Le « vivre ensemble » dans l'école (et ailleurs), dans les écoles quelles soient laïques ou pas, fait l'objet de règlements intérieurs.
Ces règlements intérieurs ne peuvent évidemment pas contrevenir aux lois générales du pays: un règlement intérieur d'une école publique dans lequel figurerait la demande d'une contribution financière aux parents serait illégal en vertu des lois sur la gratuité.
Ces règlements intérieurs des écoles publiques par contre ont été depuis la circulaire Jospin du 12 décembre 1989 encouragés à faire référence à la laïcité opposée au port du voile dans les établissements.
La laïcité, principe constitutionnel et législatif, figure depuis dans les règlement départementaux types proposés aux écoles et dans les règlements des écoles elles mêmes.
La loi « Chirac » du 15 mars 2003 qui comme chacun sait est revenue sur le sujet, stipule:
« Art. L. 141-5-1. - Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève. »
La simple lecture de cet article montre bien sa la filiation avec la circulaire de 89. Il faut noter que cette curieuse loi sur un sujet (la tenue des jeunes filles musulmanes) dont en écoutant certains, on penserait qu'il engage l'avenir de notre civilisation, n'a pas même la prétention de s'appliquer à tout le territoire puisqu'elle ne concerne que les établissements publics. Paradoxalement cette « loi » , qui ressemble en fait à un super règlement type a poursuivi le glissement de la référence laïque vers le règlementaire.
Une république n'est pas une communauté, la laïcité comme la démocratie qui figurent à l'article premier de la constitution « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » permettent à des individus d'être citoyens sans avoir besoin pour ça d'entrer en commerce direct, beaucoup n'auraient d'ailleurs aucune envie de vivre ensemble.
Le danger est double avec cet alourdissement de simples règlements érigés en garant de valeurs fondamentales on risque d'une part de les galvauder et en se focalisant de plus en plus sur la tenue des élèves, sur leur nourriture, sur la façon dont s'habillent leurs mères, on risque d'autre part de passer à côté de l'essentiel.
C'est ce dernier aspect que voulons aborder. L'offensive actuelle de la droite cléricale et réactionnaire contre l'enseignement du genre en sciences naturelles vient nous rappeler de ne pas perdre de vue le véritable véritable enjeu. Pour bien comprendre on peut aussi se référer à ce passage du discours de Latran prononcé par N Sarkozy: « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, »
La laïcité de l'enseignement a pris trois formes définies par des lois: laïcité des locaux, laïcité des personnels et surtout laïcité du contenu. (Lois de 1882 et de 1886).
La laïcité appliquée au contenu de l'enseignement est le fondement même de l'école publique. Tout à la fois le plus difficile, et le plus exigent il est le plus précieux mais aussi celui qui est le plus disputé.
Avec les lois laïques l'enseignement de la morale devant remplacer celui de la religion on connait la définition qu'en a donné Jules Ferry dans sa lettre aux instituteurs du 17 novembre 1833:
Si parfois vous étiez embarrassés pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir, Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez vous s'il se trouve à vote connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire »
Si cette approche par l'intermédiaire du plus petit dénominateur commun permettait de dégager l'école de l'emprise de l'église et de prôner un enseignement rejetant les dogmes nul ne peut prétendre qu'il soit le dernier mot de ce que doit être le contenu d'un enseignement neutre. C'est une « neutralité par abstention ».
En 1905 le manifeste des instituteurs syndicalistes avançait une autre définition
"Notre enseignement n'est pas un enseignement d'autorité. Ce n'est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l'instituteur confère son enseignement : c'est au nom de la vérité. Les rapports mathématiques, les règles de grammaire, non plus que les faits d'ordre scientifique, historique, moral, qui le constituent, ne sauraient dès lors être soumis aux fluctuations d'une majorité."
Il y aurait toute une histoire à écrire des controverses suscitées par la « neutralité » du contenu de l'enseignement laïque, elles ont fait rage au sein même des laïques, au moins on était en éveil sur l'essentiel.
Le fait de ne plus s'interroger sur le sens que doit avoir aujourd'hui la neutralité de l'enseignement et de la perdre de vue comme fondement même de la laïcité de l'enseignement profite à ses adversaires qui savent utiliser des questions d'ordre règlementaire comme des leurres.
La vérité elle seule ne peut sans doute plus trancher définitivement la question. On enseigne aussi avec une part d'incertitude, de doutes, en les exposant, en donnant des sources, elle reste pourtant comme un objectif plus que comme une donnée d'emblée, le seul soucis de l'enseignement laïque, et seul l'enseignement laïque peut avoir ce soucis.
En enseignant le genre on propose aux élèves de chercher la vérité au delà des faux « allants de soi » ce qui est un grand progrès dans la pensée de notre époque, l'enseignement laïque montre ici sa supériorité à tout ce qu'un curé, un pasteur ou un imam peuvent enseigner et il dévoile en même temps (si l'on ose dire) ses véritables ennemis. Jaurès, dans un discours à l'assemblée le jeudi 03 mars 1904 en faveur d'une loi interdisant aux congrégations le droit d'enseigner justifiait ainsi le droit d'enseigner pour « la démocratie républicaine et révolutionnaire »: « C'est le droit plein absolu définitif de la pensée et de la croyance » il citait dans ce même discours un de ses adversaires « Quand on ne croit pas en Dieu il faut être propriétaire pour croire à la propriété »
On pourrait actualiser: «Quand on ne croit plus aux « allants de soi » il faut être spéculateur pour croire aux lois de la finance » n'est-ce pas le fond de la pensée de ceux qui s'opposent à l'enseignement du genre?