« Faites haïr la haine » Dans le discours prononcé le 8 août par Anatole France devant les instituteurs congressistes.
Ce congrès syndical s'est tenu à Tours les 7, 8, 9 et 10 août 1919 dans l'hôtel de ville. Il est moins célèbre que celui qui se tiendra un an plus tard mais plus glorieux, Tours décidemment ville de congrès, que celui qu'y a tenu récemment le Front National...
Ce congrès marque un jalon sur le difficile chemin de la constitution d'un syndicalisme puissant et revendicatif chez les instituteurs, la configuration que prendra ce syndicalisme se joue aussi dans ces lointains prémisses.
Il est le congrès de la Fédération nationale des syndicats des instituteurs et institutrices adhérents au bourses du travail constituée en 19052.. Pour mes sources numérotées 1-2-3-4 voir à la fin.
La Fédération des syndicats regroupe environ 5 000 adhérents, elle est illégale. Il existe également la Fédération des amicales forte de 90 000 adhérents qui se réunira en congrès en septembre à Paris qui a une existence associative légale.
Lors du congrès la majorité très hostile aux amicales affrontera un courant qui bien qu'attaché au syndicat pratique la double appartenance dans le but de faire évoluer les amicales.
Deux personnages centraux de cet affrontement sont Louis Bouët et Emile Glay.
Louis Bouët instituteur dans le Maine et Loire est fondateur dès 1904 du regroupement « L'émancipation » transformé depuis en syndicat sur la base de la rupture avec « l'amicale ». Emile Glay instituteur à Paris, est lui aussi un partisan de la première heure du syndicalisme mais il est aussi, à un poste de responsabilité national, membre des amicales.
"il (le congrès)devait mettre aux prises d'une part les militants révolutionnaires qui avaient entretenu envers et contre tous, depuis 1914, l'esprit lutte de classe et d'internationalisme prolétarien de l'ancienne CGT . D'autre part les chefs amicalo-syndicalistes et leurs partisans, qui rêvaient de diriger, au sein d'une CGT assagie, la fédération syndicale unique des instituteurs, animée de l'esprit collaborationniste des anciennes amicales .2"
Dans un texte publié sur ce blog, j'ai rappelé l'importance de la question de la direction d'école dans la naissance du syndicalisme , revenons y brièvement: « Louis Bouet rapporte la création de l'émancipation de Maine et Loire le 17 novembre 1904 dans un café d'Angers, la motion adoptée propose en premier point « que les sobriquets d'adjoints de directeurs et d'adjoints disparaissent; tous les maîtres de l'enseignement primaire étant désignés sous le vocable d'instituteurs »
Sur les 23 points de cette motion plus de la moitié concernent les relations avec les directeurs, leur rôle, ou celui du conseil des maîtres, tel celui-ci:
« Que dans toute école à plusieurs classes le conseil des maîtres soit souverain, quant au règlement de toutes les questions relatives à l'organisation pédagogique, méthode, système disciplinaire, choix des livres etc.. ».
Le congrès fait l'objet d'un communiqué dans la presse locale, minimaliste et pour cause, elle n'y a pas accès:
Dépêche du Centre ouest » du vendredi 8 août 1919:
« Tours-congrès syndicaliste des institutrices et instituteurs. Le congrès de la fédération nationale des instituteurs et institutrices s'est ouvert ce matin dans la salle du conseil de révision à l'hôtel de ville, au milieu d'une nombreuse affluence. La séance du matin a été consacrée à l'examen des pouvoirs des délégués et des questions financières. La presse n'ayant pas été admise aux séances, nous ne pourrons que publier les communiqués que voudra bien nous faire parvenir le congrès. »
Cette mesure a été demandée par un congressiste (Thomas délégué de l'Indre) « qui se souvient de Chambéry 4» voir l'affaire du « sou du soldat » évoquée par Claude Lelièvre dans un billet de Médiapart.
Il est très attendu par les militants car "il constituait la première assise réunissant des militants syndiqués après cinq années de silence3" , la guerre avec ses traumatismes, les profonds désaccords qu'elle a suscité pèsera par bien des aspects sur cette réunion.
C'est ainsi que lors de la première séance les trois militantes qui assistent le président de séance sont des institutrices révoquées pour propagande pacifiste.
« Le congrès adresse l'expression de sa vive symphatie et de sa solidarité à François Mayoux, encore en prison, ainsi qu'à tous les camarades frappés pour délir d'opinion 3»
Marie Mayou son épouse libérée le premier avril et toujours révoquée et est parmi les trois qui assistent le président lors de la séance d'ouverture.
Sur le couple d'instituteurs Charentais Marie et François Mayoux on apprend dans une longue note de bas de page de l'ouvrage de Ferré, (source n°2)page 181 qu'ils ont été « déplacés » une première fois dès 1911 pour avoir organisé une promenade scolaire...
Notons tout d'abord une sorte de motion préalable présenté par le département du Finistère
« Le congrès regrette que le Syndicat de la Seine ait semé la confusion en admettant au conseil fédéral les camarades Glay et Roussel dirigeants de la fédération des amicales 4» « Brouhaha, suspension de séance. A la reprise, Lapierre, au nom de la délégation parisienne, déclare que si l'ordre du jour du Finistère était adopté nos camarades de la Seine quitteraient le congrès. La motion est alors repoussée par 64 mandats contre 59 et 39 abstentions.4 »
Si le congrès peut donc commencer avec tous les délégués présents le ton est donné.
Parmi les problèmes abordés ressortent particulièrement les questions suivantes
-Les relation syndicat/amicales. « sur la question des amicales la lutte est très vive,....on ne conteste plus la nécessité de quitter les amicales » la date fait débat avant ou après le congrès de septembre, la date du 15 octobre est adoptée par « 108 mandats contre 54 4».
Glay pourra dons participer au congrès de septembre, il s'enge à les quitter ensuite. Les 23 et 24 septembre 1919 le congrès de la fédération des amicales votera leur transformation en syndicat: « le vote eut lieu en deux temps. La transformation des amicales en syndicats, suivant la loi de 1884 fut votée par deux cent quarante voix contre 2 et quatre abstentions. L'affiliation à la CGT. Fut obtenue avec beaucoup plus de difficulté....le principe de l'affiliation fut acquis par cent soixante-dix voix contre quarante-trois et quarante abstentions2 » . En fait cette adhésion dont ça n'est ici que le principe qui est adopté, se heurte aussi bien au peu d'enthousiasme des uns qu'au sectarisme des autres qui se considérant comme syndicat des instituteurs déjà constitué au sein de la CGT refusent toute fusion avec les nouveaux organismes. Elle ne se concrétisera vraiment qu'après 1922 avec la scission CGT/ CGT.U.
-La réorganisation de l'enseignement. Extrait de la résolution « La fédération Nationale des S.I.I constate la faillite de le classe bougeoise en matière d'enseignement. Elle déclare périmé le système d'organisation d'enseignement primaire basé sur les lois de 1882 et 1886, système qui n'a su que substituer au dogme de l'église le dogme de l'état... Elle revendique dès maintenant le droit absolu des élèves de l'enseignement primaire d'accéder aux degrès les plus élévés de la culture si leurs aptitudes sont suffisantes...3 » cette résolution insiste sur une forme de cogestion de l'enseignement à instaurer au sein de la CGT avec la classe ouvrière organisée « institution dans chaque école, d'un conseil de direction formé de l'ensemble des maîtres et des délégués ouvriers et paysans 3»
-L'adhésion à la troisième internationale. Renvoyée devant les groupements départementaux elle sera finalement refusée.Lors du congrès Thomas « ne veut pas que la Fédération rallie la 3è internationale parce que les syndiqués libertaires ne peuvent admettre la dictature 4»
-Les traitements. « Le congrès renouvelle son adhésion au principe du traitement unique...Affirme de nouveau nécessaire de voir disparaître les indemnités qui divisent le personnel (résidence, direction, primes diverses)...4» elle reste pour Louis Bouët un élèment de clivage en se méfiant du syndicat de la Seine « trop enclin ..., à vouloir conserver les indemnités injustes (résidence, direction) »1 .
L'intervention d'Anatole France sera un moment fort de cette réunion, les uns et les autres avaient "le désir d'entendre Anatole France qui a promis d'assister à la séance consacrée à la réforme de l'enseignement » 1.
Le 8 août dans l'après-midi pendant le rapport sur la réforme de l'enseignement présenté par Zoretti qu'Anatole France est introduit dans la salle et prononce son discours dont voici de brefs extraits:
« C'est un vieil ami qui vient à vous. Il se tenait à vos côtés près du grand Jaurès, en 1906, qund vous commenciez la lutte pour le droit syndical, ce droit acquis il vous appartient d'en régler l'usage et c'est pourquoi vos syndicats sont réunis. Ce congrès a un autre objet encore d'une importance capitale : la réorganisation de l'enseignement primaire; ne comptez que sur vous mêmes pour l'opérer, la prudence vous le conseille; c'est avec une véritable joie que j'ai connu hier par un journal, la pensée de notre ami Glay sur ce sujet la guerre a -t-il dit, a montré suffisamment que l'éducation populaire de deamin doit être toute différente de celle d'autrefois....L'instituteur devra faire aimer à l'enfant la paix et ses travaux. Il lui apprendra à détester la guerre. Il bannira de l'enseignement tout ce qui exite à la haine de l'étranger, même à la haine de l'ennemi d'hier, non qu'il faille être indulgent au crime et absoudre tous les coupables, mais parce qu'un peuple quel qu'il soit, est composé de plus de victimes que de criminel, parce qu'on ne doit pas poursuivre le châtiment des méchants sur les générations innocentes, et parce qu'enfin tous les peuples ont baaucoup à se faire pardonner les uns aux autres...Mes amis faites haïr la haine c'est le plus nécessaire de votre tâche... »
A l'issu de ce congrès l'adhésion de Zoretti professeur des universités sera validée et la fédération s'ouvrira donc prenant le nom de Fédération des membres de l'Enseignement Laïc ( FMEL). La FMEL s'engagera dans la constition de la fédération unitaire de l'enseignement au sein de la CGT se séparant des amicalo-syndicalistes qui comme il a déjà été dit iront à la CGT.
On peut cependant penser que ces deux courants ont apporté à la configuration du syndicalisme des instituteurs dans la forme prise par le SNI de 1947 à 1992. Au sein de la CGT.U la Fédération de l'enseignement a résisté au Stalinisme, la troisième internationale que Bouët voulait rejoindre en 1919 pour y créer une internationale des syndicats enseignants n'était pas (encore) celle de Staline.
Les syndicalistes révolutionnaires et les réformistes, « possibilistes » disait Glay, ont fini en refusant de choisir en 1947 entre la CGT et FO par créer un cadre original dans lequel les révolutionnaires, certes minoritaires au plan national pouvaient cependant diriger un département, dans lequel ils n'étaient pas victimes des exclusives absolues que partout ailleurs le stalinisme avait instaurées contre eux.
J'envisageais en rappelant les positions originelles sur la question de la direction d'école comment elles pouvaient encore vivre dans les relations entre enseignants des écoles argumentant ainsi dans le débat actuel sur le fait que « le statut » de directeur d'école risquerait d'y mette une fin définitive. Par je ne sais quelle capillarité il me plait d'imaginer que dans leur refus intransigeant de l'autoritarisme, dans leur attachement à ce que le directeur/ directrice soit un pair, dans un certain refus de parvenir, un soucis de l'égalité ces vieilles histoires aient gardé une part de vivant. Peut être est-ce ce que Bertrand Geay à la toute fin de son beau livre « Profession: instituteurs » Seuil Liber 1999 a également perçu en parlant du maintien de la vieille ambivalence enrte ordre et subversion « attachée depuis ses origines au titre d'instituteur ».
Je ne suis pas historien je ne m'appuie sur aucun document direct (à part la « Dépêche du Centre Ouest » du vendredi 8 août) mes sources sont toutes des compte rendus:
-Le livre de Louis Bouët « Trente ans de combat syndicaliste et pacifiste » , l'Amitié par le livre éditeur. Pages 260 et suivantes. Source 1
- L ' « Histoire du mouvement syndicaliste révolutionnaire chez les instituteurs » par Max Ferré, éditions SUDEL 1955. source 2
-Un article intitulé « Le syndicalisme universitaire en france, en Seine et Oise -suite » signé A. Quelavoine (délégué au congrès) publié par le Bulletin syndical-organe de la section de seine et Oise du SNI-numéro 1 septembre 1955. (trois numéro trouvés par hasard dans une brocante) Source 3
-Une liasse photocopiée des pages 16 à 22 rendant compte de ce congrès, d'un ouvrage qui pourrait être « l'histoire de la fédération » de Bernard-Bouët-Dommanget-Serret. Ce document m'a été remis en l'état par un pionner du syndicalisme, né en 1910 à Bayonne il était trop jeune cependant pour avoir participé à ce congrès. (son premier souvenir « militant » était d'avoir écouté Jaurès perché sur les épaules de son père... Source4
J'avais effectué en 1999 un travail de compilation qui avait fait l'objet d'une publication sous forme de numéro spécial du bulletin syndical départemental du Snudi Force Ouvrière.