L'OMS, grand corps malade, un film remarquable de Pierre Haski à DébatDoc.
Extraits et compléments.
Tedros Adhanom Ghebreyesus a été ministre de la santé et des affaires étrangères dans son pays pendant une quinzaine d’années. Ancien directeur du fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, il a mené des réformes de santé remarquables, et a acquis une légitimité d’un réformateur de la santé et des soins de santé primaire pour les Africains. Voilà pour le côté positif. Mais, nous est-il dit, le directeur de l’OMS, pendant quinze ans, a été ministre du régime autoritaire éthiopien, responsable de la mort de centaines d’opposants politiques, et lorsqu’il était ministre de la santé, il a plusieurs fois refusé de reconnaître des épidémies dans le pays, pour ne pas effrayer les investisseurs. Les équipes MSF, nous dit-on aussi, rapportaient plusieurs cas de choléra, donc une épidémie tandis que le ministre de la santé à l’époque disait que ce n’étaient que des cas de diarrhée aqueuse aiguë , et qu’il n’y avait pas de choléra. Il nous est aussi rappelé que, quelques jours après son accession à la tête de l’organisation, le docteur Tedros nomme ambassadeur de l’OMS, Robert Mougabé, l’ancien dictateur du Zimbabwe, et que, face à la réprobation internationale, Tedros Adhanom Ghebreyesus est obligé de se rétracter, mais que son message est clair, à savoir que la santé est une question politique, et que la politique se construit avec des alliés.
Politique? François Godement confirme, disant que le docteur Tedros a été élu par une coalition de pays poussés par la Chine, de pays du Sud, et de pays africains, de façon logique, symptôme de la fin de la domination d’ Occidentaux qui se retrouvent à financer, pour une grande part l’OMS sans contrôler désormais son fonctionnement politique à partir de l’Assemblée des États membres.
Tension donc, entre Chine et occidentaux. Incarnée par les faits, Pékin mobilisant ses alliés pour faire élire ses candidats, comme c’est le cas avec le docteur Tedros, mais aussi avec des fonctionnaires du régime de Pékin. Ainsi, nous rappelle-t-on qu’un chinois est nommé à la tête de la FAO.( organisation contre la faim dans le monde). Qu’en 2016, un autre chinois est nommé à la tête d’Interpol, basée à Lyon. Qu’un autre chinois est nommé à la tête de l’OACI, organisation de l’aviation civile internationale. Qu’un chinois est nommé à la tête de l’organisation des Nations Unies pour le développement industriel, et qu'un autre est à la tête de l’UIT, l’union internationale pour les communications, et qu'un chinois encore est nommé pour diriger le département des affaires économiques et sociales de l’ONU, et qu’enfin un autre chinois permet à la Chine de jouer un rôle clé dans la commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève.
Une capacité de la Chine à pousser ses candidats dans les organisations internationales, due, nous dit-on, à la désertion des US, l’Amérique de Trump ne croyant plus au multilatéralisme, et prônant le protectionnisme au nom de l’America first. Pour preuve, le retrait des USA de nombreuses organisations internationales, par exemple du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’UNESCO, l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, ou encore les accords de Paris, un boulevard pour une Chine qui agit à l’intérieur des Nations Unies pour avant tout se légitimer et contrer ce qui pourrait nuire à ses intérêts.
Conséquences par rapport à la pandémie de la Covid?
Une perte d’autonomie de l’OMS responsable de son manque d’anticipation dans la pandémie.
La question du financement..
Tout d’abord, les États, apprenons-nous, ne donnent pas plus de 4 ou 5 milliards par an, en gros le budget d’une unité hospitalière…et la France, en l’occurrence fait partie des mauvais élèves, donnant insuffisamment…La Chine, elle, en revanche, donne deux milliards de dollars l’an, confirmant son désir de faire oublier l’arrestation des lanceurs d’alerte, et s’achetant par là une virginité qui la fait apparaître, en outre par des dons de vaccins, comme puissance responsable et généreuse.
Autre entorse à la déontologie de l’organisation mondiale, des fonds privés qui viennent concurrencer les fonds publics. Ainsi un Bill Gates, fondateur de Microsoft a-t-il pu devenir le deuxième financeur de l’OMS à hauteur de deux milliards de dollars avec sa fondation pour guérir la poliomyélite, sans pour autant avoir été élu par qui que ce soit. Une poliomyélite dont, d’ailleurs, il reste une centaine de cas quand il y en avait 300 000 il y a une vingtaine d’années, fait remarquer Rony Brauman, président de Médecin sans frontière de 1982 à 1994, dénonçant l’influence que peut avoir l’initiative privée dans l’agenda de l’OMS.
Une division des États, qui a cependant connu des rémissions, comme ce fut le cas avec la variole, la détente entre les USA et l’Union soviétique ayant rendu possible la lutte contre l’épidémie. Comme ce fut aussi le cas avec l’épidémie Ebola. A ceci près cependant , comme le rappelle Rony Brauman, que « certes le Conseil de sécurité s’est saisi de l’occasion, mais ça faisait déjà trois mois que l’on savait que l’explosion épidémique avait eu lieu, et qu’elle flambait dans des quartiers peuplés où elle a fait d’énormes dégâts, Donc c’était une réaction extrêmement tardive, et l’OMS a participé activement à ce retard, en refusant de prendre en compte la réalité de cette urgence.
(L’alerte Ebola est lancée en mars 2014 et L’OMS ne réagit qu’en août.) Là ce n’était pas la Chine, commente-t-il, mais la Guinée, la Sierra Léon, le Liberia, qui pesaient sur les délégués de l’OMS.qui se rangeaient à l’avis des gouvernements selon lesquels il n’y avait rien à signaler.
A l’appui de cette déclaration, Rony Brauman poursuit: « Il est de notoriété publique que l’élection du directeur de l’OMS fait l’objet de trafic, de valises de billets, et que ça circule énormément , on a vu des votes totalement retournés suite à l’introduction de valises de billets devant la salle où se déroulait le vote ». Et d’ajouter à propos de l’opacité du régime chinois vis-à-vis de la visite de la délégation prévue ces temps-ci à Wuhan, (délégation pour laquelle il a fallu attendre sept mois pour obtenir les autorisations), que l’opacité n’est pas le seul fait de la Chine, mais aussi une caractéristique des contrats qui ont été conclus avec des grands laboratoires, contrats peu transparents comme on pouvait s’y attendre avec le poids des lobbys de la pharmacie, de l’agrochimie et de l’agrobusiness.
Brevets et licence obligatoire..
Plusieurs pays à revenu faible ou intermédiaire demandent à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) - l'organisme qui régit les accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce - une dérogation à ces droits afin que les vaccins covid-19 puissent être produits en masse et à un prix abordable. Les pays riches, dont le Royaume-Uni, les États-Unis, la Suisse et les nations européennes, s'opposent à la proposition, présentée par l'Afrique du Sud et l'Inde et soutenue par des dizaines de pays en développement. Ils font valoir que ces brevets sont nécessaires pour encourager la recherche et le développement de médicaments.
L'histoire semble se répéter : une confrontation ouverte entre ceux qui soutiennent les droits de propriété intellectuelle sur les médicaments et ceux qui exigent l'accès à des médicaments moins chers pour sauver des vies. Cela s'est déjà produit en 1998, lorsque l'Afrique a été frappée par l'épidémie de VIH et que plusieurs gouvernements du continent ont exigé le retrait des brevets des entreprises pharmaceutiques afin d'obtenir les médicaments susceptibles de prévenir le sida et d'éviter des décès.
Cette fois-là cependant, les laboratoires avaient dû retirer leurs plaintes. On lit à ce propos sur le site Le Cairn::Le 5 mars 2001, s’ouvrait à Pretoria, en Afrique du Sud, un procès intenté par 39 firmes pharmaceutiques contre le gouvernement sud-africain. Ce dernier était coupable, aux yeux des laboratoires, de violer les droits de propriété intellectuelle en ayant adopté en 1997 une loi pharmaceutique favorisant le recours à des médicaments génériques. Le 19 avril 2001, reculant devant les critiques émanant de la presse, des organisations non gouvernementales (ONG) et de l’opinion publique, les 39 laboratoires retiraient leur plainte sans que le gouvernement sud-africain ait eu à modifier sa loi.
N’empêche, aujourd’hui, selon l'OMS, 75 % des vaccins contre le covid administrés jusqu'à présent l'ont été dans 10 pays développés, et, dit Gavin Ramey de l’université de Duke aux US, interviewé par la BBC le 21 mars: « quelque 130 pays, où vivent plus de 2,5 milliards de personnes, n'ont pas reçu un seul vaccin. Les nations riches ont vidé les rayons en disant « moi d’abord et juste moi , une terrible attitude de santé publique. »
Une OMS minée par le partenariat privé, les jeux de pouvoir, les luttes d’influences, et une OMC qui dicte la loi de la santé publique…
Aux antipodes, un Albert Sapin, inventeur du vaccin contre la poliomyélite, qui écrivait il y a cinquante ans : “Beaucoup de gens ont insisté pour que je fasse breveter mon vaccin contre la polio, mais je ne le voulais pas. C’est mon cadeau à tous les enfants du monde. (…)
Bruce Sapin, spécialiste des virus né en Pologne en 1906 et mort en 1993. Médecin et chercheur américain, dont la découverte la plus remarquable fut le vaccin antipoliomyélitique dans les années 1960, et qui a refusé de breveter son vaccin, renonçant ainsi à toute exploitation commerciale par les laboratoires, afin que son bas prix garantisse la diffusion la plus large possible de son traitement. Un médecin chercheur qui n’a pas gagné un sou du vaccin qu’il a découvert et qui a continué par la suite de vivre de son salaire de professeur…