Suite aux attentats perpétrés ces dernières semaines en Israël, Frédéric Metezo demandait sur les ondes si l’Autorité Palestinienne avait bien encore la main, alors qu’elle était un rouage sécuritaire essentiel pour Israël. Il ajoutait que le ministre israélien de la défense multipliait les contacts avec ladite Autorité afin qu’elle agisse plus fortement encore. « Rouage », une jolie appellation littéraire, euphémisme pour ce qui s’avère être en fait une sous-traitance palestinienne de l’occupation israélienne.
Pour en parler, Stéphanie Latte Abdallah, auteure de « La toile carcérale. Une histoire de l’enfermement en Palestine », livre nourri d’une enquête ethnographique d’une dizaine d’années, au cours desquelles elle a réalisé plus de 350 entretiens, et d’un travail mené à partir d’archives et de documents institutionnels.
La « coopération » sécuritaire avec Israël, nous dit-elle, a certes été exigée par les autorités israéliennes, mais elle a également (oublieuse de la décision de rupture du Conseil législatif de l’OLP en 2018), revêtu une fonction interne, à savoir contrôler indirectement l’opposition, la politique et la société en Cisjordanie en transmettant les informations idoines aux homologues israéliens. Une continuité matérialisée par le passage d’une prison à une autre. Ainsi apprend-on que la plupart des détenus qui sortent des prisons israéliennes après une détention administrative ( détention sans jugement ni preuves, renouvelable de six mois en six mois) ou pour appartenance à un parti autre que le Fatah sont de nouveau arrêtés par les forces de sécurité palestiniennes et parfois condamnés pour les mêmes faits. Et qu’inversement , une période de détention en Cisjordanie peut être suivie par une incarcération en Israël, en vertu d’intérêts communs ou de la suspicion engendrée par des périodes passées derrières les barreaux en Palestine, instituant ainsi un va-et-vient entre prisons israéliennes et palestiniennes , soit une double peine.
Un des Palestiniens interviewé par Stéphanie Latte Abdallah raconte : « Ils ne disent pas que c’est politique, mais que ce sont des activités contre les Juifs ou bien du terrorisme. Les Israéliens appellent et disent, untel est actif, soit vous l’arrêtez, soit on le fait (…) il y a plein d’exemples comme ça".
Où l’on retrouve l’argument classique de l’occupant, transformant une question politique en question ethnique ou raciale, ou en terrorisme, un grand classique là aussi pour ne citer que ledit « terroriste » Nelson Mandela prix Nobel de la paix, ou plus proche, l’accusation d’antisémitisme pour toute critique du sionisme. Il y a beaucoup de coordination, dit un autre: "Parfois tu fais cinq mois chez la Sulta (police palestinienne) et puis tu es arrêté par les Israéliens, ils te donnent deux ans, et ils t’enlèvent ces cinq mois."
Autre moyen, la menace de diffamation auprès de l’entourage, notamment l’accusation de prostitution. Comme dit l’une des femmes interviewées par l’auteure : "De toute façon, pour tous les activistes, ils utilisent la réputation et les questions morales, sexuelles, pour les discréditer…."
Double peine à Gaza également, à cause cette fois de l’isolement et de l’état de siège imposé par les autorités israéliennes qui, dit l’auteure, accroissent la dureté du temps passé en prison: encombrement judiciaire par manque de juges, manque de place pour transférer les prisonniers non jugés, finances absentes qui obligent les familles à fournir nourriture, couvertures et médicaments pour garantir un quotidien décent.
Noeud et noyau du rhizome de contrôle, dit l’auteure dans le prologue de « La toile carcérale », la prison est devenue dès 1967 un espace clé pour comprendre et faire l’histoire de l’engagement en Palestine. Un va-et-vient permanent entre Dedans Dehors, peut – on dire, chaque famille vivant ou ayant vécu la détention de proches en Israël. Pour rappel, quelque 850 000 Palestiniens sont passés par les prisons israéliennes depuis 1967. Car la prison n’est pas un ailleurs, il n’y a pas d’un côté la vie sociale palestinienne et de l’autre les prisons, la prison est partie intégrante, au même titre que, par exemple l’hôpital, ce lieu où là aussi on entre et on sort, d’où le recours par l’auteure, aux termes Dedans Dehors, plus anthropologiques que conceptuels .
Où l’on voit, si besoin était, la perversité d’un système d’occupation, qui, doublé d’une entreprise coloniale de peuplement, transforme les autorités autochtones, en sous-traitants complices, en matière de répression de toute résistance au vol de la terre, au sein de leur propre population.