Le groupe musical occitan « Nadau » (prononcer nada/ou) déplace les foules, il se produisait samedi soir à Périgueux devant une salle archi comble.
Quelques drapeaux occitans mais un public beaucoup plus large que la dernière fois que je les avais vu (en 1976!).
Le récital se termine par « l'immortela », le public est debout, frappe dans les mains reprend le refrain de ce chant devenu un hymne.
« Haout Peyrot
Van camina
Van camina decap a l'immortela
Haout peyrot
Van camina
lo païs vam cercar »
Debout Petit Pierre
nous allons marcher
nous allons marcher vers l'immortelle
Debout Petit Pierre
Nous allons marcher
nous chercherons le pays...
Nadau chante en béarnais (gascon de la montagne ), la connaissance du périgourdin ne permet pas de comprendre.
En réfléchissant à ce qui se joue dans cet engouement, il y a sans doute l'attachement à la langue « régionale » mais peut être aussi une sorte de fierté retrouvée.
On pense au « Bal des célibataires » ouvrage dans lequel Pierre Bourdieu (Bourdi/ou en gascon) a décrit l'effondrement du monde rural en Béarn.
La position d'héritier de l'exploitation agricole si particulière dans les Pyrénées et le piémont dérogeait aux règles du droit en léguant, pour éviter à tout prix le morcellement, « les maisons » à un héritier unique, cette position enviée socialement se met à ne plus rien valoir, tout particulièrement dans le marché matrimonial.
Les héritiers sont de plus en plus nombreux à être célibataires. Bourdieu décrit comment les soirs de bal, les corps même des « héritiers célibataires » traduisent dans leurs postures cette perte de valeur sociale, ce sont des pages magnifiques et touchantes.
Même sans être directement concerné par la situation sociale formellement décrite par Bourdieu ceux qui ont vécu cette période ou les expressions de « paysan » « paysan endimanché » servaient d'invectives se souviendront de combien elles étaient péjoratives.
La disparition des langues « occitanes » comme de bien d'autres langues vernaculaires doit au moins autant aux bouleversements du monde rural qu'à l'offensive gouvernementale. Il est arrivé un moment où une génération (celle de nos parents) ne l'a plus transmise à ces descendants.
Dans un texte de 1983 Robert Escarpit, écrivain, universitaire « billetiste » au journal Le Monde explique sa « conversion » à la défense du gascon, il en parle comme de « cette langue que ma grand-mère me parlait » la langue « maïrana » (maternelle) est devenue notre langue « grand-maternelle ». Le même texte d'Escarpit livre aussi une anecdote: "Je fais partie du comité des programmes de FR3 Aquitainte et l'on a décidé... (qu'il y aurait tous les quinze jours un magazine en langue gasconne) . Malheureusement on s'est aperçu que dans le personnel de la télévision régionale,il ne se trouve des gasconophones qu'au niveau des balayeurs, des chauffeurs et des serveurs de cantine... »
Le thème de la transmission « antégénarationnelle » est présent dans les paroles de Nadau, les paroles de leur chanson « Un dia tap pépé » (un jour avec Pépé) propose, comme l'immortela, un voyage mais ici une fugue rend complice le grand-père et son petit fils pour fuir la ville et retourner au pays. « .Mes un dia dab Pepé Que torneram tà la valea » (un jour avec Pépé nous reviendrons à la vallée)
Dans, l'immortela le pays est sublimé, on peut penser que c'est le grand-père (ça n'est pas dit) qui apostrophe le petit Pierre pour qu'il se lève et marche avec lui vers le pays, mais ce pays n'est plus localisé que comme un au-delà, au delà des montagnes, des ronciers, des obstacles, le pays, dit "l'immortela", c'est la liberté que procurre le fait d'en emprunter le chemin.
Il ne s'agit ni d'un retour dans un lieu précis ni d'un retour au passé,plutôt d'un détour par le passé dont on magnifie la langue comme pour dépasser la « violence symbolique » subie par la génération de paysans mais aussi, balayeurs, chauffeurs, serveurs, ouvrier qui n'a plus osé la transmettre.
Peut être cet honneur retrouvé que ce chant procurre explique son grand succès.
Billet de blog 1 octobre 2012
Nadau, "l'immortela" l'honneur retrouvé des enfants de célibataires
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