un profond séisme, en février 1982, c’est l’introduction de la publicité. Ca oui. Je reconnais que l’auteur lui-même n’est pas trop sûr de sa référence ( « Il paraît que… »). On doit bien effectivement trouver des (anciens) lecteurs de Libé qui ont fait de ce moment, une sorte d’acmé de la trahison des espérances révolutionnaires de jadis. J’en sais d’autres qui, bien avant, avaient dénoncé la publication des résultats sportifs dans ce même journal comme une concession insupportable à l’esprit de compétition, fondement de l’esprit du capitalisme.

Le détour n’est pas seulement anecdotique. Après tout s’il est peu concevable que l’on évoque le sport dans un quotidien généraliste, sans mentionner ses développements chiffrés Il ne l’est pas davantage de traiter de la vie économique sans donner à voir aux lecteurs ses traductions chiffrées telles que, parmi bien d’autres, les cours de la bourse. Pour l’Information bien sûr, mais aussi, allez avouons-le maintenant, pour le « Service ». On s’était aperçu qu’une bonne majorité de nos lecteurs disposaient de revenus très largement supérieurs à la moyenne nationale, ce qui les conduisaient à « placer » leurs économies, notamment dans des actions. Et comment l’a-t-on su ? Par une étude de lectorat, autant dire un sondage : on n’en sort pas ! On en sort d’autant moins que l’on peut trouver des analogies entre cours de bourses et sondages d’opinions, pour ce qu’ils charrient de réactions et d’anticipations.

Si l’on en arrive à la politique, la référence chiffrée à tel ou tel sondage, soulève bien entendu nombre d’objections. On est dans un domaine où les passions sont vives et les soupçons de manipulation récurrents. Je ne reprendrai pas ici la dispute sans fin sur la pertinence des sondages, sans fin depuis la sentence initiale de Pierre Bourdieu : « l’opinion publique n’existe pas » (1973). Cette critique radicale – mainte fois réfutée - aura eu cependant l’avantage de forcer les instituts à progresser dans la fiabilité de leurs méthodes et contribué à un débat public sur l’élaboration des questions ou les interprétations des résultats. Et aujourd’hui, ces enquêtes, dont il faut souligner qu’elles ne sont pas de qualités égales, fournissent des indications au travers desquelles, pour reprendre une expression du socialiste Gérard Le Gall, un des meilleurs experts en la matière, « quelque chose parle de la société ».

La formule, en elle-même, dit combien la vérité des sondages n’est qu’indicative, voire fugitive. C’est un oracle qu’il convient de décoder par croisements et recoupements de résultats. Pour autant, on ne peut ignorer l’impact de certains chiffres « bruts » qui peuvent peser dans le débat public, parfois de façon inattendue. Comment comprendre l’insistance des militants anti-OGM, José Bové en tête, à se prévaloir d’une « légitimité » populaire, si l’on ignore qu’ils se réfèrent aux sondages répétés nous disant que les Français sont très majoritairement contre les tripotages génétiques ? Olivier Besancenot n’a-t-il pas tenté de s’imposer seul candidat à l’extrême gauche en 2007, avec pour argument principal, non pas le Programme de transition de Trotski mais les enquêtes de CSA, IPSOS, SOFRES etc. le plaçant en tête des intentions de vote ?

Quant à Nicolas Sarkozy, si sa dernière interview télévisée ne suscite que des résultats pour le moins mitigés dans les sondages « à chaud », n’est-ce pas, tout bonnement, qu’il n’a pas réussi son coup ? Il avait misé gros sur cette (ré) apparition, le gain devait être à la hauteur. Cela n’a pas été le cas : il aurait bien fallu 70 ou 80 % d’approbation moyenne pour emporter le morceau, si l’on se réfère à des exploits passés dans la même catégorie. Combinés à la mesure de l’audience, bien plus faible que lors de sa précédente interview du 29 novembre 2007, les quelques résultats de sondages immédiatement disponibles ont permis que « quelque chose parle » de Sarkozy. Pas plus, pas moins.