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Billet de blog 20 mai 2012

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Réflexion critique sur la "désobéissance"

J'ai posté un commentaire assez laconique sur le fil de discussion qui a suivi la publication d'un texte d'A Revalo qui est une figure emblématique des désobéissants dans l'enseignement primaire, en reprenant sur le « servilement »avec lequel il caractérise les autres.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'ai posté un commentaire assez laconique sur le fil de discussion qui a suivi la publication d'un texte d'A Revalo qui est une figure emblématique des désobéissants dans l'enseignement primaire, en reprenant sur le « servilement »avec lequel il caractérise les autres.

J'avais écrit: "Ceux qui "servilement" faisaient passer des évaluations... participent pourtant dans leur immense majorité de la "résistance" de la profession, qui ne se  réduit pas à votre mouvement"

Je pense devoir développer un peu.

Je partage l'essentiel de sa critique de la politique suivie depuis 2008 (qui s'inscrit selon moi dans une continuité bien antérieure), je note comme lui l'offensive « sarkozyste » de gestion par les résultats chiffrés (les chiffres pour tenir à distance la réalité et non pour agir dessus) mais je perçois le mouvement des désobéissants, apparu depuis 2008 comme une réponse au «  management par le stress », par la l'individualisation de la contestation, le fameux « choix éthique personnel », autrement dit la méthode « sarkosyste » à front renversé, qui nous éloigne un peu plus encore des réponses collectives nécessaires.

Je n'ai jamais approuvé l'organisation de la semaine de classe en 24h , le marque page de ma brochure sur les nouveaux programmes et nouveaux horaires est resté pendant ces quatre ans l'article d'Antoine Prost dénonçant à cette occasion dans « le Monde » un Munich pédagogique. Le mouvement désobéissant est hélas impuissant à rendre aux élèves les 2 heures d'enseignement par semaine supprimées par Darcos et je ne vois pas l'intérêt à enlever, autant critique puisse-t-on l'être sur les modalités, les deux heures d'aide personnalisées.

Les désobéissants invoquent leur conscience éthique, il faut discuter, d'autres que moi l'ont déjà fait bien plus savamment(A Comte Sponville) : c'est en tout cas un premier désaccord. La « politique » au sens large, n'est pas fondée sur les principes « éthiques ». La politique est un affrontement d'intérêts et de positions duquel la démocratie doit faire ressortir « un intérêt général » qui ne sera pas neutre, je souhaite que ceux qui s'y livrent le fasse avec le plus possible « d'éthique », ce serait déjà beaucoup si le nouveau gouvernement avançait là dessus. Pour autant dans les joutes démocratiques auxquels ces affrontements conduisent nul ne peut se prévaloir du monopole de l'éthique. Des collègues en parfaite honnêteté, en vérité avec eux mêmes, n'ont pas boycotté du tout, pas boycotté entièrement, ou pas boycotté toutes les mesures que vous mettez en cause; d'autres l'ont fait qui méritent d'être repris sur leur cohérence, sans même le signaler à l'administration, c'est du vécu.

Les questions d'éthiques peuvent se rencontrer dans tous les camps.

Les désobéissants correspondent bien à cette évolution vers « des collectifs de dé-collectivisés » décrit par R Castel.

Nous sommes amenés pour des raisons qui n'ont rien à voir (lectures, visites aux archives départementales, correspondance avec d'anciens responsables) mon épouse et moi à nous intéresser à la résistance : un ouvrage récemment paru aux éditions Sud-ouest dresse le portrait de 1500 résistants périgourdins et porte gravement atteinte à la mémoire de mon défunt beau père, et de nombre de ses camarades.

Revenons à nos moutons, je lis dans une vieille revue (« Esprit » de janvier 1994) de nombreux articles qui m'aident dans ce travail. Notamment une contribution de Jacques Sémelin auteur de « Sans armes face à Hitler, la résistance civile en Europe » sous forme de réflexion sur qu'est-ce que résister? Je résume, il décrit le passage des actes de désobéissances civile à la résistance comme le passage de l'individuel au collectif, les groupes armés clandestin ne pouvant exister qu'avec une large complicité. Pour le sujet qui nous occupe l'évolution me paraît hélas fonctionner en sens inverse. Les références à l'occupation ne manquent pas pour dénoncer tel où tel aspect de la politique du gouvernement, elles ne sont pas toutes dépourvues de sens si l'on pense à la traque des sans papiers, mais cette critique par le pire menée au nom de ce qui risque d'advenir manque souvent ce qui est réellement. Prétendre que le « management par le stress » s'appuie sur la « servilité » des enseignants c'est ignorer leur résistance collective, et c'est ignorer aussi ce qui fait défaut du fait de la décomposition de la parole collective sur lequel naissent les désobéissants et qu'ils nourrissent en retour.

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