Israël: L’impasse démographique.
Courrier international du 28 octobre, au 3 novembre 2021 s’interroge sur la capacité d’Israël à affronter le défi climatique et environnemental, mais aussi à juguler sa croissance démographique effrénée.Jusqu’à présent, est-il dit dans l’article, la solution privilégiée par Israël a toujours été la destruction d’espaces verts pour y bâtir de nouveaux quartiers résidentiels. Qui dit nouveaux quartiers , dit population croissante. Une question jamais abordée par les organisations écologistes ou organismes gouvernementaux. Or, dit l’hebdomadaire sous la plume de Zafrir Rinat, « Dans quarante ans, Israël sera le deuxième pays le plus densément peuplé du monde, juste derrière le Bangladesh, avec plus de 20 millions d’habitants en 2065, contre 9,6 millions en 2021 sur une superficie de 20 770 km2 , soit l’équivalent de deux fois le département français de la Gironde (sans tenir compte de la Cisjordanie et de la bande de Gaza). Pour loger la population, les autorités israéliennes ont adopté, en 2017, un plan portant sur la construction de 2,6 millions d’unités de logement dans tout le pays, Cisjordanie incluse, dont 1,4 million d’ici à 2 040. »
Une mise en perspective par recours à l’histoire s’impose ici pour expliquer la densité actuelle de la population israélienne. Après l’assassinat d’Alexandre II en 1 881 et les pogroms contre les juifs qui suivirent, plus de deux millions de Juifs émigrent vers l’Occident et en particulier l’Amérique. Environ 4% choisissent comme destination la Palestine. Une disproportion qui, au passage, démystifie le narratif de la Déclaration d’indépendance d’Israël selon lequel les Juifs n’auraient eu de cesse pendant 2 000 ans de vouloir s’installer en Palestine. Il faut rappeler à cet égard que Théodore Herzl lui-même envisageait comme Judenstaat pour les Juifs d’autres lieux que la Palestine, notamment l’Afrique. Il y a, pour en revenir au peuplement, des Alias ( montées en Israël) successives, notamment après la déclaration de 1917 du ministre Balfour, notoirement peu judéophile, qui proposait l’installation d’un foyer juif en Palestine,( lieu stratégique pour la Grande Bretagne avec le canal de Suez, porte de l’Orient). Un peuplement qui, au moment du partage de la Palestine de 1947, se monte à 600 000 Juifs, pour 1 200 000 Arabes. Des chiffres vite dépassés par l’’émigration intensive qui a suivi la guerre israélo-arabe de 1848, l’émigration de quelque 600 000 juifs qui ont fui le panarabisme de Nasser, la guerre de 67, et plus tard l’arrivée d’un million de Russes après la désintégration de l’URSS au début des années quatre-vingt-dix. Pour parler d’aujourd’hui, d’après B’Tselem , il y avait en 2020, quelque 662 000 colons en Cisjordanie, dont 220 000 à Jérusalem-Est. A noter que le désir de peuplement des colons est tel que le taux de croissance est, dans les colonies, 68 % fois plus élevé que celui de la croissance des habitants d’Israël. Un peuplement, dont l’intention manifeste n’est pas de vivre, comme le faisaient les Afrikaners en Afrique du Sud, aux côtés des autochtones, même si de nombreux Palestiniens travaillent en Israël et aussi dans les colonies, mais de les remplacer, comme le stipulaient déjà les lois israéliennes de 1950, interdisant aux réfugiés de 48 tout retour, et donnant aux immigrants juifs les terres des Palestiniens, qualifiés alors « d’Absents ». Au regard de la situation sur le terrain, la perspective jamais actualisée d’une solution à deux États, pourtant toujours évoquée, ne peut que servir la poursuite de l’occupation. Se référer à la ligne verte de 1967, par exemple, n’a plus de sens, le Mur construit à partir de 2002 se déploie sur quelque 750 km là où la ligne verte n’en fait que 330. Un allongement à dessein, qui avait pour but de faire des territoires palestiniens un archipel sans continuité territoriale. Ce qu’ils sont effectivement devenus. Ce, pour la raison qu’ Israël n’a jamais voulu négocier, et cela même sans l’intervention d’un tiers, alors que c’était là la condition qu’il posait pour le faire.. Un refus de négocier que commentait comme suit, Frédéric Encel à France Culture le 14 09 2011 : «Ça fait deux ans et demi, que le gouvernement israélien, aurait dû négocier. MM Abbas et S.Fayyad correspondent à un tandem rêvé par les Israéliens depuis des années. […] Israël a commis une erreur.»
Erreur? Un terme impropre, qui laisse penser sémantiquement à un accident de parcours ponctuel, et donc pas forcément récurrent, quand il s’agit en fait d’un refus constant, systémique même. Un refus nourri du rêve millénariste de faire venir les Juifs du monde en Israël. Sylvain Cypel, dans « l’Etat d’Israël contre les Juifs » rappelle à cet égard le spectacle honteux donné après les attentats à Charlie Hebdo et à l’’Hyper-Casher de Vincennes en janvier 2015. « Netanyahu avait alors immédiatement lancé de Jérusalem un appel aux Juifs de France à émigrer en Israël. Le surlendemain des attentats, une cérémonie avait lieu à la grande synagogue de Paris, en présence de François Hollande, de son Premier ministre Manuel Valls et de Netanyahu. Celui-ci fut accueilli dans une ferveur inouïe par ses partisans chantant à tue-tête Bibi roi d’Israël, transformant un moment de recueillement en mémoire des 17 victimes, en meeting politique de soutien à un Premier ministre en campagne ».. Limite d’une logique sioniste qui refuse de reconnaître que les Juifs sont susceptibles de se préoccuper du destin d’autres Juifs sans vouloir pour autant vivre avec eux une existence nationale…
Ce que n’ont pas pu faire les Palestiniens, à savoir contenir la croissance démographique israélienne, c’est le réchauffement climatique et l’urbanisation extensive qui pourraient s’en charger. Pour exemple, souligne Zafrir Rinat, la ville de Modi’in, de 95 000 habitants, s’étendant sur 5 000 hectares, à cheval sur la ligne verte. Quant à la croissance démographique, elle est interrogée par Yehoshua Shkedy, dans ce même article: Il ne sera bientôt plus possible, dit-il, d’éviter le débat sur les défis posés par la politique ultra-nataliste d’Israël.