Savez vous que l'école à laquelle vous êtes pourtant un certain nombre à confier où à avoir confié vos enfants en toute ingénuité est un drôle d'établissement sans aucun fondement juridique?
Cet angle mort du système éducatif, les insuffisances de son pilotage, font désormais, avec la question liée du statut du directeur, l'objet de réflexions visant à mettre fin à cette situation atypique et incongrue dans notre époque « managériale ».
C'est à cette situation de directeur responsable sans être hiérarque qui contredit la norme ordinaire de la relation de travail prescripteur-exécutant, à ces questions qui parce qu'elles viennent de loin font souvent dire que l'école croule sous le poids de son passé, que je voudrais essayer de penser à contre courant, en cherchant dans cette histoire ce qui pourrait à l'inverse rester promesse de modernité.
A contre courant car le rapport 1 présenté au Sénat en 2010 qui plaide « la nécessité de repenser la gouvernance de l'école primaire, qui pâtit d'un régime juridique inadéquat, d'un défaut de statut des directeurs et d'une mauvaise articulation avec le collège. » constate que « ses analyses sont largement partagées comme en témoignent les récents rapports de la Cour des comptes, de l'institut Montaigne, du Haut conseil de l'éducation (HCE) et du député Frédéric Reiss à la demande du Premier ministre ». La consultation du site du GDID 2 ( à défaut d'en partager les objectif je dois signaler ici qu'il m'a fournit un précieux fond documentaire pour traiter le sujet.)qui milite pour l'obtention d'un statut parmi les directeurs d'école permet de aussi de mesurer l'écho de cette « revendication » chez les candidats à la présidentielle publiant les réponses de Poutou, Bayrou, Hollande, Dupont-Aignan, Le Pen on peut les lire du seul contre le statut (Poutou donc) dans un ordre allant crescendo jusqu'à la plus favorable(Le Pen). Et ce même site se targue du profond échos rencontré par cette demande parmi les directeurs et les professeurs d'école eux-mêmes.
Le but n'est pas ici d'entrer dans les méandres du débat, pour faire simple et clair on peut utilement se référer au code de l'éducation , les différences entre un personnel avec statut de direction tel que le principal de collège et le directeur d'école apparaissent alors clairement:
Pour le principal de collège, Article L421-3 : « Les établissements publics locaux d'enseignement sont dirigés par un chef d'établissement. Le chef d'établissement est désigné par l'autorité de l'État. Il représente l'État au sein de l'établissement. »
Pour le directeur, Article L411-1 « Un directeur veille à la bonne marche de chaque école maternelle ou élémentaire ; il assure la coordination nécessaire entre les maîtres. » pour ne pas trop alourdir nous ne détaillerons pas mais notons quand même que le « statut Jospin »de 1989 3
Le relie évidemment aux textes en vigueur: Le directeur d'école veille à la bonne marche de l'école et au respect de la réglementation qui lui est applicable.
Articule ses fonctions au pouvoirs conférés au maire: Il procède à l'admission des élèves sur production du certificat d'inscription délivré par le maire.
Et évoque à plusieurs reprise, pour la répartition des élèves entre les classes et les groupes, pour la répartition des moyens d'enseignement qu'il n'agit qu'après avis du conseil des maîtres.
Pour son rôle auprès des familles et de représentation de l'établissement citons la fin du texte de 89: Il prend toute disposition utile pour que l'école assure sa fonction de service public. A cette fin, il organise l'accueil et la surveillance des élèves et le dialogue avec leurs familles. Il représente l'institution auprès de la commune et des autres collectivités territoriales.
Reprenons quelques points:
Le rappel du rôle du Maire
Il renvoie à la vieille appellation « d'école communale » qui pour désuète qu'elle soit depuis qu'en 1833 la loi Guizot a fait obligation à chaque communes de créer une école de garçon, n'en conserve pas moins un aspect actuel dans cette sorte de partenariat Communes-Education nationale autour duquel fonctionne encore l'enseignement primaire (élémentaire maternelle). En ayant le pouvoir d'inscrire le Maire qui dans les fait le délègue souvent au directeur garde la main sur le pouvoir de sectoriser ou non les écoles de sa commune, de concentrer les effectifs sur un établissement où d'en créer de nouveaux, étant entendu qu'il assurera les frais de construction et d'entretien des bâtiments. Ces prérogatives sont assurées par le conseil général pour les collèges mais les écoles primaires ayant échappé au statut d'établissements publics d'enseignement créés par la décentralisation de 1983, la mairie qui a la charge des frais de scolarité en terme de fonctionnement (papeterie, librairie, consommables informatique, matériel sportif,...) et d'équipements (matériel de reproduction, audio visuel, équipement informatique etc...) est gestionnaire de ces budgets. Le directeur ne gère qu'indirectement, les dépenses se font sous forme de bons, signés par le Maire ou un adjoint délégué. Une difficulté pour faire entrer les écoles dans la configuration EPLE(ce qu'envisage pourtant l'article 86 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.) tient à des questions d'échelle, à part pour quelques grosses écoles ou pour quelques regroupements d'école l'EPLE et le statut de personnel de direction ne semblent pas réalistes pour des structures trop petites et donc trop nombreuses: « Je crois qu’il y a une difficulté, c’est vrai à ce jour, il n’y a pas de supérieur hiérarchique parce que la culture du professeur des écoles ne le souhaite pas… Oui, il y a des inspecteurs mais la difficulté actuellement c’est une difficulté financière. Faut pas se cacher les yeux, à partir du moment où il y a 55 000 écoles en France dont ¾ qui ont moins de 4 classes, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on met un directeur d’école dans chaque école ? »Jacques Grosperrin -député UMP. 4
Le dialogue avec les familles
C'est une tâche reconnue et importante du directeur. Il s'agit d'enfants dont l'âge fait que les parents les accompagnent encore physiquement à l'entrée de l'école ou qu'ils ont encore plaisir à le faire chaque fois qu'ils peuvent (ça ne durera pas). Il s'agit d'âges ou le processus éducatif avec la part d'intime que chacun y investit inévitablement entre avec l'enfant dans l'école. Il s'agit d'un temps où le dialogue éducatif entre institution et la famille doit prendre assise sur une forte part de confiance, de discrétion, de respect. On mesure a contrario quand il arrive que par manque de professionnalisme un collègue mette en cause ce pacte implicite combien cela fait réagir en premier les familles plus fragiles socialement qui ne peuvent supporter légitimement que viennent de l'école la moindre ombre sur la quiétude avec laquelle elles y conduisent leur enafnst. Non que soit en cause la capacité de dialogue des principaux ou des proviseurs, il s'agit de souligner comme d'ailleurs le fait bien la législation, l'article D 321 du code de l'éducation stipule « l'école favorise l'ouverture de l'élève sur le monde et assure conjointement avec la famille l'éducation globale de l'enfant » la part et la nature particulière de cette coéducation. Le directeur, ni ses collègues ne sauraient s'y engager comme « représentant de l'état ». La critique de Marx 5: Une « éducation du peuple par l'État est chose absolument condamnable...., c'est au contraire l'État qui a besoin d'être éduqué d'une rude manière par le peuple. » parfois utilisée pour opposer bêtement éducation et instruction ne prendrait-elle pas alors tout son sens?
le rôle enfin du conseil des maîtres,
Il est rappelé à plusieurs reprises dans le décret Jospin constitue la part que l'histoire de la profession ajoute à celle de l'institution. Il renvoie à ce vieux fond d'anti autoritarisme que les instituteurs devenus professeurs d'école portent dans leur patrimoine génétique. Le syndicalisme des instituteurs qui n'est pas rien dans l'histoire du mouvement ouvrier s'est constitué contre l'autorité et l'autoritarisme des directeurs et pour l'égalité. Au commencement étaient les amicales, leurs réunions annuelles et leurs banquets, en leur sein de jeunes instituteurs combatifs créent de nouveaux des groupements prenant pour titre « l'émancipation» qui seront les prémices des futurs syndicats et de la vieille tendance syndicale « école émancipée » pour mener la lutte contre l'autoritarisme et le statut (de fait) particulier des directeurs. Louis Bouet6 rapporte la création de l'émancipation de maine et loire le 17 novembre 1904 dans un café d'Angers, la motion adoptée propose en premier point « que les sobriquets d'adjoints de directeurs et d'adjoints disparaissent; tous les maîtres de l'enseignement primaire étant désignés sous le vocable d'instituteurs » sur les 23 points de cette motion plus de la moitié concernent les relations avec les directeurs, leur rôle, ou celui du conseil des maîtres, tel celui-ci: « Que dans toute école à plusieurs classes le conseil des maîtres soit souverain, quant au règlement de toutes les questions relatives à l'organisation pédagogique, méthode, système disciplinaire, choix des livres etc.. ». Les divisions se sont ensuite estompées, le syndicalisme a prospéré, comment l'aurait-il pu dans un climat d'hostilité ouverte opposant les personnels dans chaque école et jusqu'aux plus petites. Le syndicat dans sa fonction au sein d'une corporation « quasi durkheimienne »9 a disparu et les soubresauts anti-autoritaires que l'on a encore connu en 1987 contre les « maîtres directeurs » avec la plus forte manisfestation nationale d'indtituteurs, ne seraient, selon les partisans du statut, plus de mise aujourd'hui.
Les collègues directeurs se plaignent à juste raison des demandes administratives toujours plus nombreuses et pressantes qui contribuent à rendre leur mission impossible. Un peu comme si dans sa fureur de « pilotage » le ministère de l'éducation nationale avait pour soucis de rendre mathématiquement possible un métier que Freud jugeait dans « un mot plaisant » qu'il soit avec ceux de guérir et gouverner « impossible » mais devrait pour cela rendre impossible une certaine liberté conquise par les enseignants. On peut juger paradoxal de se plaindre de cette sorte de réification étatique en demandant précisément un statut qui peu ou prou irait vers un rôle de « représentant de l'état ».Il est vrai que se plaindre n'est pas revendiquer . On peut aussi faire un lien entre cette liberté et des auteurs comme Castoriadis quand il pense son projet d'autonomie au cœur d'une contradiction qui serait celle d'une organisation sociale qui « demande aux hommes, comme producteurs et comme citoyens de rester passifs, de se cantonner dans l'exécutionde la tâche qu'elle leur impose, lorsqu'elle constate que que cette passivité est son cancer, elle sollicite l'initiative de la participation pour découvrir aussitôt qu'elle ne peut davantage les supporter qu'elles mettent en question l'essence même de l'ordre existant. »7ou à cette conception du travail avancée que Christophe Dejours « le travail, c'est l'activité coordonnée des hommes et des femmes pour faire face à ce qui ne pourrait être obtenu pr l'exécution stricte des prescriptions »
Loin de moi l'idée de conclure au fait que la vie de nos écoles serait idéale et qu'il faille s'en tenir au strict statu quo mais peut être que dans le sentiment égalitariste que mettrait définitivement en cause le statut de directeur il reste encore de précieuses dispositions pour construire une école plus humaniste et plus soucieuse de combattre les inégalités. La formule d'un des fondateurs de l'émancipation cité par L Bouet « Nous avons la prétention de former des générations de français épris de justice. Que ne commençons nous par réaliser, dans la mesure du possible, la justice chez nous? » peut en effet se lire dans les deux sens.
1 Avis n° 114 (2010-2011) fait au nom de la commission de la culture, déposé le 18 novembre 2010
2 Groupement de Défense des Idées des Directeurs
3 Décret n°89-122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d'école
4 verbatim du débat diffusé par le site « aufeminin.com » en juillet 2011, réunissant autour de Karim Amellal, Daniel Laurent professeur des Universités et conseiller spécial de l’Institut Montaigne, Jacques Grosperrin député UMP membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Bruno Julliard Secrétaire national du PS en charge de l’éducation et Marie-Caroline Missir rédacteur en chef « Éducation » à l’AEF.
5 Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier allemand 1875. source internet.
6 Louis Bouet 1880 1969, fondateur de l'émancipation de l'instituteur en 1904 à Angers puis promoteur de sa transformationde en syndicat, a exercé différentes responsabilités au sein de la FSI puis de la fédération unitaire de l'enseignement et a connu la répression sous ses formes les plus brutales du déplacement à la révocation et à l'internement durant la deuxème guerre il fut animateur de la revue lécole émancipée. A publié « Trente ans de combat syndicaliste et pacifiste »
7 L'institution imaginaire de la société -seuil- p 141
8 Souffrance en France -seuil- p85
9-Profession instituteurs- Bertrand Geay- seuil