De mon judaïsme, qu’est-ce qui reste? j’ai rien à rejeter. Des souvenirs, il me reste des persécutions, la cuisine, la musique, mais pas d’attachement à un pays.
Ainsi parle Daniel Kupferstein, auteur du documentaire « Pas en mon nom » lors d’une interview au « Réveil culturel » de France culture du 21 octobre 2020.
En 2009, il y a eu des bombardements sur Gaza, et il a vu un appel du CRIF qui demandait qu’on soutienne Israël, en plein bombardement. Des avions israéliens bombardaient des habitants de Gaza au nom de la défense d’Israël, mais quelque part, dit-il, au nom de la défense de tous les Juifs.. Cette prise de position, à savoir condamner le bombardement d’un peuple, qui plus est, enfermé dans un territoire, devrait être considérée comme naturelle, en raison du droit universel qu’a un individu à s’exprimer. Mais il s’entend dire alors que lui, il est un Juif « pas pareil », au motif que les Juifs devraient soutenir automatiquement Israël, et ne pas avoir leur propre conception de la vie. Pour l’auteur du documentaire, il y a en France, un glissement entre Juifs et Israéliens, « comme si c’était exactement la même chose ». Et il y a eu, à travers les institutions juives en France, une radicalisation vers la droite voire l’extrême droite, oblitérant la diversité de la parole au profit d’une défense absolue d’Israël quoi que fasse cet Etat.
Le film, fait de dialogues avec des personnalités ashkénazes, Séfarades, Egyptiens, Turcs, est là pour montrer qu’il n’y a pas assignation, qu’on ne doit pas confondre Juifs et israéliens, et que donc Israël ne peut parler au nom de tous les Juifs.
Daniel Kupferstein est heureux de l’accueil réservé à son film, projeté par des associations dans des salles où a lieu un débat. Il découvre un public qui lui dit « « C’est exactement ce que je pense ». Je me suis aperçu, dit-il, « qu’on était très nombreux, peut-être pas majoritaires, mais très nombreux. »
La troisième partie du film pose la question de l’agir. Que faire une fois qu’on a dit « non », vis-à-vis des représentants de la communauté juive? Une invitation à dépasser le simple et gratuit échange d’opinions, à sortir peut-être aussi de l’autocensure…
On veut bien croire l’auteur du documentaire quand il affirme que les Juifs sont nombreux à ne plus vouloir cautionner la politique d’occupation et d’annexion de l’Etat d’Israël. Pour autant, il y certainement là une part de wishful thinking. C’est ce qu’on ressent avec le tableau que dresse Sylvain Cypel du positionnement de la communauté juive française, dans son livre « L’Etat d’Israël contre les Juifs »: On lit aux pages 281 à 283: « Fascination pour la force, repli communautaire sur une base ethnique, on est là au coeur même de l’évolution de la société israélienne. Comment s’étonner qu’en France, comme en Israël, cela s’accompagne d’une recherche radicale de l’entre-soi?. Ces Juifs français-là visent à se regrouper dans des quartiers où ils sont nombreux et, si possible, majoritaires, où ils trouvent l’essentiel de leurs besoins, des magasins casher à l’école juive en passant par la synagogue, où ils évitent la mixité avec « les Français » et d’où ils sortent peu. (…) C’est cet enfermement -là qui croît en France, quand il n’aboutit pas au départ pour Israël. C’est lui aussi qui pousse ceux qui le vivent volontairement, à faire de Netanyahu leur héros. (…) Le surlendemain des attentats de janvier 2015, une cérémonie avait lieu à la grande synagogue de Paris, en présence du président Hollande, de son Premier ministre Manuel Valls et de Netanyahu. Celui-ci fut accueilli dans une ferveur inouïe par ses partisans chantant à tue-tête « Bibi roi d’Israël », transformant un moment de recueillement en mémoire des 17 victimes, en un meeting politique de soutien à un Premier ministre israélien alors en campagne électorale dans son pays. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, visiblement inquiet de voir une partie croissante du judaïsme français s’enferrer dans un raidissement identitaire prononcé, entendit réparer l’image donnée par cette soirée en déclarant que « les mots de la communauté juive de France sont des mots de confiance en la France. C’est de cette fraternité que la France a besoin. » On peut craindre, dit l’auteur, que ces appels à la confiance et à la fraternité restent lettre morte. Au besoin, le gouvernement israélien et le CRIF y veilleront. »
S’il est un lieu où ce refus de l’amalgame Israélien/juif se renforce, ce serait dit Sylvain Cypel, le lieu où on l’attendait le moins, à savoir les Etats-Unis. Cela, dit-il, advient parce que contrairement aux communautés juives importantes ( française, britannique, argentine), l’américaine a une dimension qui lui rend la confrontation plus aisée. Elle compte autant de Juifs qu’il existe de Juifs israéliens. On lit, page 294, « Michael Walzer, Yehudah Mirsky, Dox Waxman, Harru Siegman, et bien d’autres encore… tous ces observateurs confirmés du judaïsme américain, sans exception, confirment qu’on assiste en Amérique à ce qu’ils nomment une « renaissance de la diaspora ». C’est-à-dire, l’émergence d’une culture et d’une expérience juive américaines qui revendiquent fortement leur appartenance au judaïsme, mais qui se bâtissent, dans l’éloignement d’Israël, et même pour certains, dans l’hostilité. Ainsi l’écrivain Jacob Bacharach, dans un article intitulé « Une patrie en Amérique », plaide-t-il pour que les Juifs se détournent du sionisme. « Je suis épuisé par Israël », lance-t-il en préambule. Ce qui l’épuise, commente Sylvain Cypel, au-delà des actes quotidiens commis envers les Palestiniens, c’est « cette difficulté à s‘échapper » du lien avec Israël « lorsque toute conversation sur ce qu’est être juif, que vous soyez observant du shabbat ou que vous fassiez rôtir du porc le samedi dans votre jardin, revient sans cesse à la question d’Israël, ce pays lointain et étranger qui fait office d’étoile polaire pour certains de nous et de fardeau pour d’autres, mais qui constitue dans les deux cas une préoccupation essentielle et permanente de nos vies de Juifs. »
Pas de raison toutefois d’accuser Sylvain Cypel de wishful thinking. Lui-même reconnaît que le discours « diasporiste », est loin d’être majoritaire au sein du judaïsme américain. On lit page 302: « Oui, estime Yehudah Mirsky professeur d’études juives et moyen-orientales, à Boston, on assiste à un regain d’intérêt pour le judaïsme diasporique, mais il reste confiné à des cercles intellectuels, artistiques et universitaires limités. » J’y croirai ajoute-t-il, quand je verrai des Juifs s’organiser pour demander au Congrès de cesser de financer les fournitures d’armes à Israël. »
Chez les diaporistes américains, donc, pas plus de passage à l’acte, pour l’heure, que chez les dirigeants européens qui « condamnent, déplorent, regrettent », depuis des décennies, la colonisation dans les territoires palestiniens.
Reste le travail de fourmi des associations ... Bon vent à ce "Pas en mon nom"!