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Billet de blog 9 mars 2022

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G7, G7+1 et G8.(Bertrand Badie). Logiciel de Vladimir Poutine.(D. Villepin).

Loin d’inclure l’URSS finissante et la nouvelle Russie, le nouvel ordre international l’exclut et le marginalise. Mikhaïl Gorbatchev fut humilié par le G7 tenu à Londres en juillet 1991 et qui avait mis à l’ordre du jour l’aide que les oligarques devaient apporter à Moscou. Le président fragilisé dut attendre de longues heures dans l’antichambre..

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La Russie et les G7, G7+1 et G8.(Bertrand Badie).
Le logiciel de Vladimir Poutine.(D. Villepin).

 Il y a huit ans, Bertrand Badie parlait dans « Le temps des humiliés » (éditions Odile Jacob, 2 014), de « dialectique de la reconnaissance demandée et de l’humiliation infligée ».
 L'extrait suivant, comme le reste de l’ouvrage d’ailleurs, est on ne peut plus clair:
« Loin d’inclure l’URSS finissante et la nouvelle Russie, le nouvel ordre international l’exclut et le marginalise. Mikhaïl Gorbatchev fut humilié par le G7 tenu à Londres en juillet 1991 et qui avait mis à l’ordre du jour l’aide que les oligarques devaient apporter à Moscou. Le président fragilisé dut attendre de longues heures dans l’antichambre, alors que la plupart des chefs d’État et de gouvernement, réunis derrière la porte s’entendaient pour garder l’essentiel de leurs moyens financiers… en faveur de son probable successeur. Celui-ci, Boris Eltsine, fut au centre des délibérations des G7 de Naples (juillet 1994) et de Denver (juin 1997), mais ne fut officiellement admis qu’à celui de Birmingham (1 998). Toutefois, afin de bien modérer cette admission, on ne parla un temps que de « G7+1 », histoire pour les « anciens » d’avoir un prétexte pour se réunir « entre eux » quelques heures auparavant et, ce, jusqu’à Kananaskis (Canada 2 002).
 Bill Clinton reconnut publiquement le deal, voire le linkage: admettre la Russie dans le club des oligarques puis à l’OMC à condition que Boris Eltsine approuve l’élargissement de l’OTAN à ses anciennes républiques satellites, voire à certaines des anciennes républiques soviétiques, à l’instar des États baltes. La suspension de la participation russe au G8 devint même, au fil du temps, un élément du débat politique interne à l’Occident, manière de dénoncer les manquements à la démocratie qu’on reprochait au Kremlin.
 En fait, l’admission au G8 devait rehausser le statut de la Russie, mais ne fit que le rabaisser.. (…) L’OSCE, actualisée par le Pacte de stabilité en Europe (mars 1995) était maintenue a minima, laissant peu de place à une Russie désormais bien isolée. Celle-ci, à l’instar de celle d’Ivan IV, battue en son temps dans la guerre de Livonie et coupée des voies maritimes européennes, n’avait plus qu’à regarder vers l’est, l’OCS (organisation de coopération de Shangaï) et plus tard les BRICS… »

 Dominique de Villepin, invité de « C dans l’air » du 6 mars 2022, parle lui aussi de cette même humiliation. Selon lui, nous négligeons une bataille, celle de la mémoire: la Russie remet en cause l’ordre qui est celui des Européens depuis 1945, et 1991, où l’OTAN a engagé une politique d’élargissement. Les Russes considèrent qu’on leur vole leur terre patriotique, qu’on les  humilie en disant qu’ils sont responsables d’une boucherie de millions de morts, même s’il y a une réalité historique à ce sujet »…
 Quand on parle de réécriture de l’histoire, l’ancien ministre  répond que« ce n’est pas si simple », au motif  qu’un  diplomate ne peut totalement nier ce que les autres croient. Vladimir Poutine, dit-il, est sceptique, voire plus, dans plusieurs domaines vis-à-vis des Européens et des États-Unis. Les raisons en seraient les suivantes:
1) L’humiliation que représentent la chute du mur et la fin de l’Union Soviétique.
2) 1991, la plus grande catastrophe, avec l’élargissement de l’OTAN.
3) l’hypocrisie occidentale. Pour Vladimir Poutine, dit l’ancien ministre, nous sommes des menteurs. 
Pour exemple, le Kosovo avec l’intervention de l’OTAN sans mandat explicite des Nations Unies.
Ou les États-Unis en Irak et le fait que les Européens n’ont rien fait pour juger les crimes de guerre dont seraient responsables Georges Bush et Tony Blair.
 Ou encore la crise libyenne, avec le détournement par la France de la résolution 1 973, et son armement du CNT en dépit de  l’embargo sur les armes.  
« Quand ils vous rappellent cela, les Russes, dit l’ancien ministre, qu’ajoutent-ils?
 - Nous, on a tendu la main ».
 Et de se défendre d’une accusation de collusion: « Ça ne justifie absolument pas ce qui est en train de se faire, dit-il,  mais ça permet de comprendre le logiciel d’un homme chez qui l’humiliation l’hypocrisie, et l’injustice sont à la source d’ une volonté de revanche ». Un ressentiment qui existerait à l’est mais aussi au sud. Il fait remarquer à ce propos qu’on passe par perte et profit les 35 États qui se sont abstenus à la réunion de l’Assemblée générale, mais que parmi ces États il y a le Sénégal. Raison pour laquelle Il faudrait essayer de comprendre pourquoi ces États africains, ou sud américains envoient un tel message, à savoir que les Occidentaux ont tendance à les écraser .
 (…)  « Il faut, conclut-il,  être prêts à prendre en compte une refonte du système international, sachant qu’il est bloqué. Bloqué au Conseil, à l’Assemblée. Bloqué par l’absence de réformes. Les réformes que voulaient entreprendre Kofi Annan, et qui ne l’ont pas été..
 Nous sommes en train de changer d’âge, dit-il encore, et c’est en cela que cette crise est révélatrice. Notre logiciel est resté bloqué à 1945, au mieux à 1991 ». 
 Selon lui, pour éviter une Alliance renforcée entre des blocs, il faudrait  revoir le système international en faisant davantage de place aux pays du sud, notamment. Les Américains, par exemple, dit-il,  ne se rendent pas compte que l’Amérique latine est devenue une basse-cour de la Chine.
 De ce point de vue,  des émissaires indiens, turcs, israéliens, Algériens, latins, constitueraient une nouvelle donne, qui ouvrirait de nouveaux horizons à l’ONU.

 Mensonges, humiliation, hypocrisie, autant de griefs à l’endroit des Occidentaux, qui ne peuvent,   comme il a été dit plus haut, excuser en aucun cas l’envahissement de l’Ukraine et la guerre qui y est menée par les forces russes sous la direction d’un chef d’État qui a déjà montré par le passé son goût pour le recours à la force en lieu et place de la diplomatie. 
   Ce qui fait dire à l’invité de « C dans l’air », qu’il faut certes  négocier, mais avec les dents, casqués et bottés, poser les pions, durcir les mesures, préciser les lignes rouges ».
 Pour l’heure, cependant, les armes destinées aux Ukrainiens tardent à arriver, certains résistants combattent même sans casques et sans gilets pare-balles… L’heure n’est plus à la standing-ovation devant« L’Ukraine vaincra » du président ukrainien Zelensky. Ce dernier dénonce dans une video du 8 mars au matin, les promesses non tenues des Européens : «  La responsabilité revient aux occupants, dit-il, mais les responsables sont aussi ceux qui n’ont pas été capables de prendre une décision pendant ces treize jours depuis leurs bureaux en Occident. »
« Tout se passe comme si, assis sur le mensonge et l’hypocrisie, les Occidentaux s’étaient aveuglés et endormis sur leurs « lauriers », ouvrant un boulevard aux chars russes fabriqués avec  l’argent du gaz  acheté par eux à la Russie…
 Aveuglement, surdité, torpeur, en partie dues selon le député Sylvain Fort, invité de « C ce soir"  du 8 mars, à la propagande russe. « On a accepté cette désinformation avec aisance, dit-il. On a octroyé un canal à RT France. Au moment où RT France a commencé à diffuser en France, des sanctions avaient déjà été prononcées par des régulateurs au Royaume Uni et en Allemagne. Quels sont les sanctions  qui ont été prononcées en France depuis cinq ans? Aucune. Nous dormions. Nous dormions, répète-t-il.   

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