Mardi dernier, 11 mars André Cubertafon était inhumé à Payzac en Dordogne après la cérémonie qui a eu lieu dans l'église du village.
70 ans plus tôt et à quelques kilomètres de là il avait été laissé pour mort avec 34 de ses camarades. Le massacre dit de" Pont Lasveyras"a eu lieu dans un moulin sur l'Auvèzère, la rivière qui marque la limite de la Dordogne et de la Corrèze. Situé rive gauche en territoire corrézien il servait de refuge à une cinquantaine de jeunes pour la plupart réfractaires au STO. Au matin du 16 février 1944 deux divisions de l'armée allemande venues de Limoges encerclent le moulin et engagent un tir nourri auquel, très faiblement armés, les jeunes maquisards ne peuvent résister longtemps. Ils se rendent, 34 sont exécutés sur place, 12 déportés parmi lesquels cinq mourront en camp. deux ont réussi à s'échapper en se jetant dans la rivière.
Seul parmi les 35 corps André Cubertafon agonise mais a pu réchapper à la tuerie et à la balle du coup de grâce entrée dans sa nuque et ressortie par la machoîre. Il a été secourru par les premiers témoins à venir le soir sur les lieux et par le médecin de Payzac le docteur Lacôte. Conduit à la cité médicale de Clairvive dans la commune voisinne il y fut opéré dans la nuit par le professeur Fontaine venu de Starsbourg puis hébergé et caché par plusieurs familles des environs.
Lors de la dernière commémoration qui s'est déroulée sous une pluie battante le dimanche 16 février, vivant dans la région parisienne et ne pouvant se déplacer il avait fait parvenir une lettre qu'avait lu le maire de Beyssenas, Monsieur Comby, au cour de son allocution. Dans l'assistance, une personne aujourd'hui âgée, habitante de Payzac commentait, à voix basse, en qualifiant son attitude de distante et en lui reprochant d'avoir manqué de reconnaissance envers ses sauveteurs de l'époque. Dans l'église la descendante d'une des familles qui l'avait hébergé en 44 prononça elle, un bref message d'affection et d'adieu.
Ce drame a été étudié par un historien local qui y a consacré deux livres et qui publie dans le deuxième la lettre de la représentatnte d'une famille qui au moment où il est décoré de la légion d'honneur appelle André à se rappeller un peu plus pour manifester sa reconnaissance. L'histoire "locale" comme souvent quand il s'agit de résistance utilise les points non élucidés par manque de sources, ici: qui a dénoncé le repaire des maquisards? et qu'est-ce qui a servi de déclancheur à l'opération allemenande? et qui pourront peut être ne jamais l'être, sous le registre des "secrets".
On passe ainsi de points que l'histoire n'a pu éclaircir à des vérités que l'on cache (et où tout ce qui "est bon à dire" peut passer pour vérité...)
L'un des premiers ouvrage consacré à Pont Lasveyras dérive ainsi de secrets révélés en secrets révélés sur les affrontements AS- FTP traités sous le mode de "révélations" où, sur la base de témoignages et sans la moindre vérification ni distance critique, on dénonce, hors de propos, les exactions de "fines gachettes FTP"...
A juste titre dans son allocution du 16 février dernier le maire Francis Comby disait: "Nous ne sommes pas ici pour privilégier l'une ou l'autre des thèses sur le drame".
L'histoire locale joue souvent sur une autre confusion, la mémoire provoquée par de tels chocs a, et garde, un aspect "traumatique". Chacun, confronté de prêt où de loin à un tel drame exhorbitant par rapport à l'ordre des choses y compris des joies et des peines ordinaires, tente de l'expliquer ou, au moins, d'en prendre la mesure en acquérant ou en pensant détenir une part de sa vérité.
C'est ainsi que lors de la cérémonie dernière les vieilles habitantes de Payzac qui se tenaient derrière moi polémiquait encore sur de micros détails factuels et que, les dits historiens locaux, peuvent spéculer sans fin, et faire se confronter des récits contradictoires, pour savoir s'il neigeait ou pas le 16 février 44 etc...
Ces controverses si elles ne sont abordées globalement comme autant produit que narration de l'évènement peuvent donc nourrir des spéculations de peu d'intérêt par rapport au fait lui même massif et attesté et y compris dans les vrais questions qu'il pose.
Ainsi le drame de pont Lasveyras pourrait-il trouver place pour mieux comprendre la polémique entre l'AS et les FTP sur la lutte armée. On peut penser à la différence de Stéphane Courtois que l'histoire des FTP (et du PCF) ne se lit pas entièrement dans les textes de Staline (et/ou de Duclos). Comment accueillir des dizaines de jeunes affluant dans les bois? comment les aguerrir au combat sachant que l'on pouvait brusquement passer d'un environnement en apparence sécure à une situation de guerre (l'armée allemande ne pratiquant pas, elle, l'attentisme) sont des questions réelles auxquelles ni l'AS ni les FTP n'ont échappé et auxquelles chacun a essayé d'apporter une réponse.
André Cubertafon a failli être un martyr celà n'en fait pas forcément un héros, il mérite évidemment le respect qui lui a été témoigné mardi dernier par les habitants de son village d'origine, son histoire et l'histoire méritent de rester des moyens de s'interroger sur ce qui a été et sur ce qui est encore aujourd'hui.
C'est dans ces objectifs, hommage et réflexion, bien larges pour lui que j'inscrit pourtant ce modeste texte.