Il est des chroniqueurs qu’on écoute en prenant son petit-déjeuner, et la mastication du pain grillé qui résonne dans vos oreilles, voire le déchargement du lave-vaisselle, ne fait pas obstacle à votre compréhension tellement l’élocution est claire, et le débit modéré. Le chroniqueur que j’écoute volontiers, a prononcé, dans sa dernière intervention 311 mots en 105 secondes, ce qui, si je ne m’abuse nous donne un débit d’environ 3 mots par seconde. Un débit légèrement inférieur à celui ( 3,3 mots/s) de l’intervenant météo entendu ce même jour…Un confort d’écoute relatif que ne prodiguent pas, en revanche les scoops publicitaires, avec un flux qui monte à quelque 5 mots seconde, à la façon de ces adolescents qui gomment les consonnes pour parler plus vite.
À l’inverse, un George Claisse vous lit le poème de Victor Hugo dédié à son frère décédé en 1837, comprenant 219 mots, en une minute 40 secondes, soit à un débit de 2,2 mots par seconde seulement. Lecture, direz-vous et non parole. Mais les chroniqueurs procèdent aussi à une oralisation de l’écrit, Pas une mince affaire! Celui que j’écoute régulièrement a ainsi accroché une fois, produisant un lapsus attestant de la différence entre le substrat écrit qui était là et l’imagerie mentale qu’il en avait. Il a respiré entre 15 et 20 fois. Un décompte approximatif en raison des miniprises d’air qu’on n’entend pas et qui pourraient s’apparenter à la pause que demande une virgule. Des prises d’air qui ne sont d’ailleurs pas les mêmes selon qu’on parle ou qu’on oralise de l’écrit. On ne respire pas au même moment dans les deux cas, côté cerveau le contrôle moteur semble opérer différemment. Peut-être, dans le cas de l’oralisation, à cause d’un effet retard du retour, ce retour dont se servent par exemple les musiciens pour s’ entendre et se guider…
Quoi qu’il en soit, parler ou oraliser de l’écrit, c’est le fait de mammifères qui réussissent ce tour de force de prononcer des mots qui produisent du sens, avec leur souffle, leur salive, leurs muscles maxillo-faciaux. Miracle ou évolution?
Évolution, nous dit Louis-Jean Boë, linguiste et chercheur en Sciences de la parole.
À partir de quand les primates non-humains, ou primates humains ont commencé à utiliser leur conduit vocal autrement que pour sucer, mastiquer, et déglutir? En fait, on utilise pour parler des organes, lèvres, langue, mandibule, larynx, poumons, qui n’ont pas été dévolus par l’évolution, pour parler, on les a détournés, on les détourne constamment en même temps que les fonctions vitales de respiration sont assurées, ce phénomène qu’on appelle l’exactation, c’est-à-dire la possibilité d’utiliser des organes pour autre chose que ce pour quoi ils ont été prévus par l’évolution, par exemple les papillons, que l’on voit voler maladroitement, utilisent leurs ailes qui sont en principe des panneaux solaires qui leur permet de se réchauffer, pour voler…Eh bien nous, nous avons détourné des organes pour parler. Mais bien évidemment il y a toute la partie cerveau qui intervient, il y a d’abord toute la partie contrôle moteur de ces organes, et la parole est sous-tendue par tout un système cognitif qui permet de combiner des sons en syllabes et des syllabes en mots, et ces mots en énoncés, et toute cette partie cognitive qui constitue le langage, est nécessaire pour arriver à produire des phrases qui ont un sens. Et la question fondamentale c’est: est-ce que c’est l’homme seul qui a opéré cette exactation, et ne trouve-t-on pas dans le fonctionnement des vocalisations, dans la production des vocalisations des singes, des traces de ce détournement. On sait que les singes n’utilisent pas une quantité de sons pour faire des mots, et des mots pour faire des phrases, par contre on va observer qu’ils utilisent des sons différenciés pour les associer à des situations éthologiques différentes , réalisant ainsi une communication où un son est attribué à un sens.
« Lèvres, langue, mandibule, larynx, poumons, qui n’ont pas été dévolus par l’évolution, pour parler », dit le chercheur. Un pavé dans la mare du créationnisme et du hors-sol Logos théologique. Ainsi Saint Jean, dans son évangile, inverse-t-il le rapport chronologique chair/esprit:
Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. (…) Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous.
Pas d’accord avec le détournement ou l’exaltation, notre évangéliste!
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Billet de blog 5 juin 2021
Le souffle du chroniqueur II
En fait, on utilise pour parler, des organes, lèvres, langue, mandibule, larynx, poumons, qui n’ont pas été dévolus par l’évolution, pour parler, on les a détournés, on les détourne constamment en même temps que les fonctions vitales de respiration sont assurées. Un phénomène appelé exactation et qui bouscule le Logos théologique..