Territorialisation et/ou désocialisation de la question sociale?
En présentant son étude sur la "reproduction" - par le système scolaire des inégalités sociales – Pierre Bourdieu expliquait que plus les mécanismes de domination sont apparents – plus les procédés de dissimulation gagnent en sophistication.
Les évènements de Bretagne peuvent conduire à s’interroger, seraient-ils une réaction à la territorialisation des problèmes sociaux comme un de ces procédés de dissimulation de leur contenu social ? Cette piste permettrait peut-être alors d’aborder autrement leur apparente confusion.
Pour en revenir à l’enseignement une politique de « zone », donc de territoire, est censée depuis bientôt quarante ans lutter au travers des « ZEP » contre l’échec scolaire. Avec peu de résultats probants ces politiques –peut être parce qu’elles loupent l’essentiel- auront sans doute réussi à faire des questions de territoires, de secteurs, des enjeux dans les domaines de la politique et de l’analyse sociologique, bien plus en tout cas que dans la démocratisation réelle du système scolaire.
C’est également par du zonage que les politiques des Ministères de la ville –au nom cette fois ci de la cohésion sociale- procèdent afin de circonscrire la grande difficulté sociale et c'est par "les quartiers" que l'on aborde la pauvreté et bien d'autres difficultés qui traversent pourtant toute la société, dans l'ensemble de son territoire et, surtout, dans son organisation même.
On peut noter que l’arrivée de cette notion de « cohésion sociale » dans les politiques publiques est datée. Selon Wikipédia c’est « en 1993 (que) le Commissariat général du Plan publiait un rapport intitulé « Cohésion sociale et prévention de l'exclusion » et en 1997 un autre intitulé « Cohésion sociale et territoires ».[ Cohésion sociale » qui n’est, par définition, ni le contraire de l’injustice sociale, ni même l’équivalent de sa remise en question.
Sont apparues à peu près dans le même temps (1979 à Vaux en Velin et de façon récurrente depuis) des émeutes urbaines mettant en scène des jeunes des « quartiers » mais qui non exemptes elles non plus de « confusion » peinent aussi à trouver un rang, au plan des commentaires tout au moins, de révolte sociale.
Pour en en revenir à la Bretagne si les tentatives de récupération par la droite ou l’extrême droite, les tentatives de détournement vers mouvement anti-impôt sont tout à fait claires, le fond sur lequel ces opérations se greffent semble bien être la colère sociale.
Autant que de ces maneuvres la confusion viendrait alors des discours, ou du manque de discours, pour reconnaitre dans ces révoltes « territoriales » leur part de réponse (ou de tentative de réponse) à l’injustice sociale. J’en reviens donc pour finir à mon commentaire sur le reportage de Stéphane Alliès : dans lequel je disais :
« La colère s'exprime comme elle est et pas comme on aimerait qu'elle soit, la forme qu'elle prend lui vient (sans doute) de la façon de s'exprimer qu'on lui laisse et si elle doit interroger c'est notre système politique. Elle est sans doute vulnérable aux manipulations mais n'y est pas réductible, elle fait peur aux organisations de gauche et c'est peut être là l'autre gros point d'interrogation »