Dans le 18/20 du mardi 26 janvier, Fabienne Sintes proposait d’aller « voir chez ceux qui ont la réputation d’avoir fait les choses exactement dans le bon ordre. » S’adressant à Alice Froissard, elle disait: « Vous avez, en Israël, la réputation d'être les champions du monde de la rapidité et de l’organisation, et ça se vérifie toujours, apparemment ».
Une réputation pas volée, effectivement si l’on considère que la campagne commencée le 20 décembre a abouti à la vaccination d’un quart de la population israélienne. Réservée au début aux personnes âgées ou en première ligne, elle a été étendue aux quadragénaires et depuis peu aux seize/dix-huit ans, afin de permettre la tenue du baccalauréat et le processus de recrutement militaire . Une des raisons avancée pour expliquer cette célérité est qu’Israël a accepté de payer les doses du labo Pfizer, 22,70 euros, contre 12 à 15 euros dans l’Union européenne. Autre raison, le deal passé avec Pfizer, soit la livraison de millions de doses, en échange des données épidémiologiques des personnes vaccinées, un deal qui fait réagir certains Israéliens qui craignent que les données ne soient pas « anonymisées ». Troisième raison, enfin, le désir de Benjamin Netanyahu de voir la population entière vaccinée avant les élections législatives du 23 mars prochain.
Qui dit « occupant », dit occupé », en l’occurrence les restes de Cisjordanie non annexés, et la Bande de Gaza. On pouvait s’attendre à ce que le gouvernement israélien, respectueux de la quatrième convention de Genève qui rend l’occupant responsable sur le plan moral, humanitaire et juridique, des territoires qu’il occupe, donne aux populations de ces territoires un accès au vaccin.
Il n’en est rien, et certaines associations de défense des droits de l’homme dénoncent cette ségrégation. Une entorse au droit international d’autant plus choquante qu’il n’y a aucun problème géographique d’acheminement, puisque les colons disséminés à travers la Cisjordanie, et côtoyant les villes et villages palestiniens, sont eux, vaccinés. "Euh, eh bien non, disons que," «disait à ce propos Alice Froissard, parlant de la vaccination des Palestiniens. Ces derniers, ajoute-t-elle, "se sont tournés vers le programme Covax de L’OMS, qui permet un partage des vaccins, mais les procédures démocratiques sont longues et les vaccins ne seront sans doute pas là avant début mars. Le ministre de la santé palestinien affirmerait, lui, être en contact avec quatre laboratoires: astrazeneca, moderna, sinopharm, et spoutnik, le vaccin russe, qui pourrait arriver en premier." La question du délai d’arrivée est particulièrement préoccupante dans la bande de Gaza sous blocus israélien et égyptien, et qui aura besoin de la coordination d’Israël et de l’Autorité palestinienne pour faire entrer le vaccin.
Autre entorse, anecdotique, mais éloquente: des Israéliens seraient allés dans les hôpitaux des villes arabes d’Israël pour se faire vacciner parce qu’il y a plus de place et suffisamment de doses…
Les champions du monde de la rapidité et de l’organisation, ceux qui font les choses exactement dans le bon ordre, agissent, pourrait-on dire, conformément à l’Ordre proposé par la loi de juillet 2018 sur l’Etat-nation, laquelle revient sur la Déclaration d’indépendance de 1948 qui stipulait qu’Israël était résolument engagé à pratiquer la non-discrimination entre ses citoyens, et qu’il assurait à tous ses habitants une égalité des droits sociaux et politiques, sans distinction de sexe, de croyance, d’origine ethnique ou d’opinion politique. Le non-accès au vaccin pour les Palestiniens est donc une occurrence manifeste de la ségrégation invoquée et condamnée par le texte fondateur.
Incarnation de l’aristocratie sioniste, Avraham Burg, ancien président de la Knesset, de l’Agence juive et de l’Organisation sioniste mondiale vient de demander au gouvernement israélien de ne plus le considérer comme juif. En vertu de cette loi sur l’État nation, rappelle-t-il, un citoyen d’Israël qui n’est pas juif est assigné à un statut inférieur comparable à celui qui a été assigné aux juifs pendant des générations. Ce qui fut odieux pour nous dit-il, nous l’infligeons maintenant à nos citoyens non juifs. (En effet la loi sur l’Etat nation , en Israël, semble bien être mise en application, ainsi que l’atteste le fait que des municipalités refuseraient d’accueillir dans leurs écoles des enfants palestiniens, et refuseraient aussi de les transporter pour qu’ils aillent dans une école arabe ailleurs.) Je suis un juif historique, rajoute Avraham Burg, je crois à l’égalité, à l’universalisme, à l’humanisme, aux droits des minorités. Ce nouveau judaïsme, qui dérive vers la démocratie illibérale, je n’en fais pas partie.
Dans son livre « Vaincre Hitler, Pour un judaïsme plus humaniste et universaliste », publié en Israël en 2007, Avraham Burg critiquait déjà le virage nationaliste et ethnique qu’avait pris le pays au cours des dernières décennies. Il s’opposait aux nouvelles «théories raciales juives» des extrémistes religieux et stigmatisait l’usage de la force militaire.
Lesdits champion du monde de l’organisation, dont parle Fabienne Sintes, sont donc aussi, selon l’auteur, des champions de la violation des textes fondateurs.