jean michel lahieyte

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Billet de blog 15 avril 2012

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Souvenirs ovales

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je me souviens du ballon rond confisqué à deux ou trois gamins pénétrés par effraction dans l’enceinte du stade et expédié d’un puissant coup de pied par delà la haie par G Dubois le responsable de l’école de rugby. L’œcuménisme n’était pas en vogue. La méthode globale non plus. On nous remettait des diplômes de jeunes rugbymen après trois épreuves : dribbling, slalom balle en main, coup de pied posé, il fallait faire des gammes…C’est Jeannot qui nous amenait, son fils et moi, le jeudi après-midi . Lui jouait pilier en première. Une fois, on étaient allé le voir jouer, il montait à fond sur les coups d’envoi, je lisais le Miroir des sports et le Miroir du rugby, les modernes parlaient de « piliers coureurs », j’avais eu une discussion à ce sujet avec un oncle qui connaissait du rugby les commentaires des bars du Petit Bayonne et qui n’accordait aucun crédit à la formule…Mais c’est sûrement de savoir les regards des siens qui lui avait donné des ailes plus que l’amorce d’une évolution vers le rugby total que pratiquent les athlètes d‘aujourd’hui. Je me rappelle du retour très animé dans le bus des joueurs où il m’avait invité toujours avec son fils, ils nous y avaient appris « dansam tots tap la torte de menaü, ère de pétèbe, que bechibe, que pudibe, etc… » un refrain salace de gascons encore locuteurs naturels et d’avant la vogue des « chants basques » qui n’en assurait pas moins l’ambiance. J’étais allé voir mon premier match à plusieurs kilomètres, en vélo, accompagné par ma mémée, sans qui j’étais trop jeune pour qu’on me laisse partir le long de la nationale, je n’y connaissais rien, je me souviens d’un drop passé entre les poteaux mais très haut au dessus dont je croyais qu’il ne comptait pas. Mais l’initiation venait surtout de l’école. Pour les finales du championnat la mercière (épicière, quincaillère etc..) qui avait un grand sens du commerce, chez qui donc on trouvait de tout , vendait des kilomètres de ruban aux couleurs des finaalistes. Deux camps de supporter se formaient pour l’occasion en décorant les vélos aux couleurs de leur favori. Peut-être est-ce lors de l’affrontement inédit entre la préfecture et sous-préfecture, Dax Mont de Marsan, qu’avait été lancé la mode. J'ai choisi le rouge et blanc , et par la suite le noir et blanc de Brive, le bleu et blanc de Bègles, jamais le bleu et blanc d’Agen ni le rouge et bleu de Béziers. Ce doit être  Béziers Pau en finale que j’ai vu pour la première fois à la télé, invité chez un voisin déjà équipé,  j’avais été déçu de la victoire des lointains audois…Comme je l'ai encore été par les régionaux dacquois recordmans des finales perdues. Celle de 66 contre Agen à laquelle un oncle nous avait conduit jusqu'à Toulouse après que ma tante soit allée plaider notre cause auprès du curé qui nous assujettissait à l'obligation de fréquenter l'office (surtout l'année de la communion) lui promettant qu'on s'arrêterait prier en route. Celle de 73 que j'ai suivi beaucoup plus tard devant ma télé, où un copain de lycée officiait au centre après que son portrait de beau gosse ait décoré tous les commerces de la ville et où les dacquois étaient passé complètement à côté. Mais l’école s’était aussi équipée de la télé , comme nous avions classe le samedi après-midi, c‘est grâce à elle que j’ai découvert le tournoi, les exploits de Bala, des Boni, de Gachassin ou de Crauste. .La cour de récréation devint aussi le lieu ou nous cherchions à les reproduire, nous jouions avec un béret vrillé en huit dont on rentrait une moitié dans l’autre et qui devenait l’objet d’assez rudes empoignades au cours desquelles nos genoux se couronnaient de rouge et dans lesquelles j’en ai vu perdre quelques dents. Je me vois mal aujourd'hui rendre les enfants à leurs parents dans l'état où nous sortions. Dans le sens exact de la thèse soutenue par J P Bodis qui dans son histoire mondiale du rugby lie influence laïque et rugby, cléricale et football, je confirme que ce n’est qu’après le catéchisme sur l’aire du fronton voisin de l’église que nous jouions au football, jamais à l’école où les instituteurs proscrivaient l'usage d'un véritable ballon.

Toute cette fièvre ovale dans le village était signe qu'il suffirait d'une initiative pour que s'y réactive un club, Jeannot fit partie de ceux qui firent le nécessaire et il rechaussa les crampons pour accompagner nos premiers pas.

Après quelques entraînements sous la canicule des mois d’été vint un match d’ouverture sur le terrain annexe d’Orthez il faisait encore très chaud. Jeannot devenu nettement moins mobile criait: les premiers en touche! mais en ahanant à vingt mètres de l’alignement de nos adversaires déjà en place. De ses entrées en mélée par contre il n'avait pas tout perdu, j'entends encore  le bruit qui les accompagnait comme d'un souffle d'air que l'on étouffe . L'équipe que nous formions était, les mêmes que ceux que l'on voyait sur les photos d'école primaire dix ans ans plus tôt . Tout le monde y était grands, gros, maigres et moi sans doute le plus petit, il avait aussi un jeune présentant de forts trait d' handicap, comme on ne disait pas à l 'époque mais dont nous n'avions jamais douté qu'il ait sa place. Je jouais 9 mais je perdais souvent la mienne. Mon concurrent était à mon opposé, un très beau gabarit qui avait une assez bonne expérience derrière la mêlé où il jouait neuvième avant, plus puissant qu'il était que la plupart des huit autres. Je retrouvais le numéro 9 quand il montait en troisième ligne. La volupté de quelques mètres, comme absorbé par un vide dont on croit une fraction de seconde qu’il va s’ouvrir éternellement pouvait facilement m'égarer et le résultat de mes « valises » pas toujours à la hauteur faisaient que j'étais reconduit ou que je subissait les engueulades de Jeannot et de nouveaux dimanches de purgatoire passés à combler tous les postes des lignes arrières. J’étais interne au lycée et je ne m’entraînais pas sauf aux vacances. A celles de Toussaint, c’est André Boniface en personne qui vint superviser l’entraînement et encourager nos débuts  (nous avions déjà eu droit en début de saison à l’arbitre international Domecq au tableau noir). Je me souviens qu’il avait oublié ses chaussures et qu’il officia en chaussettes, j’ai lu depuis qu’il avait déjà à ses tout débuts joué ainsi déchaussé un match et je l’ai vu il n’y a pas longtemps à la télé sortir la dernière paire de crampons portée par son frère avant sa tragique disparition…. En jouant avec mes copains du village j’ai eu la chance de connaître cette émotion qu’il y a à jouer à côté de quelqu’un que l’on aime. D'un copain comme on en a à cet âge ou l’on ne doute pas que ce soit pour toujours et avec qui on peut se livrer à des « à toi !à moi !» dans le petit côté le long de la touche, partout sur le terrain : le plus beau match de votre vie et peut être même que nous n’avions pas été trop mauvais cette fois là.

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