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Billet de blog 1 avril 2013

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La reproduction

J'achève patiemment et crayon en main la lecture de « la Reproduction » de Pierre Bourdieu que je croyais connaître sans l'avoir « lu personnellement » et c'est à la fois une révélation et une source de questions, en particulier sur ce que les sociologues et au delà les spécialistes de l'éducation ont bien pu apporter depuis 1966, date de parution de ce livre.

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J'achève patiemment et crayon en main la lecture de « la Reproduction » de Pierre Bourdieu que je croyais connaître sans l'avoir « lu personnellement » et c'est à la fois une révélation et une source de questions, en particulier sur ce que les sociologues et au delà les spécialistes de l'éducation ont bien pu apporter depuis 1966, date de parution de ce livre.

N'auraient-ils finalement passé tout ce temps à (au mieux) répéter et édulcorer la démonstration magistrale de Bourdieu, au pire à accompagner (fusse de manière critique) le système de reproduction.

Je discute récemment avec un jeune enseignant vacataire en SES qui trouve un grand intérêt à ce travail qu'il découvre depuis quelques mois. Vient la première fois où il doit noter un devoir. Il vit cette situation comme une épreuve éthique voire politique . Je passe sur les détails et les réponses, pleine de bon sens, qu'il se propose d'apporter en direction des élèves qui n'ont pas bien réussi mais il me fait part du projet de dresser dans sa propre classe une statistique des origines sociales que l'on pourrait lire en parallèle avec les résultats scolaires. L'idée n'est pas bonne et il ne la mettra pas en pratique. On imagine l'élève à qui on apprendrait qu'il est noté pour des raisons extérieures au travail qu'il a rendu. Lecteur de Bourdieu ce jeune prof cherche à échapper au système en le rendant transparent à lui même ce qui, Bourdieu y insiste dans son ouvrage, est impossible ou destructeur pas tant pour le système qu'à un moment donné pour les acteurs, ici professeur et élèves, qui y ont à faire.

Si cette erreur l'est vis à vis de la lettre du texte de Bourdieu et surtout d'un « sens pratique », elle reste "sympathique" et inspirée par une velléité de sortir de La reproduction.

Je lis tout récemment dans le Monde du 30 mars, la présentation d'un livre « l'école une utopie à reconstruire » où cette fois ci un sociologue (on peut penser confirmé) propose lui de supprimer « ou de grandement réduire » le recours aux fiches de renseignement sur lesquelles  « l'enfant » renseigne la profession de ses parents afin de réduire « le biais social d'évaluation ».

Presque 50 ans après la publication du travail de Bourdieu je suis stupéfait de voir que l'on puisse en être à proposer de tels artifices pour contrecarrer la traduction de la domination sociale dans le système scolaire et à me demander si c'est pour en arriver là que la sociologie de l'éducation a étudié le système d'enseignement sous toutes les coutures au long de ces dernières années.

Tout semble aller comme s'il n'était resté aux intellectuels devant la résistance de la réalité à la pertinence de leurs analyses ou de leurs préconisations (à moins de risquer de scier la branche sur laquelle eux mêmes sont installés) qu'à y adapter leur pensée.

En croyant (ou feignant de croire) que c'est en cachant la fiche de renseignement que l'on annihilera les effets sociaux on peut, de la même façon, explorer sous toutes les coutures les inégalités en faisant l'impasse sur la question fondamentale qu'elles posent en étant le produit d'un système de domination de classe qui impose sa culture et son langage et tolère tout du système d'enseignement (y compris des professeurs de sociologie) pourvu qu'il sélectionne et perpétue au travers la culture les positions de domination.

On retrouve ce même déni très concrètement quand il s'agit de lutter contre l'échec scolaire, très significativement par exemple, quand on se soucie des « décrocheurs » ; on ne se place jamais ou très rarement en terme de prévention mais on se propose d'intervenir au contraire après que le mal soit fait. On découvre alors et après quels efforts dans des dispositifs de deuxième chance toutes les potentialités que les quelques jeunes que l'on aura pu repêcher n'avaient pas pu mobiliser dans le cursus ordinaire qui continue lui, comme si de rien n'était, à produire les futurs « décrochés » c'est à dire à fonctionner sur les bases de reproduction sociale.

Si comme le laisse entendre le ministre le temps de la pédagogie est venu il serait temps qu'elle arrête de se prétendre neutre (professionnalisée) et planplan.

Pour lutter contre l'échec scolaire rien ne vaut mieux que d'agir pour la réussite, que l'on mobilise pédagogiquement les enseignants en les formant à « la prévention », qu'on les sensibilise à la recherche des potentialités de tous les élèves, et qu'on les oriente vers ceux qui auront à la fois inévitablement le plus de mal et le plus besoin de l'école. Peut-être qu'alors tirant enfin des leçons pratiques de son travail on suscitera des réflexions qui dépassent Bourdieu et aident à avancer.

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