jean michel lahieyte

Abonné·e de Mediapart

51 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 mars 2012

jean michel lahieyte

Abonné·e de Mediapart

Ne pas faire se taire les enfants devant les évènements.

jean michel lahieyte

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le terme de « sidération » utilisé dans le billet « peur totale » publié sur Médiapart est le mot qui me venait à l'esprit hier en tirant le bilan des séquences de parole organisées dans les classes de mon école en hommage aux victimes.

Selon l'historien Pierre Nora l'évènement traduirait à la fois « l'irruption des masses sur la scène et la profonde frustration des foules qui se jettent sur un faux savoir pour compenser leur manque de pouvoir ». Ainsi après que les historiens de l'école des annales aient voulu  constituer l'histoire « en savoir de la société sur elle même » en la désolidarisant d'un roman national qui faisait une large place aux évènements, celui-ci est revenu, comme un dévoiement de cette aspiration, par la fenêtre.

La question qui est revenue très souvent dans la bouche des enfants, était celle de savoir pourquoi, comment expliquer le comportement insensé du tueur.

Cette volonté de comprendre se heurte au cadre même dans lequel elle s'exerce.

Les enfants cherchaient très souvent à apporter des réponses dont, pour certains, ils mesuraient eux mêmes combien elles étaient dérisoires: « il devait être bourré ». Un élève lui a ramené l'évènement aux dimensions de sa propre histoire: « il a peut être été abandonné par son père.... ».

Cette dernière tentative d'explication qui semblerait finalement correspondre à l'histoire de vie de l'assassin est éclairante. Il y a derrière la peur de cet enfant pour son propre avenir des réponses adaptées que nous avons à mettre en place dans le cadre professionnel. Mais il y aussi le sens que prend l'évènement. Initialement constitué comme une place nouvelle pour l'histoire contemporaine, en lien avec une volonté de comprendre de plus en plus massive: l'irruption des masses dont parle Pierre Nora, il « noue en gerbe des significations éparses » dans une configuration et une quantité telle qu'il devient, dans l'urgence, l'émotion, le malheur où il se présente, vidé de sens.

Il en reste à son aspect inéluctable dont ce jeune exprime en craignant pour lui même qu'il ne trace inexorablement son propre destin.

C'est faux, comme on le dit pour d'autres victimes, parmi ceux qui passent à l'acte le pourcentage de jeunes abandonnés est peut être significatif, mais parmi les jeunes abandonnés le pourcentage de ceux qui passent à l'acte est certainement beaucoup plus faible. Son avenir appartient à ce jeune. Ce sont ces éléments, les confusions et les décomptes morbides, le désarroi, où les journaux télévisés plonge les élèves qui nous a conforté dans notre choix d'enseignants de leur avoir donné la parole plutôt que de leur demander, au risque d'en rajouter, une minute de silence. Car si cette sidération touche aussi bien les adultes que nous sommes ce n'est pas le rôle de l'école de la relayer auprès des enfants. C'est au contraire son rôle de leur permettre de construire leur propre histoire, d'en prendre de plus en plus conscience et surtout d'apprendre, qu'au delà de leur trajectoire propre, les évènements font partie de l'histoire mais, ils ont beau avoir envahi les « actualités », ils ne la font pas à notre (leur) place.

Les passages en italique sont des citations de P Nora Présent, nation, histoire éditions Gallimard

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.